4 000 articles et documents

Édition du 1er au 15 janvier 2025

Le bombardement par la France coloniale d’une insurrection syrienne, par Alain Ruscio

La grande révolte druze et sa répression (1925-1926)

par Alain Ruscio

La gestion du Mandat sur le Levant sollicité – et obtenu – par la France n’a jamais été de tout repos. S’obstinant à ne voir dans les résistances que réactions passéistes, soutenues et manipulées par l’étranger, dont comme toujours la perfide Albion, les gouvernants français n’ont pas compris la situation, en particulier ont sous-estimé le nationalisme syrien. Aussi les années 1920-1945 sont-elles été jalonnées de heurts, d’affrontements. Au point que certains ont pu parler d’une guerre de Syrie.

Au cœur de cette période troublée, la grande révolte druze de 1925, qui a très rapidement atteint la capitale, Damas, fut un paroxysme. Elle est qualifiée en Syrie de révolution nationale.

La France, bénéficiant d’une écrasante supériorité militaire, finit par l’emporter. Au prix de 10 000 morts syriens et d’une hostilité quasi totale – et définitive – de l’opinion syrienne.

Genèse

Le gouvernement du Cartel des gauches, issu de la victoire électorale de mai 1924, nomme, en novembre, le général Sarrail au poste de Haut commissaire. Il a la réputation d’être « le seul général républicain » de l’armée française[1] (il est membre de la Ligue des Droits de l’Homme[2]).

Il se révélera pourtant aussi (ou plus ?) enclin à la répression que ses prédécesseurs.

C’est du Djebel druze que part l’insurrection. Là, un certain capitaine Carbillet[3] s’y distingue par une grande violence, des « exactions », des « procédés tyranniques » des « rigueurs excessives »[4] et un mépris incommensurable pour les Druzes. Son supérieur, Sarrail, le couvre et l’approuve.

En juillet 1925 commence une vaste révolte en pays druze.

Paroxysme

La garnison française de Soueïda (ou Suwayda), la capitale druze, est encerclée. Il faudra, en septembre, l’action combinée d’une colonne terrestre – commandée par le général Gamelin – et de l’aviation[5] pour la délivrer.

En octobre, la révolte atteint Damas, que Sarrail n’hésite pas à bombarder par des canons à la lisière de la ville, mais aussi par l’aviation.

Damas en flammes après le bombardement de la ville par l’aviation française

Dans un premier temps, la version officielle fait état d’incidents relativement mineurs : « Le 18 octobre au matin, deux bandes d’insurgés qui opéraient depuis quelque temps aux environs de Damas ont profité du fait que la répression organisée par la colonne Gamelin[6] s’exerçait dans un autre secteur pour entrer dans les quartiers indigènes de la ville (Chagour et Meidan). Ces bandes ont débordé rapidement la police et la gendarmerie syriennes. Tous les éléments suspects et avides de pillage se joignirent aussitôt à elles et essayèrent d’avancer vers les autres quartiers. Le commandement envisagea d’abord un combat de rues, mais il se rendit compte de son inutilité, la nuit étant tombée. D’autre part, il était impossible d’avancer dans les ruelles de la ville où les insurgés tiraient de toutes parts des coups de feu. Pour impressionner les révoltés, le commandement fit tirer huit coups de canon. Les insurgés s’arrêtèrent alors et un calme relatif s’établit qui permit au commandement français d’établir un barrage autour des quartiers européens. Le 19 au matin, les indigènes reprirent la fusillade, tentant sans succès d’envahir d’autres quartiers. Ils attaquèrent sans résultat le palais Azem et une vieille citadelle voisine. Estimant qu’il était préférable d’éviter des combats corps à corps avec un adversaire très supérieur en nombre, le commandement, dans la journée du 19, fit tirer à une cadence très ralentie un certain nombre d’obus sur les quartiers indigènes, sans chercher d’ailleurs à les détruire, mais en visant plutôt les points de rassemblement des insurgés, les petites places, les jardins et les terrasses. Le 20 au matin, une délégation des insurgés se rendit auprès du commandement et lui offrit sa soumission. À midi, le calme était rétabli. Les dispositions prises en vue d’assurer la répression de la révolte furent relativement modérées en comparaison de l’importance du mouvement. Aucun civil européen n’a été blessé ou tué. Nos troupes ont perdu une dizaine de morts dont trois Français. On compte une trentaine de blessés, dont deux Français. Les rebelles ont perdu environ deux cents tués. Ils avaient massacré une cinquantaine d’Arméniens et deux Tripolitains. Les dégâts sont limités aux quartiers indigènes, dans lesquels aucune construction arabe présentant un intérêt architectural ou historique n’a été atteinte. Le palais Azem est intact, à l’exception d’une aile construite récemment pour abriter des bureaux, qui a été endommagée. Une seule maison a été démolie dans le quartier juif. Au quartier de Chagour, on compte une vingtaine de maisons endommagées par les obus et quelques dizaines de maisons indigènes en torchis endommagées à la suite d’un incendie. Quelques voûtes des souks se sont effondrées »  (Ministère des affaires étrangères, Communiqué, 4 novembre 1925)[7].

Le ministre de la Guerre, Paul Painlevé, plaide pour l’action de la France. Lorsque le député communiste Marcel Cachin lui lance : « Damas été bombardée pendant cinquante-deux heures », il rétorque : « La ville de Damas n’a pas été bombardée ». Seules des « bandes de Druses, de Bédouins nomades et pillards, de malandrins des quartiers les plus interlopes » ont été visées,  afin de les empêcher « d’incendier, de massacrer et de piller ». La preuve : « Les trois cent mille musulmans de Damas nous sont restés fidèles, ont arboré nos couleurs et se sont dressés eux-mêmes contre les insurgés pillards » (Chambre des députés, 20 décembre 1925).

Le général Maurice Sarrail 1856-1929), commandant de l’armée du Levant en 1925

Parmi les défenseurs de la thèse française, on a quelque surprise à trouver le grand reporter Albert Londres, habituellement plus critique et plus méfiant à l’égard des propagandes officielles[8]. En novembre, il se rend en Syrie. Sur sa route, il croise, à Alexandrie, le général Sarrail, qu’il interviewe[9]. Il ressort de cet entretien que le chiffre des victimes est revu à la hausse pour les Français (14 soldats tués et 47 blessés), à la baisse pour les rebelles (123 tués chez les indigènes). 

Des rebelles dans la Ghouta en 1925

Quelques jours plus tard, Londres persiste et signe dans la justification de la politique française : « Les événements de Damas ont été déformés d’une façon qui tient du scandale (…). Je viens de parcourir Damas dans tous ses quartiers chrétiens, juifs, musulmans, kurdes. J’ai traversé Midan et des ruines de Chagour. Une inquiétude que l’on peut appeler orientale règne partout, Les tanks circulent dans les rues de Midan pour réconforter les habitants affolés par le voisinage des Druses. Dans Chagour, trois cents maisons de torchis sont à terre. Aucune mosquée n’a été touchée. Les photographies publiées à ce sujet en France et à l’étranger sont fausses. On y donne comme mosquée un établissement de bains et ce n’est pas nous qui l’avons bombardé, mais les Druses qui l’ont brûlé. Il en est de même du palais Azem. Il suffit de dire qu’il était la résidence du haut commissaire pour comprendre que nous ne nous sommes pas amusés le détruire. Tous les événements de Damas ont été à peu près interprétés de la sorte. On ne peut mieux servir la propagande arabe. Si Chagour, devenu le repaire des rebelles, n’avait été bombardé, chrétiens, Français et étrangers serraient morts égorgés. Le bombardement ne fut pas un acte de représailles, comme le dirent les dépêches anglaises, mais l’attaque d’un camp ennemi en armes. À moins d’abdiquer et de tendre le cou, il n’y avait pas d’autre solution. Les Européens de Damas ne pouvaient être atteints par le bombardement de Chagour. Le prétendre reviendrait à dire qu’en tirant sur le bois de Vincennes on menaçait le bois de Boulogne. Au contraire, les Européens furent protégés par cette action de l’artillerie. Elle arrêta le cri de guerre des femmes et fit descendre des terrasses et des arbres les musulmans qui fusillaient les Européens. Le consul d’Angleterre sait cela comme tout le monde. La Syrie ne peut être livrée plus longtemps aux manœuvres des nationalistes arabes et des internationalistes européens. Une action énergique s’impose » (Le Petit Parisien, 17 novembre 1925)[10].

Albert Londres ne reviendra jamais sur ce soutien, allant jusqu’à préfacer en 1929 l’ouvrage de mémoires du capitaine Carbillet[11], dont les violences et les injustices avaient été à l’origine de la révolte druze, resté le plus controversé des officiers français en poste dans la région à l’époque.

Par contre, le gouvernement est attaqué par la droite et la gauche. Pour la droite cléricale et conservatrice, l’occasion est trop belle de prendre une revanche sur le gouvernement du Cartel des gauches. Charles Maurras apporte sa pierre[12]. Le plus obstiné est Henri de Kérillis : dans L’Écho de Paris, il entame dès juillet une campagne contre le Haut commissaire, qualifié de « général rouge »[13]. Après le drame de Damas, l’occasion est a fortiori trop belle pour obtenir la tête de Sarrail : « On demande quels sont les vrais responsables du soulèvement de Damas. Rien n’est plus facile que de répondre : 1/ Sarrail ; 2/ Sarrail ; 3/ Sarrail » (Henri de Kérillis, L’Écho de Paris, 22 octobre 1925)[14]. À la Chambre, un député modéré, Désiré Ferry, qualifie ce bombardement d’ « acte barbare et inhumain tel que la France n’en avait jamais commis »[15]. Un autre, dont l’autorité est grande du fait de sa carrière militaire et de sa qualité de membre de la Commission de l’Armée, le général Adolphe Girod, parle de « 300 obus (…) sur les quartiers musulmans » de Damas[16].

À l’opposé de l’échiquier politique, les communistes, qui sont alors en pleine lutte contre la guerre du Rif, y associent leur dénonciation de la répression en Syrie. Début octobre, Marcel Cachin signe un éditorial soutenant l’ « immense effort des peuples asservis vers leur indépendance »[17]. La grève dite générale d’octobre 1925 se fait à la fois contre les deux engagements français outre-mer[18]. Le 26 octobre, L’Humanité publie en première page une terrible photo : des Syriens pendus, exposés en public. Le 29, sous le titre « À bas les mandats impérialistes ! », Saint-Preux présente aux lecteurs un récit des événements, s’appuyant lui aussi sur la relation du Times. Le 5 novembre apparaît la première photo des ruines de Damas, suite au bombardement français.

L’extrême gauche n’est pas en reste. La Révolution Prolétarienne[19] reproduit un article accusateur de la presse nationaliste tunisienne[20] – preuve que les colonisés étaient conscients de la solidarité de leurs causes.

Mais la réalité commence à être connue en France. Pour ce faire, la presse française est contrainte de trouver ses informations à Londres ! Même le très conservateur Journal des Débats regrette d’être obligé « d’emprunter à la presse étrangère les informations qui nous sont refusées par nos autorités »[21]. Et le récit britannique est autrement effrayant : « Le 18 octobre, les Français, s’exagérant peut-être la force des pillards, dont le nombre ne dépassait pas 500, envoyèrent à travers la ville des chars d’assaut tirant dans toutes les directions. La foule se mit alors a construire des barricades. À six heures du soir, les Français se mirent à bombarder la vieille ville, par intermittence, et tout d’abord en tirant des coups à blanc. Le bombardement continua pendant la nuit. Le lendemain, soudainement, sans avis préalable, toutes les troupes furent retirées de la vieille ville, y compris le quartier chrétien, et concentrées à Salihiyeh, où sont les cantonnements des troupes françaises, et où toutes les familles françaises ont été transportées. À partir de dix heures du matin et durant vingt-quatre heures, le bombardement fut poursuivi par l’artillerie postée en dehors de la ville, tandis que des aéroplanes lançaient des bombes et faisaient usage de mitrailleuses. Le feu ne s’arrêta que le 20 octobre, à midi. Alors une trêve fut annoncée et un ultimatum fut signifié. Le bombardement et les ravages des pillards ont laissé de nombreuses traces. La grande mosquée a heureusement échappé au désastre. Mais la mosquée Senaniyeh a un trou dans son dôme et ses fenêtres aux belles mosaïques ont été détruites. Le palais d’Azim, où était installé l’Institut d’archéologie et d’art musulman, est détruit avec toutes ses collections. L’appartement qu’occupait le général Sarrail dans un autre palais est en ruines. De nombreuses maisons de notables sont également détruites (…). Durant les deux jours de bombardement, la ville fut frappée de panique. Les Européens s’alarmèrent principalement du fait que les troupes retirées du quartier chrétien les laissaient sans défense. Cependant, les divers consuls ont réussi à mettre leurs nationaux à l’abri. L’hôpital Victoria, qui est une fondation britannique, donna refuge à 500 familles arméniennes. Le bombardement n’a fait que très peu de victimes dans le quartier chrétien puisque l’on ne compte que deux tués (deux Tripolitains) et un sujet britannique blessé. Ce n’est pas aux autorités françaises, mais aux bons offices des musulmans que les communautés européennes ont du d’échapper à si bon compte. Ce sont les musulmans qui ont entrepris d’assurer la sécurité des personnes dans le quartier chrétien » (The Times, Londres, 28 octobre 1925)[22].

La censure n’est donc pas efficace : l’opinion française, en tout cas l’opinion informée, commence, même timidement, à mesurer l’ampleur du drame.

De nouveaux chiffres de victimes, autrement plus écrasants que le bilan officiel – rappel : 123 morts syriens, d’après Sarrail, cité par Albert Londres[23] – : commencent dès lors à apparaître dans la presse : Le Temps évoque 1.200 morts « mais on croit que ce chiffre pourrait être plus élevé »[24], la Municipalité de Damas parlera en novembre de 1.456 victimes, dont 117 enfants âgés de moins de cinq ans, 219 femmes et 1 120 hommes[25]. Cet ordre d’idées, parfois majoré (jusqu’à 1.500 morts), est retenu par les études historiques publiées depuis[26]. Comment ne pas remarquer, au passage, que ce bombardement a été un des grands oubliés de l’Histoire ? La quasi totalité des études citent Guernica comme le premier bombardement d’une ville habitée par les seuls civils. Sans tomber dans l’indécente querelle des chiffres, il faut reconnaître que l’aviation de la République française fit, 12 années avant le martyre de la ville basque, au moins autant de victimes que la Légion Condor.

L’impasse

Le gouvernement français est acculé. Moins d’un mois après le bombardement de Damas, le général Sarrail est destitué. Il est remplacé par Henry de Jouvenel, premier Haut commissaire civil. Paris a envoyé un signe ; Jouvenel, sénateur, ancien ministre, tranche par sa qualité d’écoute avec ses prédécesseurs.

Sa toute première déclaration, à vrai dire, mêle une promesse – le retour à la nature originelle du Mandat – et une menace – le refus de toute abdication de la mission française : « J’apporterai dans l’exercice de cette mission délicate un esprit d’impartialité absolue, un respect absolu de toutes les croyances. Je m’efforcerai de les harmoniser. J’ai le plus grand désir de collaborer avec le pays syrien d’une part, et, d’autre part, avec les voisins de la Syrie. Je vais tâcher de remplir le mandat que la France n’a pas le droit d’abdiquer. Renoncer à notre mandat, à un mandat confié par la SDN à la France serait une humiliation nationale que ne peut subir un pays victorieux comme la France. Je vais aider la Syrie à franchir les étapes de la liberté. Quand elle sera capable de se gouverner elle-même, j’irai le dire à la SDN et notre mandat sera alors rempli » (8 novembre 1925)[27].

Cette nomination n’annonce cependant en rien la fin de la répression, ni des opérations militaires. À Damas, le 1er février 1926, trois nationalistes syriens, présentés comme terroristes, sont pendus en place publique. L’insécurité règne encore dans la capitale. Six mois après la proclamation de la pacification de Damas, de violents accrochages ont encore lieu : le 7 mai, 57 rebelles et 15 soldats du Corps expéditionnaire sont tués[28]. Dans la campagne, les troupes françaises pourchassent les rebelles, alliant le plus souvent avancée des colonnes blindées et bombardements aériens. La ville de Soueïda est reprise le 25 avril 1926, Salkhad, seconde ville de la région, le 4 juin.

Mais, malgré les communiqués de victoire, les Français ne contrôlent pas réellement le terrain. L’insécurité règne dans les campagnes, les sabotages de voies ferrées et de lignes télégraphiques sont nombreux, les villages ne sont investis qu’après de durs combats, parfois reperdus quelques jours plus tard. Le Haut commissaire télégraphie au Quai d’Orsay :  « Trop souvent, nos soldats ont dû courir d’un point à l’autre du territoire pour répondre aux menaces les plus sérieuses ; à peine un foyer était-il éteint que nous devions l’abandonner pour nous hâter vers un autre point où l’incendie venait de se déclarer, et peu après le départ de nos troupes, le premier foyer se rallumait » (Rapport, 29 juin 1926)[29].

Diplomatiquement, cette guerre de Syrie a été une catastrophe pour la France. Le monde entier compare les méthodes françaises et celles qu’appliquent au même moment les Britanniques : acceptation du principe de l’indépendance de l’Irak (1930), soutien à l’entrée de ce pays à la SDN (3 octobre 1932)… sans même évoquer les négociations alors en cours avec l’Égypte en vue de son accès à l’indépendance.

À la SDN, justement, la France est isolée. La Commission des Mandats note, dans son rapport annuel, que les responsables français sur place ont fait preuve de « brusquerie », d’« abus de pouvoir » (capitaine Carbillet), de « brutalité » et de duplicité (général Sarrail). Le seul satisfecit accordé à la France est… le rappel de Sarrail et la nomination de Jouvenel[30]. Le sous-entendu est limpide : si le Haut commissaire civil n’atténue pas ces méthodes, la Commission sera contrainte de désapprouver la puissance mandataire. Dans le monde arabe – Maghreb français compris – la colère gronde, d’autant que ces événements sont exactement contemporains de la guerre du Rif[31].

Au lendemain de cet apogée de la guerre, le pays est traumatisé. Une partie de Damas est détruite, certains quartiers sont vidés de leurs habitants, la région tout entière est ravagée : des dizaines, peut-être plus, de villages, ont été incendiés, il y a en tout plus de 10.000 morts[32]. Preuve de l’intensité de la résistance, le Corps expéditionnaire  français aurait perdu dans la même période 2.500 tués[33].

Pour quel gain politique ? L’hostilité d’une majorité de la population est manifeste. Un observateur, ami de longue date du monde arabo-musulman, écrit alors : « La Syrie… Pauvre pays martyr, qui espère toujours en sa libération prochaine et qui voit s’échafauder chaque jour au Quai d’Orsay de nouvelles combinaisons pour le diviser et pour resserrer ses liens. Nous nous demandons si pareille violation du droit des gens aura bientôt une fin. La France a dépensé plus de dix milliards dans ce pays, en pure perte pour notre patrie, sauf pour certains groupes intéressés qui ont ramassé des fortunes avec l’argent de la communauté française. Combien nous eût été profitable une toute autre politique, dès 1919 ! Accueillis en alliés, en libérateurs, nous aurions obtenu des avantages considérables, politiques et économiques, tout en respectant la volonté syrienne qui, ne l’oublions pas, n’a jamais accepté ni reconnu le mandat que nous nous sommes octroyé » (Eugène Jung, Le réveil de l’Islam et des Arabes, 1933)[34].

Un nouveau Haut commissaire, le cinquième en sept années, Henri Ponsot, lève l’état de siège en 1928. Si cette décision prouve le rétablissement de l’ordre français, elle ne préfigure en rien une solution politique.

Cette guerre de Syrie, ignorée d’une partie des contemporains – et souvent de l’historiographie – n’a débouché, par delà les apparences de la Paix française, que sur une instabilité chronique. La France n’en sortira, sans gloire, contrainte et forcée, qu’au terme de la Seconde Guerre mondiale.


[1] Pierre Fournié, « Le mandat à l’épreuve des passions françaises : l’affaire Sarrail (1925) », in Nadine Méouchy (dir.), France, Syrie et Liban, 1918-1946. Les ambiguïtés et les dynamiques de la relation mandataire, Damas, Presses de l’Inst. français d’Études arabes, 2002 ; Rémy Porte, Préface à Général Sarrail, Mon commandement en Orient, Paris, Éd. Soteca, 2012.

[2] Voir cette entrée.

[3] Il tentera de justifier par la suite son action in Au Djebel druse. Notes d’un officier de renseignements, préface d’Albert Londres, Paris, Éd. Argo, 1929.

[4] E. Rabbath, art. cité.

[5] Voir l’entrée Guerre aérienne.

[6] Le général Gamelin avait été appelé précipitamment en septembre. Il avait formé une colonne de 7.000 hommes, appuyée par l’aviation, pour briser l’encerclement de Soueïda.

[7] Cité par Le Petit Parisien, 5 novembre.

[8] Pour David Assouline, cette attitude de Londres s’explique par sa volonté de toujours défendre ceux qui étaient victimes de campagnes de dénigrement (Albert Londres, vie et mort d’un grand reporter, Paris, Balland, 1989).

[9] « Notre enquête en Syrie », Le Petit Parisien, 10 novembre 1925.

[10] « Les événements de Damas ont été déformés ».

[11] Op. cit.

[12] « La politique », L’Action française, 17 octobre 1925.

[13] « Monsieur Painlevé, rappelez Sarrail ! », 3 juillet.

[14] « L’insurrection de Damas. Les causes et les conséquences ».

[15] 3 novembre 1925.

[16] 20 décembre 1925.

[17] « La vérité sur les événements de Syrie », L’Humanité, 1 er octobre.

[18] Alain Ruscio, « 12 octobre 1925 : grève générale contre la guerre du Rif », Cahiers d’Histoire sociale, Inst. d’Hist. sociale CGT, n° 94, juin 2005.

[19] « Les hauts faits de Sarrail à Damas », n° 13, janvier 1926.

[20] Le Libéral, Tunis, 21 novembre 1925.

[21] « Les événements de Syrie », 29 octobre 1925.

[22] Cité par le Journal des Débats, 29 octobre 1925.

[23] « Notre enquête en Syrie », Le Petit Parisien, 10 novembre 1925.               

[24] « Dans le Levant », 30 octobre 1925.

[25] L’Humanité, 17 novembre 1925.

[26] Lenka Bokova, op. cit.

[27] Journal des Débats, 9 novembre 1925.

[28] Correspondance d’Orient, n° 342, juin 1926.

[29] Cité par Lenka Bokova, o. c.

[30] SDN, Commission des Mandats, « Observations à la suite de l’examen du rapport provisoire sur la situation de la Syrie et du Liban en 1925 », 6 mars 1926, citée par la Correspondance d’Orient, n° 340, avril

[31] « L’insurrection syrienne », La Nation Arabe, n° 2, Genève, février 1931.

[32] Il y a alors moins de deux millions d’habitants en Syrie.

[33] Linka Bokova, o. c.

[34] À Paris, Chez l’auteur (Gallica).


Bibliographie   * Jean Nicot & Jeannine Duru, Inventaire des Archives du Levant, Sous-série 4 H (1917-1946), Vincennes, Service historique de l’Armée de terre, 1984   * Michel-Christian Davet, La double affaire de Syrie, Paris, Fayard, 1968 Joyce Laverty Miller, « The Syrian Revolt of 1925 », International Journal of Middle East Studies (IJMES), vol. VIII, n°4, 1977  * Général Du Hays, Les armées françaises au Levant, 1919-1939, 2 volumes, Vincennes, Service historique de l’Armée de terre, 1978. * Edmond Rabbath, « L’insurrection syrienne de 1925-1927 », Revue Historique, Vol. 267, avril-juin 1982  * Louis Dillemain, « Les Druzes et la révolte syrienne de 1925 », Rev. française d’Histoire d’outre-mer, tome LXIX, n° 254, 1 er trimestre 1982. * Lenka Bokova, La confrontation franco-syrienne à l’époque du mandat, 1925-1927, Paris, L’Harmattan, Coll. Comprendre le Moyen-Orient, 1990  * * Vincent Cloarec, La France et la question de Syrie, 1914-1918, Paris, CNRS Éd., 1998 * Nadine Méouchy (dir.), France, Syrie et Liban, 1918-1946. Les ambiguïtés et les dynamiques de la relation mandataire, Damas, Presses de l’Inst. français d’Études arabes, 2002  * Jean-David Mizrahi, Genèse de l’État mandataire. Service des Renseignements et bandes armées en Syrie et au Liban dans les années 1920, Paris, Public. de la Sorbonne, 2003  * Gérard D. Khoury, Une tutelle coloniale. La mandat français, Syrie et au Liban. Écrits politiques de Robert de Caix, Paris, Belin, 2006 * Julie d’Andurain, « La « Grande Syrie », diachronie d’une construction géographique (1912-1923) », Les mondes méditerranéens et musulmans la Grande Guerre (1904-1924), Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, n° 141, octobre 2017. * même auteure, « Le général Henri Gouraud en Syrie (1919-1923), un proconsul en trompe-l’œil », Revue historique, janvier 2018, n° 685.

Facebook
Twitter
Email