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La note d’étape de la commission sur le génocide du Rwanda et le rôle de la France
suscite un débat

La commission sur les archives françaises relatives au Rwanda et au génocide des Tutsi, présidée par l'historien Vincent Duclert, a été installée en avril 2019 par Emmanuel Macron « pour un approfondissement de notre connaissance et de notre compréhension de cette entreprise terrifiante de destruction humaine » et pour « faire toute la lumière » sur le rôle de la France. Avant son rapport final qui doit intervenir en avril 2021, elle a remis une note intermédiaire le 5 avril 2020 (en lien ci-dessous). Nous publions la réaction de l'association Survie, un article paru dans Le Monde en avril 2019 sur l'absence dans cette commission des historiens Hélène Dumas (CNRS) et Stéphane Audouin-Rouzeau (EHESS) et l'émission La grande H où ces deux universitaires s'expriment sur la composition de la commission et pourquoi ils en ont été écartés.

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Hélène Dumas est docteur en histoire à l’EHESS, chargée de recherche au CNRS. Elle a travaillé sur l’histoire du génocide des Tutsi rwandais de 1994 après avoir suivi plusieurs procès sur place, au Rwanda, où elle a séjourné une quinzaine de fois. Elle a notamment publié Le Génocide au village. Le massacre des Tutsi au Rwanda, Seuil, 2014.
Stéphane Audoin-Rouzeau est historien, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales, spécialiste de la Première guerre mondiale. Il a notamment publié Une initiation : Rwanda 1994-2016, Seuil, 2017.


Génocide au Rwanda : la bataille des archives
entre historiens et militaires français

par David Servenay, publié dans Le Monde le 5 avril 2019 Source

L’absence de deux éminents spécialistes du Rwanda dans une commission d’historiens officialisée fait polémique.

C’est l’histoire d’une double trahison et, peut-être, d’un rendez-vous manqué avec l’histoire. Tout commence il y a un an, lorsque, après la publication dans Le Monde d’une série d’articles sur les derniers secrets de la France au Rwanda, Emmanuel Macron est sollicité par un de ses amis dans un SMS laconique : « Tu as vu les articles du Monde ? Es-tu prêt à recevoir Stéphane Audoin-Rouzeau pour parler du Rwanda ? » « Oui », répond le président. Si le rendez-vous n’a finalement pas lieu, l’historien de l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), spécialiste des violences de masse et de la première guerre mondiale, écrit une note résumant les reproches faits à la France dans le dossier rwandais. Il soumet aussi au chef de l’Etat l’idée de créer une commission d’historiens chargée d’examiner les archives militaires et civiles sur la période 1990-1994.

L’idée n’est pas nouvelle, Stéphane Audoin-Rouzeau l’a énoncée dans un article de la revue Esprit en 2010, mais elle est d’actualité depuis que Paris et Kigali ont renoué des relations cordiales. L’enjeu ? Ecrire enfin une histoire apaisée et juste de ce que fut le rôle de la France dans la dernière grande tragédie du XXe siècle.

« Propos hostiles à l’armée »

Deuxième acte, vendredi 9 novembre 2018, à l’Historial de Péronne, où Emmanuel Macron achève sa semaine d’itinérance mémorielle sur la Grande Guerre. Stéphane Audoin-Rouzeau l’accueille, car il dirige le centre de recherche du site. Les deux hommes ont un aparté autour du Rwanda : « Il faut que l’on vous mandate sur les archives », promet alors le président. L’historien jubile, il croit l’heure de vérité venue. Il va vite déchanter.

Troisième acte : jeudi 28 février, Franck Paris, le conseiller Afrique du président, convoque Vincent Duclert, historien spécialiste du génocide des Arméniens, pour lui annoncer devant un parterre de diplomates sa future nomination comme président de la fameuse commission, qui devait être officialisée, vendredi 5 avril. Mais le conseiller l’avertit : Audoin-Rouzeau n’en sera pas, tout comme sa meilleure élève, Hélène Dumas, l’une des rares chercheuses à maîtriser le kinyarwanda, qui est aussi récusée, « en raison de propos hostiles à l’armée française ».

Pour Audoin-Rouzeau, c’est une double trahison : celle de Vincent Duclert, qui accepte une proposition écartant son ami — les deux hommes codirigent le même laboratoire de l’EHESS —, et celle du président de la République, qui n’a pas tenu sa promesse.

Très vite, la nouvelle fait le tour de la communauté universitaire. Beaucoup pensent qu’il est absurde de priver la commission des meilleurs spécialistes. Christian Ingrao, historien, lance une pétition pour dénoncer l’exclusion des deux chercheurs. Succès foudroyant : le texte rassemblait, jeudi [4 avril 2019], plus de 280 signatures. En arrière-plan, deux camps s’opposent, chacun défendant une vision spécifique de l’histoire. D’un côté, les « intentionnalistes » estiment que l’on ne peut faire fi des acquis historiographiques de ces vingt-cinq dernières années. En clair, de nombreux travaux — universitaires et journalistiques — ont déjà mis en évidence le rôle pour le moins ambigu de la France dans le soutien apporté à un régime dictatorial qui, au printemps 1994, bascule dans le génocide. Pour pouvoir écrire cette histoire, il est donc nécessaire de consulter tous les fonds d’archives, y compris celles de Mitterrand et de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), encore interdits d’accès.

L’autre camp — celui des « légitimistes-fonctionnalistes » — juge qu’il faut travailler sans a priori et respecter les délais de communicabilité des archives.

« On ne trouvera rien »

« Cette distinction me gêne, corrige Annette Becker, spécialiste de l’histoire comparée des génocides, car la querelle intellectuelle n’existe plus depuis longtemps sur la Shoah. Et c’est la même chose sur le Rwanda : il y a bien une intention de mise à l’écart des Tutsi dès 1959, puis les acteurs ont agi en fonction des événements, jusqu’au génocide. » L’historienne s’oppose vivement à la nomination de Vincent Duclert : « Qui peut faire de l’histoire ? poursuit l’historienne, les gens qui connaissent la question. Or, Vincent Duclert n’a aucune légitimité sur le dossier du Rwanda. » Pour Annette Becker, cette « commission est mort-née. L’Elysée et son conseiller Afrique se sont fait avoir… par les militaires, qui ont fait à Macron sur le Rwanda le même coup qu’ils avaient réalisé à l’automne dernier avec Pétain lors des commémorations de la Grande Guerre ! »

C’est l’autre dimension de cette bataille idéologique : la politique, et en particulier le bras de fer entre le chef des armées et ses généraux. Depuis qu’il s’est fâché avec le général Pierre de Villiers, provoquant la démission inattendue du chef d’état-major des armées en juillet 2017, Emmanuel Macron marche dans un champ de mines.

En coulisse, plusieurs émissaires ont plaidé la cause de l’armée sur le dossier rwandais, notamment Hubert Védrine, l’ancien secrétaire général de l’Elysée, qui défend l’héritage mitterrandien, et l’amiral Jacques Lanxade. « Il faut que le chef des armées prennent la défense des militaires qui ont fait “Turquoise” », dit Jacques Lanxade au Monde. « Je suis pour l’ouverture des archives de la défense car je me porte garant de son rôle, précise l’ancien chef d’état-major des armées. On ne trouvera rien dans les archives. »

Le général Varret ne partage pas ce point de vue. Pour l’ancien chef de la Mission militaire de la coopération, qui a tenté à plusieurs reprises d’alerter sur le « risque de génocide » au Rwanda sans être entendu par sa hiérarchie, on pourrait trouver des réponses utiles. « Les archives devraient être ouvertes, insiste Jean Varret, car elles permettraient de savoir qui a effectivement abattu l’avion d’Habyarimana : le FPR ou les extrémistes hutu ? S’il se confirme que le FPR n’en est pas responsable comme le laisse penser une enquête crédible, il faut le dire car cette révélation permettrait d’assurer l’avenir des relations franco-rwandaises. » Emmanuel Macron a-t-il raté son rendez-vous avec l’histoire ? Son sort est désormais lié à celui de cette commission, dont la création doit être officialisée aujourd’hui.

La liste des membres de la commission :


• Vincent Duclert, inspecteur général de l’éducation nationale, directeur (en congé) du CESPRA (CNRS-EHESS), professeur associé à Sciences Po
• Julie D’Andurain, professeure des universités en histoire contemporaine à l’université de Metz, spécialiste d’histoire militaire contemporaine
• Isabelle Ernot, professeure détachée, docteure en histoire contemporaine, spécialiste de la Shoah, membre de la Mission d’études en France sur la recherche et l’enseignement des génocides et des crimes de masse
• Sylvie Humbert, professeure des universités catholiques, Faculté de droit, C3RD, Université catholique de Lille, spécialiste de la justice pénale internationale
• Raymond H. Kevorkian, directeur de recherche émérite à l’Université de Paris 8, spécialiste du génocide des Arméniens, membre de la Mission d’étude en France sur la recherche et l’enseignement des génocides et des crimes de masse
• Erik Langlinay, professeur agrégé d’histoire et docteur en histoire contemporaine, spécialiste des organisations
• Françoise Thebaud, professeur émérite des universités en histoire contemporaine à l’Université d’Avignon, spécialiste de la Grande Guerre, des femmes et du genre
• Christian Vigouroux, président de section au Conseil d’État
• Annette Wieviorka, directrice de recherche émérite au CNRS, spécialiste de la Shoah, membre du Conseil supérieur des archives et du Conseil d’administration de la Fondation pour la mémoire de la Shoah [Depuis lors, Annette Wieviorka a annoncé qu’elle ne participerait pas à cette commission].


Lire la pétition lancée par l’historien Christian Ingrao en avril 2019 :
Le courage de la vérité


Commission Duclert : la grande lessive a commencé

par l’association Survie, le 8 avril 2020 Source

Bien qu’elle affirme ne pas vouloir, à ce stade, tirer des conclusions, même partielles, de l’examen des archives auquel elle a procédé ces derniers mois, la commission présidée par l’historien Vincent Duclert prend une orientation inquiétante pour la recherche impartiale sur le rôle de l’État français dans le génocide des Tutsis du Rwanda. La note d’étape blanchit déjà discrètement les autorités françaises de certaines accusations.

La note intermédiaire de la « Commission de recherche sur les archives françaises relatives au Rwanda et au génocide des Tutsi (1990-1994) » 1 a été rendue publique le 7 avril 2020 2. C’est peu dire qu’elle était attendue. Sa parution le jour même de la commémoration officielle du génocide témoigne de la volonté de ses auteurs d’honorer la mémoire des victimes.

Y parviennent-ils pourtant ? La note a beau souligner le caractère « scientifique » d’une commission qui a « la responsabilité de transmettre » (p. 12), ses « responsabilités méthodologiques et éthiques » (p. 13). Elle a beau revendiquer une « réflexion approfondie et apaisée » , par contraste sans doute avec les « vives polémiques » prisées par les « détracteurs » de la politique française, ces louables déclarations peinent à convaincre le lecteur attentif. Si « sur de tels sujets où les traumatismes, les conflits, demeurent considérables, l’établissement de la vérité joue un rôle éminent » , si « la vérité n’est toutefois pas une simple affirmation, [mais] se construit à travers une démarche de connaissance qui s’oblige à la transparence de sa méthodologie et de ses pratiques » (p. 10), alors la commission Duclert n’est pour le moment pas à la hauteur des principes qu’elle s’est elle-même fixés. En témoigne le jugement qu’elle nous livre déjà, entre les lignes, sur des points cruciaux toujours controversés, abordés en détails dans le Dossier noir publié par Survie en février 2020 : L’État français et le génocide des Tutsis au Rwanda, de Raphaël Doridant et François Graner.3

I. L’OPÉRATION NOROÎT (OCTOBRE 1990 – DÉCEMBRE 1993)

Concernant l’opération Noroît, la commission Duclert estime que « [d’]’octobre 1990 à décembre 1993, [la France] s’implique fortement dans le soutien militaire au régime de Juvénal Habyarimana alors menacé par les offensives du Front patriotique rwandais venues d’Ouganda, sa base arrière. […] Dans le même temps, la diplomatie française incite fortement le régime qu’elle soutient à engager des négociations de paix et de partage du pouvoir avec l’opposition politique intérieure et le FPR, des négociations qui débouchent sur les accords d’Arusha (juillet 1992-août 1993) » (p. 9).

Vingt-six ans plus tard, la commission Duclert reprend à son compte un discours de justification diffusé dès juin 1994 par l’Élysée pour répondre aux accusations portées alors par la FIDH d’avoir mené « une politique contestable et détestable » au Rwanda. Pour la présidence de la République, où siégeait François Mitterrand, « d’octobre 1993 jusqu’à l’arrivée de la MINUAR, la présence militaire française, loin de constituer un soutien unilatéral au régime en place, a eu un effet sur chacune des parties : dissuader le FPR de rechercher une solution militaire ; pousser le Président Habyarimana à accepter un partage négocié du pouvoir avec le FPR » (Communiqué de presse du 18 juin 1994).

Cette présentation de la politique française correspond à une certaine réalité pour la période allant d’octobre 1990 au début de 1993 : le Quai d’Orsay a bel et bien fait pression sur Habyarimana pour qu’il nomme un premier ministre d’opposition en avril 1992, et, même si la France n’a pas joué un rôle moteur lors du processus d’Arusha, elle l’a formellement appuyé et a favorisé les négociations entre le FPR et le gouvernement rwandais en organisant trois rencontres à Paris entre les deux parties (octobre 1991, janvier 1992 et juin 1992). Deux gros bémols sont cependant à signaler : d’abord, la France a continué à livrer des armes et elle a maintenu des troupes au Rwanda alors même que l’accord de cessez-le-feu de N’Sele (mars 1991) puis le premier accord d’Arusha (juillet 1992) l’interdisaient ; plus grave, les autorités françaises ont refusé de prendre en considération les massacres de Tutsis couverts par le régime, alors qu’elles étaient au fait dès octobre 1990 de l’intention de certains responsables rwandais d’exterminer ces derniers.

A partir de 1993, la politique menée par la France s’éloigne diamétralement de la présentation bien lisse avalisée par la commission Duclert. Quand, en février 1993, une commission internationale d’enquête formée par quatre ONG de défense des droits de l’homme met en cause le sommet de l’État rwandais dans la perpétration de massacres à caractère génocidaire, les responsables français ne réagissent nullement en exerçant une pression sur le régime pour que cessent les tueries, qualifiées par le conseiller Afrique de Mitterrand, Bruno Delaye, de « malheureuses exactions commises par les extrémistes hutus 4 » . Elles préfèrent encourager, pour repousser une nouvelle offensive du FPR, un « front commun » des Hutus autour du président Habyarimana, ce qui constituait « presque un appel à la guerre raciale 5 » selon l’historien Gérard Prunier. Dans la foulée, les plus hauts gradés français — l’amiral Lanxade et le général Quesnot, qui lui a succédé comme chef d’état-major particulier de Mitterrand — lancent une campagne de diabolisation du FPR. Ce dernier est assimilé à des « Khmers noirs » , et les Tutsis rwandais à « l’ennemi » , à travers le prisme ethniste des dirigeants français 6.

II. L’OPÉRATION AMARYLLIS (9-14 AVRIL 1994)

A propos de l’opération Amaryllis, la commission Duclert note : « Dès l’attentat du 6 avril, l’armée française organise, entre le 8 et le 14 avril 1994, l’opération Amaryllis chargée d’évacuer les ressortissants français et européens ainsi que certains Rwandais, tutsi et hutu dont, pour ces derniers, des proches du président Habyarimana » (p. 9). En mentionnant d’abord les Tutsis parmi les Rwandais évacués par Amaryllis, la commission se livre à une distorsion ignoble des faits, qui laisse croire que les militaires français se sont aussi préoccupés du sort des Tutsis. La Mission d’information parlementaire de 1998 avait au contraire relevé, en se fondant notamment sur le témoignage de Vénuste Kayimahe, employé du centre culturel abandonné par les soldats français : « Il semble donc qu’en l’espèce, il y ait bien eu deux poids et deux mesures et que le traitement accordé à l’entourage de la famille Habyarimana ait été beaucoup plus favorable que celui réservé aux employés tutsis dans les postes de la représentation françaises – ambassade, centre culturel, Mission de coopération 7 » .

Cette indifférence au sort des Tutsis est confirmée par les documents obtenus par la Mission d’information parlementaire qui précisent, à propos des médias très présents durant Amaryllis, que « le COMOPS [le commandant de l’opération, le colonel Poncet] a facilité leur travail en leur faisant deux points de presse quotidiens et en les aidant dans leurs déplacements, mais avec un souci permanent de ne pas leur montrer des soldats français limitant aux seuls étrangers l’accès aux centres de regroupement sur le territoire du Rwanda ou n’intervenant pas pour faire cesser des massacres dont ils étaient les témoins proches 8 ».

III. L’OPÉRATION TURQUOISE (22 JUIN – 22 AOÛT 1994)

La commission Duclert s’est-elle déjà forgée une opinion sur l’opération Turquoise, déclenchée à la fin du génocide avec l’objectif officiel de mettre fin aux massacres ? Sa note d’étape indique pour commencer que « la France est la seule puissance occidentale à agir » (p. 9). Elle estime que « le bilan de son intervention, notamment en matière médicale avec l’envoi de la Bioforce des armées pour lutter contre le choléra qui décime les réfugiés, est réel » . Elle souligne que « son engagement [de la France] devient rapidement un sujet d’interrogation, voire d’accusation. Son objectif humanitaire, revendiqué, est mis en doute, notamment par le Front patriotique rwandais mais aussi sur la scène internationale, par des ONG ainsi que par des médias. La France est soupçonnée d’être motivée par des raisons cachées (assistance au « gouvernement intérimaire » , exfiltration des Forces armées rwandaises voire des milices hutu vers le Zaïre, opposition à la victoire du FPR) » . Si cette présentation des questions soulevées par l’opération Turquoise est globalement correcte, la commission y apporte déjà la réponse quand elle écrit : « Alors que l’opération Turquoise, à objectif humanitaire et sous mandat des Nations Unies, se distingue fortement de la politique française jusque-là suivie au Rwanda, ses détracteurs les confondent » . Aux yeux de la commission Duclert, l’opération Turquoise est donc bien une opération humanitaire et ses « détracteurs » ne savent pas voir les faits puisqu’ils confondent ses objectifs avec les objectifs passés de la France au Rwanda, à savoir contenir militairement le FPR. Dans ces conditions, est-ce encore utile de gaspiller son temps à dépouiller méthodiquement les archives de Turquoise 9 ?

IV. LES AUTORITÉS FRANÇAISES ET LA THÈSE DU « DOUBLE GÉNOCIDE »

Abordant l’état du débat public dans notre pays, la commission note très justement : « En France, les autorités éprouvent des difficultés à exprimer une position claire qui implique d’honorer les victimes et de désigner les bourreaux. Des voix tentent d’opposer un « génocide » des Hutu, venant qualifier massacres et représailles commis contre ces derniers, au génocide des Tutsi bien réel, amenant les conflits politiques et mémoriels à s’aviver encore ». La commission Duclert omet malheureusement de préciser que ces « voix » suggérant, par l’usage du pluriel (les génocides commis au Rwanda), qu’un génocide des Hutus a été commis ne sont rien moins que celles de la fine fleur de la classe politique : un président de la République, François Mitterrand 10, et deux ministres des Affaires étrangères (plus tard premiers ministres) Alain Juppé 11 et Dominique de Villepin 12, entre autres.

Hubert Védrine, Alain Juppé, le général Christian Quesnot, l’amiral Jacques Lanxade, le général Jean-Pierre Huchon… peuvent dormir sur leurs deux oreilles 13 : le rapport final de la commission Duclert ne leur donnera pas de cauchemars.

Voir le site de l’association Survie.


arton5590-62773.pngSurvie publie un nouveau Dossier noir le sur le rôle de l’Etat français dans le génocide des Tutsis au Rwanda. Vingt-cinq ans après les événements, ce livre donne les clés pour comprendre le soutien français aux forces gouvernementales rwandaises avant, pendant et après le génocide des Tutsis.

Il revient sur l’ambiguïté de l’opération Turquoise qui, après avoir laissé massacrer plus d’un millier de civils sur la colline de Bisesero, a aussi laissé partir vers le Zaïre les génocidaires – qu’elle a même été jusqu’à réarmer. Aujourd’hui encore, la plupart des acteurs politiques, quel que soit leur bord, continuent de se taire ou de nier l’implication de l’État français dans le génocide. Le combat judiciaire qui continue lui aussi pour rompre ce silence et mettre fin à l’impunité des responsables français et à celle des Rwandais suspectés de génocide – pour qui le territoire français est encore largement une terre d’asile – rencontre de nombreux blocages, parfois au cœur même de l’État.

Pour commander cet ouvrage


Retrouvez sur le site des éditions Agone des extraits tels que les entretiens réalisés avec le Général Varret ou avec l’Amiral Lanxade, et ci-dessous l’interview de François Graner, l’un des deux co-auteurs de cet ouvrage, par TV5 Monde, le 20 février 2020.

  1. Emmanuel Macron a annoncé il y a un an la création de cette commission pour « mener un travail de fond centré sur l’étude de toutes les archives françaises concernant le Rwanda entre 1990 et 1994 » (communiqué de l’Elysée, 5 avril 2019).
  2. Note à consulter sur le site du Ministère des Affaires étrangères (diplomatie.gouv.fr).
  3. Raphaël Doridant et François Graner, L’État français et le génocide des Tutsis au Rwanda, Agone, février 2020. Plus de détails sur survie.org
  4. Bruno Delaye, « Note à l’attention de Monsieur le Président de la République. A/s – Rwanda : mission à Kigali et Kampala » », 15 février 1993.
  5. Gérard Prunier, Rwanda 1959-1996. Histoire d’un génocide , éditions Dagorno, 1997, p. 216-217.
  6. Raphaël Doridant et François Graner, L’État français et le génocide des Tutsis au Rwanda, Agone, 2020, p. 75-98.
  7. Assemblée nationale, Mission d’information commune, rapport n° 1271, Enquête sur la tragédie rwandaise (1990-1994), 1998, tome I, Rapport, p. 269.
  8. Assemblée nationale, Mission d’information commune, rapport n° 1271, Enquête sur la tragédie rwandaise (1990-1994), 1998, tome I, Rapport, p. 266.
  9. Aborder ici sérieusement les questions posées par Turquoise excéderait la taille de ce texte. Le lecteur intéressé se reportera au chapitre IV de L’État français et le génocide des Tutsis au Rwanda, op. cité.
  10. Conférence de presse au sommet franco-africain de Biarritz, 9 novembre 1994.
  11. Libération, 16 juin 1994.
  12. RFI, 1er septembre 2003.
  13. Pour une synthèse sur chacun de ces décideurs politiques et militaires, voir le rapport Déni et non-dits : 25 ans de mensonges et silences complices sur la France et le génocide des Tutsis du Rwanda, Survie, avril 2019.
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