Bruno Etienne et l’“Islam de France”
Bruno Etienne est l’un des premiers vulgarisateurs de la formule « Islam de France », soulignant le processus de « nationalisation » de la religion musulmane dans l’Hexagone. Il contribue à remettre en cause le cliché d’une religion étrangère et importée, montrant sa proximité et ses affinités avec l’histoire de France. Ses travaux convergent vers la même idée : l’islam est devenu une religion « française » et la France sera probablement appelée à être une terre de réforme musulmane.
Il insistait, par ailleurs, sur le fait que l’islam n’était qu’une des dimensions de la vie des musulmans en France. Devant ses élèves, il répétait cette phrase : «Quand on fait des enquêtes sur les musulmans de France, on en trouve davantage au PMU qu’à la mosquée !» Comme le souligne Franck Fregosi, «il n’a cessé d’affirmer l’inexistence d’une communauté musulmane entendue comme un ensemble monolithique d’individus ayant les mêmes pratiques, défendant les mêmes intérêts et mus par le souci de l’unité communautaire».
Lors de la première guerre du Golfe (1990-1991), il a ouvertement critiqué la participation de la France à la coalition alliée. En 2004, au moment du vote de la loi interdisant le voile à l’école, il s’est prononcé en faveur d’une laïcité ouverte et tolérante, déclarant sur un mode provocateur : «C’est aux jeunes filles voilées que l’on doit donner les palmes académiques et non au ministre qui les a exclues !»
«Il a toujours refusé de succomber aux visions sécuritaires à propos de la présence musulmane en France», rappelle Vincent Geisser, chercheur au CNRS. De ce point de vue, il fut l’un des principaux inspirateurs de ce qui allait devenir le Conseil français du culte musulman, défendant une conception gallicane de l’islam de France. Bruno Etienne n’hésitait pas à dénoncer les dictateurs du monde arabe. Dans ses écrits, il critiquait régulièrement les régimes dits « laïcs » autant que les théocraties du Golfe, dont il dénonçait l’hypocrisie.
Mort de Bruno Etienne, pionnier de la recherche sur le phénomène religieux
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Le sociologue et politique français Bruno Etienne, auteur de plusieurs ouvrages et études sur la figure de la résistance populaire contré la colonisation française et le fondateur de l’Etat moderne algérien l’Emir Abdelkader, est décédé mercredi à Aix-en-Provence, à l’âge de 71 ans.
Diplômé de l’Institut des études politiques d’Aix-en-Provence et de l’Institut Bourguiba des langues de Tunis, où il a appris la langue arabe, Bruno Etienne soutient en 1965, une thèse intitulée Les Européens et l’indépendance de l’Algérie et obtient le grade de Docteur d’Etat en droit public et en sciences politiques. De 1966 à 1974, il s’installe à Alger en qualité de coopérant technique, enseigne à l’école nationale d’administration (ENA) et exerce diverses charges de conseiller technique. Deux années après son retour en France, il publie un ouvrage intitulé Algérie, cultures et révolution.
Après un séjour au Maroc, il rentre définitivement en France en 1980 pour assurer la direction du Centre de recherche et d’étude des sociétés musulmanes (CRESM) et se consacrer pendant plus de 20 ans, à Lyon puis à Aix-en-Provence, à l’enseignement des sciences politiques et d’anthropologie religieuse comparée.
En 1992, il crée l’Observatoire du religieux qui fédère au sein de l’IEP d’Aix toutes les recherches en sciences politiques, en sociologie et en anthropologie sur le phénomène religieux.
Cette problématique sera le thème d’un grand nombre de ses ouvrages comme L’Islamisme radical (1987), L’Islam en France (1990), L’Islam, les questions qui fachent (2003), Les combattants suicidaires (2005), La République face au pluralisme religieux (2004).
Bruno Etienne s’est intéressé également aux sociétés maghrébines en dirigeant un ouvrage collectif les problèmes agraires au Maghreb.
Sa participation régulière à l’Annuaire d’Afrique du Nord, ouvrage de référence pour tous les chercheurs et universitaires, lui a valu d’être considéré comme un des spécialistes du Maghreb et des questions religieuses. Une partie de ses textes sera rassemblée dans un ouvrage Algérie, 1830-1962.
L’apport de cet universitaire a été important en contribuant à faire connaître dans les milieux français la personnalité et l’oeuvre de l’Emir Abdelkader à travers plusieurs ouvrages comme l’Emir Abdelkader, isthme des isthmes et Abdelkader le magnanime.
Il avait également co-signé avec d’autres chercheurs et personnalités religieuses comme Mgr Henri Teissier et Cheikh Khaled Bentounès, l’ouvrage intitulé L’Emir Abdelkader : témoin et visionnaire, paru en 2004, dans lequel ils mettent l’accent sur les multiples dimensions de sa personnalité, guide de la résistance populaire, fin stratège de guerre, homme de paix, écrivain et penseur, politique et mystique.