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Édition du 15 novembre au 1er décembre 2024

La France remet à l’Algérie une partie de ses archives filmées de la période coloniale

Le fonds «images» de la télévision algérienne s'enrichit. L'Entreprise publique nationale de télévision hérite officiellement des archives cédées par l'Institut français de l'Audiovisuel (INA). Un patrimoine de 400 heures d'images vivantes tournées entre la Seconde Guerre mondiale et l'indépendance de l'Algérie. Avant de partir pour une visite de deux jours à Alger, le président de l'INA, Emmanuel Hoog, évoque les projets de coopération entre l'INA et la télévision algérienne.
[Mise en ligne le 6 février 2008 - le texte de Benjamin Stora ayant été ajouté le 8 mars]

Benjamin Stora : “La mémoire restituée”

[publié dans Libération, vendredi 7 mars 2008]

Dans les difficiles rapports franco-algériens, la question de la mémoire et de l’écriture de l’histoire figure parmi les questions les plus difficiles. Le problème de la restitution des archives d’Algérie n’est toujours pas réglé. Après l’indépendance de 1962, une grande majorité des archives ont été emportées en France et déposées au centre de recherches d’Aix- en-Provence. Puisque l’Algérie c’était trois départements français et non pas un protectorat, ces documents – qui traitent de l’urbanisme ou de la surveillance des partis algériens, de l’organisation de la vie dans les campagnes ou des opérations militaires menées par l’armée pendant la guerre d’Algérie – sont considérés comme des archives de souveraineté par la France. Il n’y a donc jamais eu de restitutions d’archives, réclamées par les gouvernements algériens qui se succèdent depuis cinquante ans.

On aurait pu penser que cette situation allait rester en l’état, surtout après l’élection du nouveau président de la République française en mai 2007, qui avait mené campagne sur le thème de «l’antirepentance» à propos de la colonisation. Ce n’est pas le cas. Au début du mois de décembre 2007, l’Institut national de l’audiovisuel (INA) et la télévision publique algérienne (EPTV) ont signé un accord sur des images conservées par l’INA retraçant l’histoire de l’Algérie depuis la Seconde Guerre mondiale jusqu’à 1962. Cet accord «prévoit la mise à disposition d’une copie de l’ensemble des images d’actualité conservées par l’INA» entre 1940 et 1962, date de l’indépendance de l’Algérie, et la «possibilité pour l’EPTV de les exploiter par voie hertzienne ou satellitaire». L’EPTV peut également en disposer pour les commercialiser sur le territoire algérien. Au total, 1 862 documents, dont certains muets, sont ainsi disponibles pour l’EPTV, soit cent trente-huit heures de programmes.

Six thématiques regroupent l’essentiel de celles-ci. La guerre d’Algérie représente, à elle seule, cent dix-sept heures de programmes, dont les attentats à Alger ou en France, les images du déclenchement de la guerre d’indépendance en novembre 1954, le référendum de 1962, le procès de l’OAS, le départ des Européens, l’Algérie dans ses premières heures d’indépendance ; deux heures de programmes montrent le bombardement de la flotte française dans le port de Mers el Kébir en 1940. Des séquences retracent la Seconde Guerre mondiale. Le chapitre économie et industrie est présent avec 105 documents élaborés en quatre heures de programmes. Il évoque le début de l’industrialisation de l’Algérie et ses grands chantiers. On retrouve entre autres l’inauguration du Transsaharien en 1942, les puits de pétrole à Bou Saada ou encore le lancement du cargo citerne Mitidja en 1949. La vie quotidienne des Algériens figure dans quatorze heures de programmes. On y aperçoit, en couleurs, le départ de la caravane du sel et sa traversée du Sahara jusqu’au centre de l’Afrique en 1948. Un film documentaire a été consacré aux paysans des Aurès, un autre à un pèlerinage à La Mecque. Une dernière partie révèle quelques événements sportifs de cette période, comme la finale de la Coupe de football d’Afrique du Nord organisée le 8 juin 1950.

Cet accord offre à la télévision publique algérienne une «totale liberté d’utilisation de toutes les images d’archives tournées notamment sur le sol algérien, jusqu’à la date d’indépendance». Dans ce début de l’année 2008, tous les internautes pourront accéder à l’intégralité de ces archives, ouvertes donc pour les chercheurs des deux rives de la Méditerranée. Cet accès libre aux archives a toujours été une revendication des historiens, y compris algériens, qui craignaient une mise sous le boisseau de documents, à la faveur d’une restitution d’archives à l’Algérie. Quelques jours après ce geste de restitution d’archives qui ne dit pas son nom, l’ambassadeur de France en Algérie, Bernard Bajolet, déclare le 24 décembre 2007 au quotidien arabophone Ech-Chourouk que Paris cherche des moyens de dédommager les victimes des essais nucléaires français, effectués dans le sud algérien dans les années 60. Le président français en visite à Alger au début du mois de décembre 2007 a proposé au président algérien la prise en charge médicale des victimes des essais nucléaires dans le sud saharien. L’ambassadeur indique que pour la France ces questions seront traitées séparément de la question de la coopération dans le domaine du nucléaire civil.

Après la restitution des cartes de mines posées aux frontières marocaine et tunisienne par l’armée française, puis la mise en ligne d’archives audiovisuelles par l’INA et l’évocation du suivi médical pour les victimes de radiations atomiques au Sahara, des signes existent pour commencer à assumer ensemble un passé douloureux. Ajoutons que du côté algérien les déclarations officielles se sont multipliées récemment pour laisser entrer en Algérie les enfants de harkis. Mais il n’est pas encore question des pères. Il faudra encore bien des efforts pour que la réconciliation mémorielle soit effective. Du temps aussi pour que les générations qui n’ont pas de responsabilités dans ce conflit se retrouvent et bâtissent un avenir sans arrière-pensées.

Benjamin Stora

professeur d’histoire du Maghreb à l’Inalco

Des archives filmées durant l’ère coloniale remises aujourd’hui à l’Algérie

par H. Barti, Le Quotidien d’Oran, le 5 février 2008

46 ans après son indépendance, l’Algérie va enfin récupérer une partie des archives nationales filmées durant l’ère coloniale, jusque-là détenues par l’Institut français de l’audiovisuel (INA).

Cette cession d’une partie des fonds documentaires datant de l’ère coloniale se fera aujourd’hui au profit de la télévision algérienne, lors d’une cérémonie officielle, par le président de l’INA, M. Emmanuel Hoog, conformément à un protocole d’accord-cadre signé entre les deux parties en septembre dernier. Selon les termes de ce protocole, paraphé le 11 septembre à Paris par le directeur général de l’Entreprise publique nationale de télévision (EPTV), M. Hamraoui Habib Chawki, et le président de l’Institut français de l’audiovisuel (INA), M. Emmanuel Hoog, les deux parties s’engageaient « à mener une réflexion rapide sur les conditions dans lesquelles l’EPTV pourra avoir l’usage des archives (télévisées) détenues par l’INA et produites avant l’indépendance de l’Algérie ». Un deuxième protocole d’accord, signé lors de la visite du président Sarkozy en Algérie au début du mois de décembre 2007, scellera définitivement cette restitution au profit de l’Algérie d’une partie de sa mémoire audiovisuelle d’avant 1962.

Mais c’est ce protocole d’accord-cadre signé entre les patrons de l’INA et l’EPTV qui a permis de mettre sur rail cette coopération inédite entre les deux institutions, avec à la clé l’assistance à différents projets liés notamment à la conservation et l’exploitation des archives télévisées. L’INA propose, grâce à cet accord, formation et expertise en matière de gestion de «l’environnement juridique de la conservation et de l’exploitation des archives audiovisuelles» de la télévision algérienne. L’accord prévoit aussi une assistance pour la construction, dans les locaux de l’EPTV, d’un centre des archives. Il préconise aussi un transfert de savoir-faire en matière de numérisation et de mise en ligne sur le réseau Internet des archives de l’EPTV.

La coopération EPTV-INA devra également porter sur la fourniture, par le partenaire français, d’un thésaurus «en vue de l’indexation/documentation des archives audiovisuelles». Ainsi contrôlé et structuré, ce système permet de retrouver rapidement et de manière rigoureuse, dans un fichier ou une base de données, les documents pertinents répondant à une question précise d’un utilisateur.

A noter enfin que le ministre des Moudjahidine, M. Mohamed Chérif Abbas, a qualifié hier de «pas encourageant» la réception par l’Entreprise nationale de télévision d’une partie des archives nationales filmées durant l’ère coloniale. Dans une déclaration à la presse, en marge de l’adoption du programme de célébration de la Journée nationale du chahid, M. Chérif Abbas, qui a dit ignorer le contenu de ces archives, s’est déclaré «satisfait» de cette nouvelle, qui ne peut être qu’un «pas encourageant à saluer». A une question relative au fait que les archives réceptionnées récemment de France n’aient pas encore été révélées aux chercheurs et aux spécialistes, le ministre a répondu que «c’était une question d’organisation et de classification des archives, qui constitue une opération très difficile en raison de l’absence d’archivistes». «Nous avons besoin de temps pour accomplir ce travail en vue de tirer profit de ces archives et faciliter l’écriture de l’histoire de notre pays», a expliqué M. Chérif Abbas, soulignant qu’»une partie de ces archives est actuellement exploitée».

H. Barti

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«L’INA assiste l’ENTV pour la sauvegarde de ses archives»

par S. Raouf, Le Quotidien d’Oran, le 5 février 2008

Avant de partir pour une visite de deux jours à Alger, le président de l’INA, Emmanuel Hoog, s’est confié au Quotidien d’Oran. Eclairage sur une coopération en devenir.

  • Entre l’INA et l’ENTV, les relations se multiplient et s’installent dans la durée. Après votre voyage dans la délégation de Nicolas Sarkozy en décembre, vous êtes de retour à Alger.

J’y vais pour la remise officielle, à titre gracieux, d’une copie de l’ensemble des images télévisuelles archivées à l’INA sous le mot-clé «Algérie». Tournées par les équipes de l’ex-ORTF (ancêtre du service public français), elles constituent un gisement télévisuel important. Ce faisant, nous honorons les engagements consignés dans la convention de partenariat signée, le 4 décembre dernier à Alger, en présence des deux chefs d’Etat. J’y vais, par ailleurs, pour approfondir notre relation avec l’ENTV et en définir les perspectives sur le long terme. L’INA et la télévision algérienne ont convenu de faire leur une relation fondée sur la coopération et les échanges.

  • La cession des archives télévisuelles au profit de l’ENTV est intervenue un peu contre toute attente. Personne ne s’y attendait voici à peine quelques mois.

En effet. Les choses sont allées très vite. Evocation du sujet en septembre, paraphe de la convention en décembre et remise des images à l’ENTV début février. On a conclu en un temps quasiment record, preuve s’il en est que l’INA et l’ENTV sont en quête d’un partenariat digne de ce nom. Nous nous inscrivons bien au-delà des déclarations d’intention et du volontarisme.

  • Quelle est la singularité de cet accord ?

Il est le deuxième du genre dans l’histoire de l’INA. Le premier a été signé avec le Maroc en 2006 à l’occasion du 50e anniversaire de l’indépendance. Entre les deux, il n’y a pas photo. En volume, les archives cédées à l’ENTV représentent dix fois celles versées au crédit de la télévision marocaine. En tout, quelque 1.800 documents synonymes de 400 heures de programmes. Loin de moi l’idée d’appuyer sur les mots, mais force est de relever que nous sommes en présence d’un accord historique dans le registre des archives télévisuelles. Le potentiel images est énorme, qui plus est sur un pan de la mémoire algérienne. Outre la proportion des images cédées, l’accord vaut aussi par ses dispositions en matière de droits. Il offre à l’ENTV une totale liberté d’utilisation des images. A partir d’aujourd’hui, il est le sien. La télévision algérienne a vocation à en faire usage de plein droit. En agissant de la sorte, l’INA a voulu exprimer un acte fort et original de partage d’un patrimoine télévisuel commun.

  • Ces images – ajoutées à d’autres sur une variété de sujets – sont disponibles à la consultation sur le site internet de l’INA.

Tout à fait. Cela répond à une conviction qui est la nôtre à l’INA. Dès ma nomination il y a sept ans à la tête de l’Institut, j’ai souhaité faire en sorte que les archives audiovisuelles soient accessibles aux chercheurs, historiens et des particuliers en quête de savoir et de culture. Un patrimoine audiovisuel n’a pas de sens s’il n’est pas valorisé. Or, sa valorisation suppose qu’il soit visible aux yeux du plus grand nombre. L’INA a organisé des colloques et labellisé d’autres sur les enjeux de la mémoire audiovisuelle. Certains d’entre eux ont été dédiés à la guerre d’Algérie et l’histoire du Maghreb. Des historiens dont Benjamin Stora ont plaidé pour un libre accès partagé des archives télévisuelles et radiophoniques. Nous y avons répondu en mettant cette matière en ligne.

  • Quelles sont les thématiques couvertes par ces images ?

La convention porte sur l’ensemble du fonds «archives Algérie», toutes thématiques confondues. Toutes les séquences antérieures à l’indépendance algérienne y figurent.

Nous ne nous sommes pas posés de questions. Nous avons numérisé et dupliqué l’intégralité des images filmées entre le milieu des années quarante et le début des années soixante. La première séquence «Algérie» archivée à l’INA illustre le bombardement de la base de Mers El-Kébir pendant la Seconde Guerre mondiale. Les dernières évoquent le départ des pieds-noirs et les fêtes de l’indépendance. Il s’agit d’archives vivantes, d’interviews, de reportages sur la guerre d’Algérie, le sport, la société algérienne entre les années 1940 et 1960.

  • S’agit-il du premier accord entre l’INA et l’ENTV ?

Durant la dernière décennie, nos deux entreprises ont été liées par une dizaine de projets ponctuels. Certains l’ont été dans un cadre bilatéral, d’autres dans le cadre multilatéral de la Conférence Permanente et de l’Audiovisuel de la Méditerranée (COPEAM).

  • A l’automne dernier, en levant le voile sur le projet de cession des archives «Algérie», vous avez laissé entendre que l’INA et l’ENTV s’acheminaient vers une coopération lourde.

En septembre, M. Hamraoui Habib Chawki a effectué une visite à l’INA. Il y a passé une demi-journée. Nous avons exploré des pistes de coopération et convenu de cheminer vers des projets lourds.

  • Par exemple ?

La télévision algérienne travaille à un ambitieux plan de sauvegarde et de numérisation de ses archives. C’est une tâche titanesque aux enjeux importants. Il y va de la préservation de la mémoire nationale. Rien que pour les images tournées par ses propres équipes depuis quarante-cinq ans, l’ENTV jouit d’un patrimoine télévisuel important. Son DG a souhaité engager avec l’INA un programme de coopération et de formation dans ce domaine. Avec une expérience longue de 32 ans, l’INA capitalise une expertise et un savoir-faire dans la sauvegarde et la numérisation de la mémoire audiovisuelle. Des échanges ont déjà été engagés dans cette perspective. Des cadres de l’ENTV (ndlr : Leila Haoues, directrice des Archives et de la Documentation) ont été reçus en mission d’études à l’INA, nos spécialistes sont partis à Alger.

S. Raouf
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