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Édition du 15 mars au 1er avril 2025

1825-2025 : « La France et la rançon exigée d’Haïti », par Gilles Manceron

Article publié une première fois dans Mediapart, le 28 novembre 2013.

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Bien peu de Français savent que les esclaves de la principale colonie française de Saint-Domingue au XVIIIème siècle se sont soulevés dans les années 1790 pour leur liberté et leur indépendance, encouragés en cela par les nouvelles qui ont fini par leur parvenir, depuis Paris et les ports négriers de l’Atlantique, de la Déclaration des droits de l’homme et de la Révolution française. Peu savent que lorsqu’ils ont proclamé la République d’Haïti en 1804, la France qui deviendrait l’empire de Napoléon premier a refusé de reconnaitre celle-ci et a interdit tout commerce avec elle durant une vingtaine d’années. Et que, le 17 avril 1825, une ordonnance du roi Charles X lui a imposé pour prix de sa reconnaissance diplomatique et de son droit à commercer, une lourde rançon qu’elle a dû payer jusqu’au début du XXème siècle et qui a gravement entravé son développement.

Nous reproduisons ci-dessous l’article intitulé « La France et la rançon exigée d’Haïti » que Gilles Manceron avait publié dans Mediapart en novembre 2013, deux-cent-dix ans après la première défaite d’un corps expéditionnaire français envoyé combattre une guerre d’indépendance d’un peuple colonial. En effet, le 18 novembre 1803, a eu lieu, un siècle et demi avant Diên Biên Phu, la bataille de Vertières, la première défaite d’un corps expéditionnaire français envoyé combattre une guerre d’indépendance d’un peuple colonial. Par la victoire de Vertières, Saint-Domingue est devenue quelques semaines plus tard, en janvier 1804, il y a plus de 220 ans, la première colonie française à conquérir son indépendance. 

Entre la France et Haïti, le temps est venu de réparer, de reconstruire, de refonder

Différentes initiatives vont être organisées à Paris en mars et en avril 2025 pour demander la reconnaissance de cette injustice et l’instauration nécessaire de la part de la société française et des institutions de ce pays d’un débat sur les réparations qui s’imposent comme la conséquence logique de ce sombre épisode de l’histoire de la France.

La population de Haïti est confrontée en 2025 à une grave insécurité, une insuffisance alimentaire et une crise sanitaire qui portent gravement atteinte à sa vie. Cette année du bicentenaire de la dette imposée par la France à Haïti en 1825 pour prix de son indépendance et de la fin de l’esclavage, véritable rançon qui a durablement pesé sur le développement du pays, doit être celle d’un débat en France sur la nécessité de reconnaître et de réparer les injustices qui ont contribué à la situation actuelle. En 2025, en ce deux-centième anniversaire, la France doit assumer cet héritage, afin qu’au pire de cette période passée succède la possibilité d’un avenir meilleur. 

Histoire coloniale et postcoloniale


La France et la rançon exigée d’Haïti

Bien peu de Français savent qu’il y a tout juste deux-cent-dix ans, le 18 novembre 1803, a eu lieu, un siècle et demi avant Diên Biên Phu, la première défaite d’un corps expéditionnaire français envoyé combattre une guerre d’indépendance d’un peuple colonial : la bataille de Vertières. Par elle, quelques semaines plus tard, Saint-Domingue, devenue Haïti en janvier 1804, a été la première colonie française à conquérir son indépendance.   

Mais pour prix de son indépendance et afin de permettre que d’autres États la reconnaissent à leur tour, la France lui a imposé en 1825 le paiement d’une somme de 150 millions de francs « destinée à dédommager les anciens colons qui réclameront une indemnité »

Haïti dut emprunter – en l’occurrence auprès de banques françaises – pour payer cette somme, qui fut réduite en 1838 par un traité inégal, imposé par la France, à 120 millions au total, auxquels s’ajoutaient les intérêts de l’emprunt qu’Haïti avait dû contracter pour effectuer le premier versement. Du fait de ce paiement qui, sous la Troisième République, a duré jusqu’en 1883, suivi de celui des intérêts versés à des banques françaises jusqu’en 1915, la France a infligé à Haïti un coût à son indépendance qui a considérablement entravé son développement. Ce préjudice historique n’a été que partiellement reconnu dans le rapport remis en 2004, à la demande du ministre français des Affaires étrangères, Dominique de Villepin, par le Comité indépendant de réflexion et de proposition sur les relations franco-haïtiennes, rédigé par Régis Debray. 

Ces faits sont emblématiques du « trou de mémoire » des institutions et de la société française vis-à-vis des crimes et des forfaits que la politique coloniale les ont conduit à commettre dans le passé. Mettre fin à leur déni et à leur occultation implique, avant tout, leur reconnaissance par nos institutions et la diffusion dans notre société du XXIe siècle de la connaissance de ces faits qui font partie de notre histoire.

Mais la Ligue des droits de l’Homme estime aussi que la France pourrait faire un geste fort, de nature à renforcer l’image et la crédibilité internationale en affirmant sa volonté d’en finir avec les rapports de force coloniaux et d’assumer réellement aujourd’hui son attachement aux principes des droits de l’Homme dont l’esclavage et la politique coloniale l’ont fait s’écarter dans le passé. Il pourrait consister à poser le principe d’un remboursement des sommes indûment exigées de son ancienne colonie d’Haïti pour le prix de son émancipation.

Gilles Manceron,

Novembre 2013.


A lire sur notre site

Marcel Dorigny : « dans l’amnésie collective touchant à la mémoire coloniale, le point de départ c’est Haïti », publié le 14 mai 2013. 

La plainte en justice que le Conseil représentatif des associations noires (CRAN) a déposé contre la Caisse des dépôts et consignations remet au premier plan le débat sur les dédomagements de la traite négrière, plus d’un siècle et demi après son abolition.

Six articles du New York Times : France et Haïti, la « double dette de l’indépendance », publié le 24 mai 2022. 

Dans une série de six articles, traduits notamment en français et en kreyol haïtien, le New York Times revient sur la « double dette » qui fut durant des décennies le prix imposé par la France à Haïti pour lui avoir arraché son indépendance et aboli l’esclavage, dont l’effet désastreux se fait encore sentir dans l’économie haïtienne. Nous reproduisons un article publié en 2021 par Mediapart qui synthétise les travaux historiques sur cette question, ainsi qu’un autre du 23 mai 2022 qui donne les liens vers les six articles du New York Times.

• Le président de la Fondation pour la Mémoire de l’esclavage, Jean-Marc Ayrault, rend hommage à la révolution haïtienne, publié le 26 juillet 2022.

L’enquête du New York Times dont notre site a rendu compte a attiré l’attention sur l’indemnité que Charles X a obligé en 1825 la République d’Haïti à payer aux anciens colons français pour prix de son indépendance conquise en 1804. Jean-Marc Ayrault, président de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage (FME), revient sur l’importance de ces faits.

• « Après Vertières. Haïti, épopée d’une nation », par Jean-Claude Bruffaerts et Jean-Marie Théodat, publié le 2 janvier 2024.

Jean-Claude Bruffaerts, membre de l’Association Haïti Patrimoine, et Jean-Marie Théodat, géographe et maître de conférences, déjà auteurs de Haïti-France – Les chaînes de la dette. Le rapport Mackau (1825), publient un ouvrage important, préfacé par Bertrand Badie.

• La France va-t-elle assumer sa responsabilité coloniale envers Haïti ?, publié le 1er mai 2024. 

La Fondation pour la mémoire de l’esclavage (FME) et vingt ONG demandent à la France d’assumer sa responsabilité historique dans le drame que vit la population haïtienne.

• Strasbourg : conférence de Jean-Marie Théodat : « Haïti, une histoire sous silence », publié le 15 novembre 2024

• Haïti : le déni par Emmanuel Macron de notre histoire coloniale, publié le 1er décembre 2024.

A propos des déclarations méprisantes du président Emmanuel Macron sur les Haïtiens faites le 19 novembre 2024, au lendemain de l’anniversaire de la bataille de Vertières, en un lieu hautement symbolique de l’histoire de l’esclavage et de la traite, le Quai de Valongo à Rio, première destination de la traite atlantique.

• Après Thiaroye, Haïti attend aussi la reconnaissance de la France, publié le 15 décembre 2024. 

Reprise d’un billet de Blog publié sur Mediapart le 11 décembre 2024 dans lequel Pierre Ruth et Charles Sadrac, membres fondateurs du Haut Conseil de Coopération et de Développement, interrogent les autorités françaises.

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