La Fondation pour la mémoire de l’esclavage, instituée dans la foulée de la Loi Taubira (2001) et présidée par l’ancien Premier ministre Jean-Marc Ayrault, estime dans une déclaration que la France ne saurait rester à l’écart du débat général sur la question des réparations de l’esclavage.

Le conseil d’administration de la FME appelle à ouvrir en France le débat sur les réparations de l’esclavage
Le 25 juin 2025, le conseil d’administration de la Fondation a adopté à l’unanimité une déclaration sur les réparations. Cette déclaration fait suite aux débats des 3èmes Ateliers de la Fondation qui se sont tenus le 7 décembre 2024 sur le thème « Connaître Reconnaître Réparer ». Après avoir décidé de publier sur le site internet de la Fondation les comptes-rendus de ces rencontres qui ont réuni les membres de toutes instances de la FME, le conseil d’administration de la Fondation appelle par cette déclaration à l’ouverture en France d’un débat sur les réparations de l’esclavage.
Déclaration du conseil d’administration de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage
sur les réparations
Nous, membres du conseil d’administration de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage,
appelons à l’ouverture en France d’un débat sur les réparations de l’esclavage. Un an avant le 25ème anniversaire de la loi Taubira par laquelle la France a reconnu l’esclavage et la traite comme crimes contre l’humanité, et à l’heure où le Parlement s’apprête à délibérer de l’abrogation symbolique du Code Noir, il est essentiel non seulement d’ouvrir le débat sur l’influence que l’esclavage colonial continue d’exercer sur la société française, mais surtout que ce débat soit l’occasion d’apporter des réponses concrètes et pas uniquement symboliques aux problèmes actuels de notre pays, en outre-mer comme dans l’Hexagone, ainsi que dans nos relations avec le reste du monde.
Depuis plusieurs décennies en effet, un mouvement s’est levé sur toute la planète pour demander aux anciennes puissances qui ont pratiqué l’esclavage colonial de reconnaître les dommages que ce système a causés et de réparer ses conséquences persistantes. Ce mouvement s’est accéléré ces dernières années : depuis 2020 en effet, de nombreuses initiatives se sont succédé sur tous les continents et font que, longtemps perçues comme marginales, ces revendications sont devenues aujourd’hui un enjeu politique majeur.
Au niveau multilatéral, la question des réparations est désormais posée dans les instances des Nations Unies et par ses hauts responsables (Antonio Guterres en 2023, Volker Türk en 2024), ainsi que par plusieurs organisations régionales comme la CARICOM, dont le plan en 10 points adopté en 2014 fait désormais référence dans la conversation mondiale sur ce sujet, la CELAC en 2023, l’Union Africaine en 2025. Au niveau des Etats, des gestes importants ont été posés par plusieurs gouvernements (les Pays-Bas, depuis 2022, le Brésil, depuis 2023) ainsi que par de nombreuses institutions privées (églises, universités, journaux, banques, jusqu’aux membres de certaines familles ayant des liens avec cette histoire…).
Nous considérons que la France ne peut rester hors de ce mouvement. D’abord parce que quatre millions de personnes ont été victimes de l’esclavage dans l’espace colonial français entre le 16ème siècle et 1848. Ensuite parce que les héritages de cette histoire continuent de marquer la société française, dans les outre-mer comme dans l’Hexagone, d’une multitude de manières. Enfin parce que ces héritages sont aussi un enjeu dans les relations de la France avec ses anciennes colonies, en premier lieu avec Haïti.
Dans la suite des troisièmes Ateliers de la Fondation, réunion des membres de toutes ses instances qu’elle a tenue le 7 décembre 2024 sur le thème des réparations et dont les comptes-rendus ont été mis en ligne en février 2025, nous appelons le gouvernement français à s’engager résolument dans une démarche de justice réparatrice. Cette démarche globale a vocation à être menée en lien avec les territoires et les populations concernées, et doit avoir pour but d’effacer les derniers stigmates de la société coloniale esclavagiste dans le fonctionnement de la société française, en Hexagone et outre-mer, comme dans la relation de la France avec les pays issus de ses anciennes colonies.
Ce travail a vocation à se déployer autour d’au moins quatre aspects :
- Un volet international, dont la priorité des prochains mois est le travail engagé avec Haïti sur la reconnaissance par la France de l’injustice fondamentale de la double dette de 1825 et les conséquences à tirer de cette reconnaissance
- Un volet concernant les outre-mer, afin de corriger ce qui dans le fonctionnement de ces sociétés et de leurs économies renvoie encore aux injustices et inégalités du temps de l’esclavage colonial
- Un volet concernant l’ensemble de la société française, et visant notamment à donner une plus grande ambition et une plus grande efficacité aux politiques de lutte contre le racisme anti-noirs dont les préjugés ont été formés au temps de l’esclavage
- Enfin, un volet concernant spécifiquement les arts, la culture et le patrimoine, afin de mieux protéger et mettre en valeur le patrimoine lié à cette histoire ainsi que les œuvres des artistes qui s’en inspirent, jusqu’à aujourd’hui.
Nous considérons que cet effort de l’Etat doit être relayé par les autres acteurs publics et privés concernés : les institutions financières telles que la Caisse des Dépôts et vonsignations et la Banque de France, qui doivent s’associer à cette démarche comme l’ont fait des institutions financières similaires d’autres pays (Brésil, Pays-Bas, Royaume-Uni), les collectivités locales et leurs établissements, qui doivent être soutenues par l’Etat à travers notamment la création d’un label plusieurs fois annoncée mais jusqu’à présent jamais mise en œuvre, les médias dont le rôle est essentiel pour partager cette histoire et en faire connaître les enjeux, les entreprises et personnes privées, qui doivent être incitées à faire don de leurs archives à l’instar des descendants d’Eugène Huet de Froberville.
Les réparations ne pourront jamais corriger le passé mais, pensées ainsi, elles nous aideront à mieux répondre aux enjeux du présent, et à améliorer notre avenir en commun