La Fondation pour la mémoire de la guerre d’Algérie installée le 19 octobre
La Fondation pour la mémoire de la Guerre d’Algérie, des combats du Maroc et de la Tunisie, sera installée aux Invalides le mardi 19 octobre par le secrétaire d’Etat à la Défense et aux Anciens Combattants Hubert Falco, annonce lundi un communiqué du ministère.
Voulue par l’ancien président Jacques Chirac, cette fondation a été inscrite dans la loi du 23 février 2005 «portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés».
L’idée avait cependant fait long feu en raison des tensions soulevées, en France comme en Algérie, par des dispositions de l’article 4 de la loi, abrogées depuis, qui recommandaient aux enseignants de vanter auprès de leurs élèves «les aspects positifs de la colonisation».
En décembre 2007, Nicolas Sarkozy en avait relancé l’idée jugeant que «cette fondation devra aider à la réconciliation des mémoires : mémoire des anciens combattants, mémoire des rapatriés, mémoire des harkis, mémoire des Algériens, mémoire des historiens».
«Au terme de plusieurs mois de travaux préparatoires, cette Fondation a été reconnue d’utilité publique par un décret du 3 août 20101. Elle sera installée aux Invalides par Hubert Falco le mardi 19 octobre. A cette occasion, son premier conseil d’administration se réunira et élira son président», indique un communiqué du secrétariat d’Etat à la Défense.
Il existe en France plusieurs fondations mémorielles créées autour de la Seconde Guerre mondiale (fondations pour la Mémoire de la Shoah, Charles de Gaulle ou de la France Libre). «Leur travail permet l’accès d’un large public à la compréhension d’une époque douloureuse.»
«C’est en s’inspirant de leur modèle qu’a été conçue la Fondation pour la mémoire de la guerre d’Algérie, des combats de Tunisie et du Maroc», indique le texte ministériel.
Elle bénéficiera d’une dotation en capital de 7,2 millions d’euros apportés par l’Etat ainsi que par trois associations d’anciens combattants: la Fédération nationale André Maginot, les « Gueules cassées » et Le Souvenir français.
Jean-Charles Jauffret : “Avec la fondation pour la mémoire de la guerre d’Algérie on va fortifier les ultras”
Comme chercheur, je pourrais me réjouir de la création d’une fondation qui devrait être, selon Hubert Falco, «au service de l’histoire» et qui «aura pour mission de faciliter l’accès du public aux archives, de favoriser les travaux scientifiques français et internationaux, et de transmettre la mémoire d’une période souvent mal connue». Mais en réalité, depuis son origine, ce projet est orienté. Il est motivé par des visées électoralistes pour soigner un public, encore assez puissant, de nostalgiques de l’Algérie française, proches du Front national. Avec cet outil, on va fortifier les ultras. En ligne de mire, il y a évidemment l’élection présidentielle de 2012.
Fondation pour la «mémoire»…Comme historien, déjà, je m’interroge. Notre vocation à nous, scientifiques, est d’écrire l’histoire. Comme dit mon collègue Pierre Nora, «la mémoire divise, l’histoire rassemble».
Gilbert Meynier, Benjamin Stora, Jean-Pierre Rioux… nombre d’historiens sérieux, dont le travail sur cette période est reconnu, ont refusé, comme moi, d’entrer au conseil scientifique de cette fondation.2
Au lieu d’être un outil au service des scientifiques, cette fondation risque de capter des fonds d’archives privés dans des conditions que nous ne connaissons pas. En plus, elle va coûter cher à l’heure où des équipes du CNRS, par exemple, peinent à trouver de l’argent.
Harkis : une fondation sous influence militaire3
co-fondatrice de l’association Harkis et droits de l’Homme
Le 31 mars 2007, le candidat Nicolas Sarkozy déclarait : «Si je suis élu président de la République, je veux reconnaître officiellement la responsabilité de la France dans l’abandon et le massacre de harkis, afin que l’oubli ne les assassine pas une deuxième fois»4. Trois ans après, il n’a toujours pas tenu son engagement. Hier, 20 septembre 2010, un communiqué du ministère de la Défense annonçait que la «Fondation pour la mémoire de la guerre en Algérie, des combats au Maroc et en Tunisie », prévue par la loi du 23 février 2005 «portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés», sera installée aux Invalides le mardi 19 octobre par le secrétaire d’Etat à la Défense et aux Anciens Combattants, Hubert Falco. Cette fondation n’a jamais été demandée par les familles de harkis, elle est même très souvent rejetée. Que vient faire cette annonce lors d’une journée dédiée aux harkis?
Lorsque l’association «Harkis et droits de l’Homme» et d’autres rappellent aux hommes politiques l’engagement du chef de l’Etat, ceux qui sont au pouvoir aujourd’hui répondent aussi inlassablement : fondation, fondation, fondation… Une lettre-type, signée par un haut gradé de l’armée en poste à l’Elysée est systématiquement envoyée aux associations qui se rappellent à son bon souvenir. De même, une réponse-type, signée par Hubert Falco, secrétaire d’Etat aux anciens combattants, est utilisée pour (ne pas) répondre aux parlementaires qui, par une question écrite, s’inquiètent de la mise en oeuvre de l’engagement du Président. De qui se moque-t-on ? Les harkis ont si souvent servi de pions aux mains du colonisateur, puis des nostalgiques de l’Algérie française. Il risque bien d’en aller de même avec une fondation aux mains des militaires.
Certes, Hubert Falco assure que «la Fondation ne sera l’otage de personne», que les historiens, français et « de toutes nationalités », pourront y travailler, loin de toute pression. Mais trois places du conseil d’administration sont d’ores et déjà réservées à trois associations, qui, ensemble, apportent plus de 60% du budget total : les «Gueules cassées», la Fédération Nationale André Maginot et le Souvenir français, toutes trois présidées par d’anciens généraux de l’armée française ayant combattu en Algérie. Un seul exemple: le vice-président des Gueules cassées, le général Bertrand de la Presle, est signataire du « Manifeste des 521 officiers généraux ayant servi en Algérie », où il est dit : «Nous tenons d’abord à affirmer que ce qui a caractérisé l’action de l’armée en Algérie ce fut d’abord sa lutte contre toutes les formes de torture, d’assassinat, de crimes idéologiquement voulus et méthodiquement organisés.» Quand on connaît les exactions de l’armée française (et celles du FLN), on croit rêver !
Aujourd’hui, alors que l’histoire des harkis est mieux connue, il est temps de passer de la compassion à une vraie reconnaissance, celle de la responsabilité, comme cela a été fait pour d’autres drames humains du 20ème siècle. Drames incomparables les uns aux autres sur le plan collectif, mais aussi douloureux sur le plan individuel.
Paris le 21 septembre 2010
- Décret du 3 août 2010 du ministère de l’Intérieur, NOR : IOCD1014722D.
- Voir 1116.
- Une version légèrement différente de ce texte paraît dans l’édition de Libération datée du 21 septembre, qui est reprise sur le site Harkis et Droits de l’Homme : la troisième phrase du premier paragraphe n’est pas la même et cela tient au fait que l’article publié dans Libération avait été écrit avant la diffusion du communiqué du SEDAC.
- [Note de LDH-Toulon] – Voir cette page : 3666.