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Édition du 15 novembre au 1er décembre 2024

La bombe, c’est comme un soleil qui se couche – mais avec une lueur qui reste

Tandis que les États-Unis et la Grande-Bretagne ont reconnu que leurs essais nucléaires ont contaminé les populations qui y furent exposées, la France s'est longtemps réfugiée dans le silence. Au début des années 90, Michel Daeron est allé filmer ces populations tahitiennes marquées corps et âmes par la bombe mais qui souvent dépendent d’elle économiquement. Il a réalisé le documentaire Moruroa, le grand secret2. Son texte que nous publions ci-dessous illustre bien les raisons et les conséquences de la création d’une catégorie d’archives non communicables.

Petits meurtres incommunicables

par Michel Daeron

Lorsqu’en 1993 je décidais de réaliser un film documentaire sur les
essais nucléaires français à Tahiti, si les filatures, écoutes téléphoniques et intimidations de témoins se révélèrent une réalité choquante et inattendue dans l’exercice de mon métier de documentariste, il me faut reconnaître aujourd’hui, à la lumière des débats sur le nouveau projet de loi sur les archives, que derrière le secret bien gardé des essais nucléaires et le mépris conséquent qu’affichent les gouvernants pour la mémoire de leurs actes, se cache une traque atavique et sans merci à l’encontre d’une délinquante insoupçonnée : l’Histoire.

L’Histoire est une criminelle et l’article 11 créant une catégorie d’archives
incommunicables peut s’interpréter comme le rétablissement de la peine
de mort pour punir sa dérive terroriste si l’Histoire prend pour envie
soudaine de visiter les archives dont “ la divulgation pourrait permettre de concevoir, de fabriquer, d’utiliser ou de localiser des armes de destruction massive – nucléaires, biologiques, chimiques ou bactériologiques”. La simple demande de levée du secret défense sur les dossiers médicaux des Tahitiens ayant travaillé à Moruroa entraînera la peine capitale puisqu’en permettant la localisation des lieux contaminés dont le nettoyage aura été confié aux vaillants insulaires elle permettra aussi celle des armes nucléaires ayant servi aux essais. Incommunicable donc le dossier médical de Pierre qui l’aurait aidé à comprendre pourquoi son enfant est né sans anus, incommunicable à son enfant lui-même qui aurait pu utiliser ce dossier pour mieux se soigner, mais incommunicable aussi aux enfants de ses enfants, incommunicable dans dix mille ans, qui voudra comprendre alors pourquoi Pierre décéda d’un cancer peu après le tournage.

Pauvre Edwin, lui non plus ne se sentait pas très bien lors de son
interview, il se considérait comme un survivant, presque coupable d’avoir
vu disparaître tant d’autres collègues qui comme lui, avaient succombé à
la dégustation des crustacés du lagon. Que l’Histoire se tienne à carreau
et la Science aussi si elles venaient à s’associer pour mettre en relation
taux de radioactivité des crustacés et sites d’explosions atmosphériques
ou souterraines, taux de malformation des nouveaux-nés et proximité des lieux de tirs, l’article 11 les attend au tournant. Edwin n’aura pas le temps d’en apprécier la portée, puisque lui aussi succombera à une mort
prématurée, un “arrêt du coeur” comme on dit à Tahiti dès qu’il s’agit d’un ex-travailleur de Moruroa.

Vraiment ces années 90 étaient des années d’or, on pouvait encore oser
quelques missions soit-disant impartiales comme la farouche épopée du
commandant Cousteau qui à l’époque a pu s’adonner à quelques
prélèvements dans le lagon, mais là où l’armée lui imposait de prélever, il s’entend. Le conseil de ce spécialiste américain à qui je demandais
comment des scientifiques confirmés pouvaient affirmer que la
radioactivité naturelle du Massif Central était plus préoccupante que celle de Moruroa : “dîtes-moi qui vous paye, je vous dirai ce que vous
trouverez”, parait aujourd’hui bien dépassé. Bien sûr, il existera toujours
des dérogations pour quelques dérogeants disposés, mais même
l’argent, dans un pays qui, comme la France, figure en tête du hit parade
des archives audiovisuelles les plus chères du monde (aux Etats-Unis,
elles sont gratuites), cet argent n’y fera rien. Les missions d’évaluation au financement douteux et aux résultats complaisants sont dorénavant
impossibles, leur essence est incommunicable.

Finalement, à la réflexion, quelle différence peut-on voir entre des
missions complaisantes et pas de missions du tout, entre des archives
jamais communiquées et des archives incommunicables ? Si on donne la
parole à l’accusée, l’Histoire, elle répondra qu’elle préfère mourir sur la
potence plutôt qu’avoir à choisir entre la peine capitale et la réclusion
perpétuelle. On la comprend, mais jusque dans l’Assemblée Nationale,
des âmes sensibles se réjouissent de la possibilité offerte pour les agents spéciaux de voir leurs actes classés incommunicables à ce jour, basculer dans le camp des peines incompressibles et devenir accessibles au bout de cent ans1. Dans cent ans, ce gendarme tahitien qu’on ne pût filmer car un de ces agents spéciaux l’avait menacé de suspendre les soins militaires prodigués contre son cancer moruroesque s’il acceptait de témoigner, dans cent ans, ses petits-enfants pourront découvrir qu’il s’agissait d’une mission … couverte par le secret défense et donc non communicable avant une peine de sûreté supplémentaire de 75 ans.

Personnellement, je me range du côté de l’Histoire, la réclusion à vie, non merci. Dans les deux ans qui ont suivi le tournage du film, la majeure partie des témoins qui relataient leur expérience à Moruroa avait disparu à la suite “d’un arrêt du coeur”. Le film, même s’il évoque un faisceau de suspicions, n’a pu apporter aucune preuve irréfutable des méfaits probables de la bombe sur la santé des populations tahitiennes. Même si celà n’empêcha pas le ministre de la Défense, après avoir essayé d’en empêcher la diffusion, de déclarer devant l’Assemblée Nationale que ce film était “un mauvais coup porté contre la France”, le coup porté à la population tahitienne par notre incapacité à l’éclairer sur les mauvais coups que nous lui avons fait subir, ce coup passe à la trappe. Qu’on aille chercher l’Histoire dans sa cellule, l’Histoire, entendons là notre histoire, en vertu de l’article 11 et des cent mille autres articles passés et à venir, le coup qu’on lui prépare aujourd’hui et qu’on mijotait depuis longtemps, ce coup n’est ni bon ni mauvais, simplement fatal.

Michel Daeron

Brève histoire de l’industrie nucléaire en France

[par Greenpeace ]

En France, c’est sous l’impulsion de Général De Gaulle que le nucléaire fera son apparition. Le Général qui voulait faire de la France à nouveau une puissance mondiale, créa le Commissariat à l’Energie Atomique (le CEA) en 1945. Son objectif : mettre au point la bombe atomique française.

Le désert algérien dans les années 60, puis les atolls de Fangataufa et Mururoa dans l’océan Pacifique serviront de terrain d’essais. La France a effectué 210 essais nucléaires. Les derniers ont eu lieu entre septembre 1995 et janvier 1996, déclenchant une légitime contestation mondiale. Mais notre pays si prompt à donner des leçons de morale, est généralement sourd quand il s’agit de souveraineté nationale.

En 1974, alors que le nucléaire est déjà sur une voie de garage aux Etats-Unis, la décision est prise, dans la discrétion d’un salon privé, d’un vaste programme électronucléaire connu sous le nom de « plan Messmer ». Ce programme, digne d’un plan quinquennal soviétique prévoyait la construction de 3 réacteurs par an!

A cette époque, la France disposait déjà de quelques réacteurs, mais ceci étaient destinés à la production de plutonium pour la bombe. Pour les nouveaux réacteurs, le gouvernement français d’alors a choisi une technologie américain, provocant un vrai émoi au sein du CEA.

Ce programme a fait de la France le pays le plus nucléarisé au monde. La connivence entre l’appareil d’Etat et l’industrie nucléaire n’a laissé aucune chance aux mouvements de contestation souvent sévèrement réprimés. En l’absence de démocratie, la désinformation et le mensonge ont aussi eu raison de l’opinion publique.

Aujourd’hui la situation a changé. L’opinion publique a pris conscience du danger nucléaire. Reste a convaincre les politiques toujours sensibles aux sirènes du lobby.

  1. Assemblée nationale 2ème séance du 29 avril 2008.
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