Il y a aujourd’hui plus de quarante ans que les trahisons et les crimes qui ont accompagné la fin de la guerre d’Algérie ont eu lieu.
Ceux qui ont connu cette époque ont tendance à l’oublier.
Elle est pleine de trop mauvais souvenirs, à commencer par la félonie de quelques officiers trahissant leur mission pour organiser l’assassinat d’innocents et le terrorisme qui frappa des femmes et des enfants au nom de « l’organisation armée secrète ».
Cette crise finale, venant après tant de drames, a tendance à disparaître de nos souvenirs. Ceux qui n’étaient pas nés ou qui étaient trop jeunes à l’époque, il y a une ou même deux générations, n’ont pas tellement de raisons de connaître ces faits. Si la crise a été très violente, elle a été assez brève et ceux qui l’ont traversée ont souvent préféré tourner la page.
Il y a pourtant un devoir de mémoire à l’égard des hommes et des femmes qui, après avoir passé leur vie au service de la collectivité, dans l’enseignement, dans l’administration publique ou dans la police nationale, ont été tués par des traîtres.
Ce sont aujourd’hui deux fils qui témoignent à la mémoire de leurs pères assassinés :
Le fils du Commissaire Gavoury que j’avais eu l’occasion de rencontrer à Alger pendant mon service militaire, et le fils de Salah Henri Ould Aoudia – l’un des responsables des célèbres « centres sociaux », qui faisaient notre admiration sous l’impulsion de Germaine Tillion.
Mais plusieurs dizaines d’autres fonctionnaires, enseignants, policiers, ou militaires loyaux ont été assassinés par l’OAS en 1962. L’OAS a aussi brûlé des écoles et détruit par incendie les centaines de milliers de livres de la bibliothèque universitaire d’Alger.
Quelles que soient à présent les conséquences juridiques des lois d’amnistie, ces crimes là sont aussi ineffaçables que l’honneur des serviteurs de l’Etat dont ils ont provoqué la mort et auxquels il est juste de rendre hommage.
13 février 2006
ancien ministre.
Les pages que rédigent ici des fils d’assassinés par l’OAS sont plus encore qu’une mémoire, un livre de notre Histoire escamotée. Car le silence fourbit l’injustice, et la forfaiture élève les sanglants exécuteurs, ces héros de pacotille, en des martyrs de mensonge. Notre République réassassine les innocentes victimes et nihilise la grandeur de leurs serviteurs. L’honneur de ces hommes qui servirent l’État avec une loyauté, une éthique, est piétiné.
Dans le cas présent, les six inspecteurs des Centres sociaux éducatifs «exterminés», tout comme le commissaire Gavoury massacré, sont les victimes d’un crime imprescriptible et tout honnête homme doit demander raison.
Si les deux fils de victimes de ces exécuteurs – ayant eu l’affront de revendiquer d’avoir servi la France – ne s’étaient pas indignés, nul sinon peu n’aurait conçu d’annihiler l’hommage à l’insupportable et à l’injustice.
Notre patrie s’implique dans son avenir et sa jeunesse sera à l’image de la volonté d’Etat que justice, vérité et honneur soient de son Histoire. C’est le pari de cet ouvrage et l’engagement de ces fils de notre République.
- Jean-Philippe Ould Aoudia, né le 4 septembre 1941 à Alger. Son père fut l’un des six inspecteurs des Centres sociaux éducatifs assassinés par l’OAS, le 15 mars 1962. Le combat qu’il mène s’inscrit dans la fidélité à la mémoire de son père et aux valeurs que lui et ses collègues ont enseignées.
- Jean-François Gavoury, né le 16 mai 1950 à Charleville. Orphelin de guerre et pupille de la Nation, il s’engagera au service de l’Etat. Son combat d’aujourd’hui : la protection de l’honneur de son père contre les souillures d’une OAS réincarnée.
Face à l’exaltation de l’OAS, l’État indigne
par Charles Silvestre, L’Humanité du 17 mars 2006
Vous vous appelez Jean-Philippe Ould Aoudia. Votre père, Salah Ould Aoudia, instructeur des centres sociaux en Algérie, a été criblé de balles, le 15 mars 1961. Vous apprenez que le chef des assassins voit sa mémoire honorée en juillet 2005, à Marignane. Vous êtes Jean-François Gavoury. Votre père, Roger Gavoury, commissaire central d’Alger, a été lardé de coups de couteau le 31 mai 1961. Vous apprenez que l’un des tueurs et son complice figurent sur la même stèle du cimetière de Marignane.
Jean-Philippe Ould Aoudia et Jean-François Gavoury ont appris autre chose, peut-être encore plus grave : au printemps 2005, alors que
s’annonçait la provocation des nostalgiques de l’OAS, assassins de la mémoire de ses victimes, Christian Frémont, préfet des Bouches-du-Rhône, Hamlaoui Mékachéra, secrétaire d’État aux
Anciens Combattants, Nicolas Sarkozy, ministre de l’Intérieur, Dominique de Villepin, chef du
gouvernement, Jacques Chirac, président de
la République, ne trouvaient rien à redire à cet hommage insensé. Ils ne trouvaient même pas à
redire à l’exaltation d’un autre assassin qui fut à deux doigts, le 22 août 1962, d’abattre le général de Gaulle avant que celui-ci ne fasse exécuter les quatre : Degueldre, Dovecar, Piegts, et Bastien-Thiry.
Pour obtenir l’interdiction du rassemblement de Marignane, le 6 juillet 2005, mais pas de la stèle érigée la veille, il aura fallu une lutte épuisante que retracent les deux fils dans leur livre. Livre
cauchemar, livre courage, dédiée à une soeur,
Madeleine Ould Aoudia, qui, sur place, indignée et muette, se fit cracher dessus par une horde
écumante de haine.
Il y a eu, au début des années soixante, dans une France qui, à Alger, portait encore ce nom, des petits Pinochet en puissance. À l’origine des centres sociaux, l’anthropologue Germaine
Tillion les a exécutés en quelques mots, parlant « des calculs imbéciles des singes sanglants qui font la loi à Alger ».
Algériens et Français, les six instructeurs
mitraillés à Château-Royal, du nom du lieu du crime perpétré le 15 mars 1962, et le commissaire massacré pour avoir tenu à éviter le pire entre les communautés restent au-delà de la mort comme les arches d’un pont entre les deux pays, un vivant traité d’amitié avant la lettre de celui qui se cherche aujourd’hui et qui leur devra tant.