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Édition du 15 novembre au 1er décembre 2024
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inauguration d’une stèle en mémoire de tous ceux qui ont été “retenus” au CRA de Rivesaltes

Depuis un an, le centre de rétention administrative (CRA) de Rivesaltes est fermé et remplacé par un nouvel établissement situé à Torremila, dans le voisinage immédiat de l'aéroport. Au cours de ses 22 années de fonctionnement le CRA de Rivesaltes a vu passer des « milliers d'hommes et de femmes dont le seul tort était d'être étrangers». C'est en leur mémoire qu'a été inaugurée à Rivesaltes le 13 décembre 2008 une stèle que la CIMADE avait fait ériger avec l'accord du conseil général. En mémoire de tous ceux qui, après avoir quitté leur pays d’origine, la misère et les violences, y ont été « retenus » dans l'attente de l’avion ou du bateau qui devait les ramener « chez eux » – voyez des témoignages sur la rétention à Perpignan. Mise en cause par le responsable UMP du département, puis par la préfecture des Pyrénées-orientales, la CIMADE devait fermement répliquer par la voix de son délégué en Languedoc-Roussillon : «nous ne pouvons pas laisser dire par le préfet que nous insultons la République, la vérité et l'histoire».

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Communiqué de la CIMADE

Une stèle en mémoire des migrants du centre de rétention administrative de Rivesaltes

Le 15 décembre 2008

A Rivesaltes, au nord de Perpignan, se trouve le camp Joffre, un ancien terrain militaire, aujourd’hui désaffecté pour sa majeure partie. Cela n’a pas toujours été le cas : près de 20 000 personnes y ont été internées durant la Seconde Guerre mondiale et un nombre plus grand encore après la guerre d’Algérie, lorsque ce camp a servi de lieu de transit pour des familles de Harkis. De 1985 à 2007, d’autres personnes y ont été retenues.

La rétention administrative, qui permet l’enfermement légal des personnes en situation irrégulière en vue de leur expulsion, est créée par la loi du 29 octobre 1981. Le centre de rétention administrative (CRA) de Rivesaltes ouvre ses portes en janvier 1985. Situé sur la partie du terrain utilisée exclusivement par les militaires, le CRA était constitué d’un ensemble de préfabriqués. Durant 22 ans, ce sont plus de 20 000 personnes, majoritairement des hommes, venues des quatre coins de la planète et qui avaient quitté leur pays d’origine, la misère et les violences, qui y ont été placées. « Retenus » sur décision administrative, c’est dans ce centre qu’ils ont attendu l’avion ou le bateau qui devait les ramener « chez eux ».

En décembre 2007, ce centre a été fermé. Non pas pour mettre fin à la rétention et aux reconduites à la frontière mais pour créer près de l’aéroport de Perpignan un nouveau centre : plus grand, plus moderne, avec plus de caméras, plus de grillages et plus de surveillance et de surcroît habilité à « accueillir » des femmes et des familles.

Aujourd’hui, près d’un an après sa fermeture, la Cimade souhaite que l’on se souvienne des milliers de migrants reconduits depuis le centre de Rivesaltes. Une stèle a été inaugurée à leur mémoire le samedi 13 décembre 2008.

«Aux milliers d'hommes et de femmes dont le seul tort était d'être étrangers.»
«Aux milliers d’hommes et de femmes dont le seul tort était d’être étrangers.»

A l’occasion de l’inauguration de cette stèle, le 13 décembre 2008, Jean-Paul Nuñez, délégué national de la CIMADE pour le Languedoc-Roussillon, a prononcé l’allocution suivante, après avoir excusé le président et le secrétaire général de l’association, retenus par un conseil d’administration exceptionnel en raison des tentatives du gouvernement pour limiter la présence de la CIMADE auprès des étrangers dans les centres de rétention (voir cette page) :

Cher(e)s ami(e)s

Nous sommes ici pour parler de rétention et pour marquer ce lieu pour que le passant qui viendra désormais apprenne que dans ce lieu particulier et particulièrement chargé de mémoire, et bien ce passant sache que de janvier 1985 à décembre 2007 des milliers d’étrangers, parce que en situation irrégulière, ont été enfermés ici, pour quelques jours ou pour quelques semaines avant d’être renvoyés, expulsés éconduits, repoussés, évincés, jetés vers les pays dont ils avaient la nationalité…

Nous sommes ici pour marquer ce lieu sans faire de confusion aucune.
J’entends par là que nous savons et nous ne pourrons jamais oublier quel indicible s’est passé ici. La CIMADE était aussi présente à l’époque, essayant, par tous moyens, de sauver jusqu’au bout tous ceux qu’elle pouvait….

Nous pourrions en parler, mais ce n’est pas le sujet d’aujourd’hui.

Par contre, et il nous faut le dire, nous avons toujours trouvé choquant, inconvenant, déplacé que ce lieu de mémoire incontournable pour les générations futures ait servi à d’autres et en particulier à un centre de rétention…

C’est cela aussi que nous tenons à marquer par ce mémorial en forme de porte… Une porte qui indique de façon décisive l’acte de séparer… Une porte qui délimite une France qui se clôt ainsi sur elle-même… Une porte par laquelle on a mis dehors ces milliers d’étrangers. Et des barreaux derrière lesquels s’est accumulée une souffrance indéfinissable…

Cela a eu lieu ici, se rajoutant à d’autres souffrances… Nous nous devions de le marquer.

Nous tenons à remercier particulièrement le Conseil Général et son Président Christian Bourquin, représenté aujourd’hui par son premier vice-président, pour l’autorisation ainsi que le financement de la présente stèle. Nous remercions également au Conseil Général Mme Nicole Mas qui nous a reçus et Mme Marianne Petit. Elles nous ont accompagnés tout le long de la mise en place de ce projet.

Nous remercions, bien sûr, M. Serge Klarsfeld, ce grand défenseur de la cause des déportés juifs de France, qui nous a aidés à l’élaboration du petit texte sur la stèle… et nous tenons à remercier pour son soutien son représentant local M. Philippe Benguigui.

Je mentionnerai M. Ailagasse, maire d’Argelès sur mer qui nous a soutenus dans notre démarche.
Et au delà du groupe local de la CIMADE des Pyrénées Orientales, j’envoie un message de remerciement à toutes les personnes qui nous ont aidés à mener ce projet à bout, notamment les amis de Perpignan qui nous ont mis en contact avec les entrepreneurs…

Jean-Paul Nuñez

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Au cours des jours suivants, l’UMP puis le préfet des Pyrénées-orientales devaient parler de «scandale» et d’«injure à la République» :

L’UMP « scandalisée »

[Le Midi libre, édition du 14 décembre 2008]

L’UMP, par la voix de son secrétaire départemental François Calvet, réagit à l’inauguration de la stèle de la Cimade : « Je viens d’apprendre avec stupeur l’inauguration par la Cimade d’une stèle en mémoire du centre de rétention administratif de Rivesaltes, au camp Joffre, sur des terrains propriétés du conseil général. Cette opération politique qui crée la confusion avec ceux dont la République honorera toujours la mémoire – les déportés juifs, les Espagnols de la Retirada et les Harkis – doit être fermement dénoncée.

« Les centres de rétention administratifs accueillent les personnes entrées illégalement dans notre pays, après un contrôle exercé par les juges administratifs et judiciaires. Ces personnes sont traitées dans le respect des principes fondamentaux de notre République,
définis dans la Déclaration des Droits de l’Homme et dans notre Constitution, à savoir le respect humain et la dignité. Ces centres font l’objet de nombreuses commissions et inspections et la Cimade y participe. Je ne peux être que scandalisé que des conseillers généraux de gauche aient pu cautionner la pose de cette stèle, alors qu’en même temps, M. Bourquin a lâchement abandonné le Mémorial de Rivesaltes ».

____________________________

Le préfet réagit

[Le Midi libre, édition du 16 décembre 2008]

Le préfet des P.-O., Hugues Bousiges, communique. La stèle érigée en mémoire du centre de rétention administratif (CRA) de Rivesaltes, sur le camp Joffre, est une injure à la République, à la Vérité et à l’Histoire.

A la République, car elle témoigne du mépris de nos lois. Elle méconnaît les contrôles exercés par le Parlement, les juges administratifs et judiciaires, de nombreuses commissions et corps d’inspection, le monde associatif, dont la CIMADE au premier rang. Elle est insultante à l’égard de la tradition d’accueil et d’asile de la France dont bénéficient les étrangers et fait fi du droit de tout État de contrôler ses frontières et de protéger ses citoyens.

A la vérité, car l’étranger retenu dans
un CRA bénéficie de la protection de nos lois, est assuré du concours du juge des libertés, peut solliciter l’assistance d’un avocat. Sa dignité et ses droits y sont respectés. Les CRA sont régulièrement inspectés. En préfecture des P.-O. des réunions mensuelles sont organisées avec la CIMADE pour évoquer tous les dossiers présentés par l’association.

A l’Histoire, cette stèle au camp de Rivesaltes tend à faire un amalgame qui est une falsification de l’histoire. Elle assimile les Espagnols de la retirade et les Harkis accueillis par la France et ceux qui sont entrés illégalement dans notre pays et sont reconduits en application des lois de la République. Elle est un outrage à la mémoire des hommes et des femmes emprisonnés, internés ou déportés vers les camps de concentration par un régime de sinistre mémoire.

Le 18 décembre, la CIMADE leur répondait par la voix de Jean-Paul Nuñez, à l’occasion d’une conférence de presse :

La République n’appartient pas aux préfets, ni aux gouvernements de ce pays

En réaction au communiqué de presse du Préfet des Pyrénées-orientales, dans lequel il avance que la CIMADE injurie la République, la Vérité et l’Histoire en déposant une stèle sur le camp Joffre de Rivesaltes, nous aimerions, sans polémique, faire des mises au point.

La CIMADE a tenu à marquer que, sur le lieu de mémoire qu’est le camp Joffre de Rivesaltes, un centre de rétention a été implanté de janvier 1985 et décembre 2007. Des milliers d’étrangers y sont passés.
De façon claire et loyale, la CIMADE a toujours exprimé sa volonté de parler de cette histoire là.

Pour ce faire depuis des mois, nous avons rencontré toutes sortes d’interlocuteurs privés ou publics.

Très concrètement, il y a de la part du Préfet une attitude trouble, pour ne pas dire fourbe de réagir comme il le fait, alors qu’il était parfaitement au courant. Nous sommes ouverts au dialogue et nous pouvions en parler avant.

Nous tenons à dire que l’association du mémorial était au courant. Nous tenons à dire que c’est Serge Klarsfeld lui même qui nous a encouragés et aidés à écrire la plaque de la stèle. Nous tenons à dire que les enfants des Espagnols étaient présents, que l’association des fils et filles des déportés juifs de France était présente, etc…

Ceci étant dit, nous aimerions rappeler au Préfet, que la République, la Vérité et l’Histoire n’appartiennent pas aux Préfets, ni aux gouvernements de ce pays.

En tant qu’association existant depuis novembre 1939, en tant que groupement de citoyens qui s’est trouvé physiquement présent et solidairement actif auprès de tous les groupes qui ont été internés dans le camps Joffre : Espagnols, indésirables, Juifs, Harkis et retenus… Dans les différents contextes nous y avons rencontré et vécu de fait différentes souffrances jusqu’à l’indicible. Personne ne peut dire que nous pratiquons l’amalgame. Nous savons de quoi nous parlons. Par contre l’amalgame ce sont les esprits administratifs qui l’ont pratiqué en installant dans ce lieu de mémoire nécessaire pour les générations futures, en 1985, un centre de rétention pour les étrangers. La CIMADE a toujours trouvé choquant l’utilisation de ce lieu à cette fin. Il y a eu des centres de rétention ailleurs et nous n’avons pas mis de stèle.

Nous aimerions aussi rappeler au Préfet, que c’est la République qui n’a pas accueilli les Espagnols, comme il l’affirme, mais qu’elle les a parqués dans l’inacceptable… c’est la République qui a témoigné du mépris envers ses supplétifs harkis en ne leur faisant pas l’accueil digne du service que ces gens avaient rendu à notre pays.

Nous connaissons parfaitement les lois de la République et nous nous employons à ce qu’elles soient respectées : de là le fait incontestable que nous permettons, depuis 23 ans, à 50% des retenus de sortir car injustement enfermés. Et nous savons qu’à tout moment, la République peut se dévoyer comme cela se passe aujourd’hui à Mayotte…

Nous aimerions rappeler au Préfet, concernant la Vérité et l’Histoire, que si le lieu de mémoire existe c’est parce que des citoyens comme nous se sont battus souvent contre l’administration pour qu’il existe. Parce que, ici comme ailleurs, nous tenons à ce que les générations futures sachent ce qui s’est passé dans le camp Joffre et quelle a été l’attitude des uns et des autres face au crime absolu mais aussi avant et après.

Nous ne confondons rien. Nous n’insultons personne car nous, la CIMADE, avons pris notre part dans l’action contre toutes les ignominies.

Par contre, nous pouvons dire au Préfet qu’il est à craindre une pauvreté de conscience quand on est incapable d’oser la repentance.

Et, la CIMADE, à l’aune de ses 70 ans, a appris, pour reprendre les mots du poète, que l’idée de repentance tend à diminuer celui qui la réclame, mais qu’elle grandit celui qui peut la mettre en œuvre.
Nous sommes disponibles pour en parler publiquement.

Jean-Paul Nuñez

«Aux milliers d'hommes et de femmes dont le seul tort était d'être étrangers.»
«Aux milliers d’hommes et de femmes dont le seul tort était d’être étrangers.»
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