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Histoire de la guerre d’indépendance algérienne, par Sylvie Thénault

Dans son dernier livre1, Sylvie Thénault montre l'enracinement national du jeune État en gestation et son antagonisme irréductible avec le système colonial. Présentation par Mohammed Harbi [L'Humanité du 20 juin 2005]

L’enfantement douloureux de l’indépendance algérienne

Ce livre de l’historienne Sylvie Thénault couronne une longue série de publications et innove par rapport aux analyses maintes fois menées sur le conflit franco-algérien. On lui saura gré de donner le maximum d’informations en un minimum de pages et de brosser un tableau substantiel des camps en présence. À l’encontre d’une opinion erronée, aucun d’eux n’arrive à imposer son aspiration au monolithisme. Dans le camp français, où la fusion du national et du colonial dans l’idéologie républicaine reste forte, l’anticolonialisme hypothèque les menées des partisans de la reconquête coloniale. Dans le camp algérien, les tensions internes et les résistances à l’hégémonie du FLN, celle du MNA, entre autres, ne sont pas de simples réactions à l’initiative révolutionnaire.

En privilégiant la problématique de l’irréductibilité de l’identité algérienne à l’identité française, vigoureusement affirmée par Messali Hadj, alors membre du PCF, en 1927, et par Benbadis, leader des oulémas en 1936, Sylvie Thénault nous épargne le discours tant de fois ressassé sur les occasions perdues. Son choix des critères qui caractérisent la guerre ne laisse aucune ambiguïté sur la nature du conflit. Il s’agit d’« une guerre d’où est sortie la nature algérienne contre le combat de la France pour sauvegarder l’Algérie française », d’où le choix du titre de l’ouvrage : Histoire de la guerre d’indépendance algérienne. Cette armature théorique l’aide à s’orienter dans le foisonnement des événements et des situations pour rendre compte de l’enfantement douloureux d’un État ayant pour vocation de consolider les bases de la nation. De ce fait, l’Algérie est située dans une trajectoire politique propre, travaillée par des imaginaires sociaux imprégnés d’islam et des expériences politiques spécifiques dont la moindre n’est pas la confrontation, depuis la conquête, avec un peuplement européen acquis dans sa majorité aux thèses coloniales et renforcé dans ses convictions par la réduction du conflit à l’antagonisme entre lui et le peuple algérien musulman. « Le basculement dans la guerre » se produit avec les événements du 20 août 1955, que Sylvie Thénault analyse avec beaucoup de maîtrise. Le chapitre qui traite de l’armée française au combat suscite un intérêt particulier. On réalise en le lisant que les doctrines militaires qui l’inspirent, forgées au cours de la guerre froide, s’inscrivent dans une perspective totalitaire. Sylvie Thénault n’utilise pas ce vocable mais les pratiques mises en oeuvre (regroupement des populations rurales dans des camps, îlotage dans les villes, tortures et liquidations, ouverture de camps den France et en Algérie) mènent droit à une telle conclusion. Rappelons pour mémoire le vocabulaire des théoriciens de la guerre subversive. Y abondent les métaphores de nature médico-chirurgicale. On parle d’ablation des tissus gangrenés, de microbes à tuer, etc., le but étant le contrôle du corps social et, si nécessaire, sa destruction. Aucune distinction n’est faite entre acteurs militarisés et civils. Les développements consacrés à la guerre mettent également à nu les processus qui ont mené l’armée française à des postures prétoriennes et aiguisé les contradictions avec le pouvoir civil et le contingent. La question de savoir « qui gouverne en France » ne sera pas tranchée avec l’insurrection du 13 mai 1958, dont le général de Gaulle s’est servi pour accéder au pouvoir, mais après de multiples soubresauts qui le pousseront à faire le pari de la paix avec les Algériens. Un pari, c’est sûr.

La fin de la guerre suscite encore des controverses passionnées sur l’action de l’OAS, l’exode des Européens, le sort des harkis, le bilan de la tragédie. Sur tous ces sujets, Sylvie Thénault a su montrer que l’historien n’a pas pour tâche d’instruire des procès. Il faut saluer en son ouvrage la qualité du regard porté sur deux sociétés en guerre. Certains chapitres peuvent paraître trop courts. L’approche sous l’angle de l’histoire sociale et culturelle aurait été plus riche d’enseignements, notamment sur le devenir de l’Algérie. Ce ne sont pas là des réserves mais un appel à aller plus loin, si l’accès aux archives qu’elle a si bien utilisées le lui permet.

À noter en fin de volume une chronologie, une abondante bibliographie, une table des crédits et un index des noms. Tout ce qu’il faut au lecteur, aux étudiants surtout, pour s’orienter.

Mohammed Harbi, historien

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