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Édition du 1er au 15 décembre 2024

Haïti : le déni par Emmanuel Macron de notre histoire coloniale

Monument aux héros de la bataille de Vertières, Haïti

Lors d’une conférence de presse donnée à Pointe-à-Pitre le 10 mars 2000, un journaliste posa la question suivante à Jacques Chirac : « Que pense faire la France, la France pays riche qui a eu une de ces colonies ? Que feront d’autres pays pour participer véritablement au développement de Haïti ? ».  La réponse – surprenante – du président fut celle-ci : « Haïti n’a pas été, à proprement parler, une colonie française, mais nous avons effectivement depuis longtemps des relations amicales avec Haïti dans la mesure où notamment nous partageons l’usage de la même langue. Et la France a eu une coopération et a toujours une coopération importante avec Haïti et elle continuera à l’avoir. »

Le grand historien Marcel Dorigny (1948-2021) rédigea en réponse un article intitulé « La bataille de Vertières (18 novembre 1803), vous connaissez ? », soulignant ainsi à quel point ces propos présidentiels témoignaient d’un déni chronique de notre histoire avec Haïti.

Un quart de siècle plus tard, que dire alors des récents propos grossiers du président Macron sur Haïti et les Haïtiens, affirmant le 19 novembre 2024 que ces derniers « sont complètement cons » et qu’ils « se sont détruits eux-mêmes » en changeant de dirigeant ?

Qui plus est en un lieu hautement symbolique de l’histoire de l’esclavage et de la traite, sur le Quai de Valongo à Rio, première destination de la traite atlantique, comme l’a souligné la Fondation pour la mémoire de l’esclavage (FME), et au lendemain de l’anniversaire de la bataille de Vertières ? Se serait-il adressé en ces termes aux citoyens des Etats-Unis à propos de l’élection de Donald Trump et de la désignation de ses futurs ministres ?

Sait-il que les ancêtres de ceux qu’il a insulté sont venus à bout d’une expédition envoyée par Bonaparte après qu’il aient arraché l’abolition de l’esclavage ? Sait-il que « la première défaite de Napoléon, ce n’est ni Bailén en Espagne [juillet 1808], ni Moscou [octobre 1812], mais Vertières en Haïti, le 18 novembre 1803 » (Marcel Dorigny) ? Sait-il enfin l’énorme responsabilité historique de la France, toujours inassumée, dans l’endettement et la pauvreté d’Haïti ?

Qu’il nous soit permis de lui rafraichir brièvement la mémoire.


La bataille de Vertières (Haïti), première défaite de Napoléon

par Eric Mesnard

Illustration 1

En février 1802, sous le commandement du général Victor-Emmanuel Leclerc, beau-frère du Premier Consul, une flotte de 36 navires débarqua à Saint-Domingue une armée de 23 000 hommes ce qui suscita une insurrection de ceux et celles qui avaient imposé de haute lutte l’abolition générale de l’esclavage, depuis l’été 1793[1]. Malgré l’arrestation et la déportation de Toussaint Louverture interné au fort de Joux jusqu’à sa mort en avril 1803, malgré l’envoi de près de 70 000 hommes, malgré le dressage de dogues pour s’attaquer aux Noirs, les troupes françaises furent défaites le 18 novembre 1803 à Vertières par l’ « armée indigène » dirigée par Jean-Jacques Dessalines et François Capois[2].

Un mois et demi plus tard, le 1er janvier 1804, Jean-Jacques Dessalines proclamait l’indépendance d’Haïti : « Citoyens, Ce n’est pas assez d’avoir expulsé de votre pays les barbares qui l’ont ensanglanté depuis deux siècles; ce n’est pas assez d’avoir mis un frein aux factions toujours renaissantes qui se jouaient tour a tour du fantôme de liberté que la France exposait à vos yeux; il faut, par un dernier acte d’autorité nationale, assurer à jamais l’empire de la liberté dans le pays qui nous a vus naître; il faut ravir au gouvernement inhumain, qui tient depuis longtemps nos esprits dans la torpeur la plus humiliante, tout espoir de nous ré asservir; il faut enfin vivre indépendant ou mourir (…) »[3].   

Illustration 2
Guillaume Guillon-Lethière, Le Serment des Ancêtres, 1823, musée du Panthéon national haïtien

Le nouvel État né de la Révolution haïtienne subit les effets de son isolement politique et économique imposé par les  puissances coloniales et les États-Unis. En 1825, le gouvernement haïtien, pour obtenir la reconnaissance diplomatique de l’ancienne puissance coloniale, finit par accepter de verser à la France une indemnité destinée à dédommager les anciens colons de la perte de leurs domaines et de leurs esclaves. Pour ce faire, il dut emprunter auprès des banques françaises, entrant ainsi dans la spirale de l’endettement[4]

Alors quoi que l’on pense des dirigeants actuels de la République haïtienne, il n’est pas digne d’un président d’une République qui a fini, bien tardivement et bien marginalement, par intégrer dans son panthéon les figures des combats contre l’esclavagisme colonial, de tenir des propos aussi méprisants. La vraie dignité n’est-elle pas de transmettre l’histoire d’une révolution anticoloniale et antiesclavagiste et, surtout, d’exprimer, dans un contexte de grande détresse, notre solidarité avec le peuple haïtien ?

[1] Face à l’insurrection des esclaves de Saint-Domingue depuis août 1791, les commissaires envoyés par la Convention proclamèrent l’abolition de l’esclavage à la fin de l’été 1793 (le 29 août 1793, pour la province du Nord, et le 21 septembre, pour celles du Sud et de l’Ouest). Le 16 pluviôse an II (4 février 1794), la Convention confirma cette abolition et la généralisa pour toutes les colonies françaises.

[2] Jean-Pierre Le Glaunec, L’armée indigène – La défaite de Napoléon en Haïti, Lux éditeur, 2014.

[3] Jean-Jacques Dessalines, ancien esclave qui avait vaincu les troupes françaises commandées par Rochambeau, fut proclamé empereur en février 1804. Il promulgua une Constitution le 20 mai 1805. Son  règne fut bref. Après son assassinat, en 1806,  ses principaux lieutenants se disputèrent la succession, sur fond d’opposition entre Noirs et Mulâtres. Henri Christophe devint roi au Nord, tandis que Pétion devint président de la République au Sud

[4] Le 11 juillet 1825, sous la menace d’une escadre de 14 vaisseaux et 500 canons, le président haïtien Jean-Pierre Boyer se résigna à signer un traité avec Charles X. Celui-ci reconnut l’indépendance de l’ancienne colonie en échange d’une indemnité de 150 millions de franc-or qui fut  ramenée à 90 millions en 1838. Les Haïtiens l’acquittèrent par échéances jusqu’en 1888. Le paiement des intérêts de la dette ne cessa qu’en 1952, entravant grandement les finances publiques d’Haïti et son développement.


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