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Édition du 1er au 15 décembre 2024

Guadeloupe : disparition de Pierre Sainton, figure emblématique de la lutte anticolonialiste

Le docteur Pierre Sainton est décédé en Guadeloupe le 9 décembre 2018 à l’âge de 94 ans. Il avait été arrêté lors de la répression de mai 1967 (Mé 67) sur l'instigation du préfet Pierre Bolotte, qui avait été préfet à Alger lors de la Grande répression de 1957. Pierre Sainton médecin généraliste à Capesterre, militant nationaliste à vie, était connu pour avoir fondé en juin 1963 à Paris avec d’autres Guadeloupéens, le GONG (Groupe d’organisation nationale de la Guadeloupe) qui se réclamait du tiers-mondisme et d’un marxisme-léninisme tendance maoïste. D’abord né dans la clandestinité après la dissolution du Front antillo-guyanais pour l’autonomie, le GONG est devenu légal quand il s’est installé en 1964 en Guadeloupe.

Guadeloupe : disparition de Pierre Sainton, figure emblématique de la lutte anticolonialiste

par Michelle Zancarini-Fournel, « Contretemps », 12 décembre 2018.

« L’oubli offense, et la mémoire, quand elle est partagée, abolit cette offense. Chacun de nous a besoin de la mémoire de l’autre, parce qu’il n’y va pas d’une vertu de compassion ni de charité, mais d’une lucidité nouvelle dans un processus de la Relation. Et si nous voulons partager la beauté du monde, si nous voulons être solidaires de ses souffrances, nous devons apprendre à nous souvenir ensemble. »

  • Édouard GLISSANT, Une nouvelle région du monde, Gallimard, 2006.

Dans le contexte de la guerre d’Algérie, les étudiants antillais, regroupés dans des associations étudiantes, menaient depuis la métropole un combat anticolonialiste. Pierre Sainton avait été secrétaire du Comité de liaison des étudiants coloniaux de Paris et responsable aux affaires extérieures de l’Association générale des étudiants guadeloupéens. Il avait en effet repris à près de trente ans des études à la faculté de médecine.

Le GONG développe sa propagande auprès des Antillais de métropole et de Guadeloupe avec pour mot d’ordre la libération nationale. Il obtient le soutien du Parti communiste belge prochinois (dirigé par Jacques Grippa) pour imprimer son journal, des affiches et des tracts. De retour sur l’île, Pierre Sainton prononce le 30 mai un discours sur la stèle (érigée en 1948, lors du centenaire de la seconde abolition de l’esclavage) qui commémore le sacrifice de Louis Delgrès (1766-1802) et de ses compagnons, au lieu-dit du Grand Parc Matouba, à Saint-Claude en Guadeloupe, comme il est relaté dans son autobiographie parue en 2008 : « J’ai commencé par saluer la mémoire de Delgrès, ainsi que celles de Massoteau, Ignace et du régiment sacrifié. Je rappelai la haute valeur symbolique de l’acte de Delgrès, son appel intense de désespoir aux générations futures et le retentissement magnifique de leur exemple dans le monde entier. Je continue en annonçant la création du GONG, mouvement de libération nationale de la Guadeloupe qui doit continuer la lutte de Delgrès pour la Liberté. J’ajoute : “L’homme naît libre ; il a des droits humains, légitimes et sacrés, des droits nationaux, des droits internationaux.” Je déclare solennellement, sur la stèle de Delgrès, que le GONG entame dès aujourd’hui 30 mai 1964, en Guadeloupe, sur le sol national, la lutte de libération1. »

Lors de la campagne électorale pour les législatives en mars 1967, Pierre Sainton n’arrive pas à récupérer des affiches du GONG, proclamant vouloir « briser les urnes colonialistes » et « conquérir l’indépendance nationale » qui devaient arriver par bateau, mais avaient été saisies sur le port de Pointe-à-Pitre par la police. Il est accusé par les autorités en 1967 d’être l’organisateur d’un complot contre l’État et de l’unité de la nation à deux reprises : après mars 1967 et l’épisode de révolte urbaine à Basse-Terre consécutive à une agression raciste en s’appuyant aussi sur le texte des affiches et des tracts saisis, puis en mai 1967 à Pointe-à-Pitre après la grève des travailleurs du bâtiment quand les forces de police ont tiré sur les manifestants provoquant la mort d’au moins huit personnes identifiées (et sans doute beaucoup plus).

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Michelle Zancarini-Fournel faisait partie de la Commission d’information et de recherche historique sur les événements de décembre 1959 en Martinique, de juin 1962 en Guadeloupe et en Guyane et de mai 1967 en Guadeloupe, qui a remis en octobre 2016 un rapport à la ministre des Outre-mer, revenant notamment sur l’origine des émeutes de « Mé 67 » à Pointe-à-Pitre : la grève des ouvriers du bâtiment le 26 mai 1967, suivie de la répression armée par la police et du meurtre de Jacques Nestor, un dirigeant syndicaliste et militant du GONG, « visé personnellement », précise le rapport. De là ont commencé des émeutes qui ont duré trois jours et une répression qui a fait en réalité plusieurs dizaines de morts et de nombreux blessés. Lire le rapport

Le 1er mai 1967, Pierre Sainton avait organisé à Capesterre une manifestation, qui avait surpris les autorités, en faveur de l’indépendance de la Guadeloupe. Une saisine de la Cour de sûreté de l’État (tribunal d’exception créé pour juger les responsables de l’OAS et dissoute en 1981) avait permis d’arrêter Pierre Sainton. Pourtant l’absence de responsabilité du GONG dans les événements du printemps 1967 est démontrée dans deux rapports policiers, l’un du 17 avril 1967 et un autre du 17 juin 1967 du commissaire Honoré Gévaudan au ministre de l’Intérieur (rapport rendu public en février 1968 lors du procès des membres du GONG devant la cour de sûreté de l’Etat, le rapport d’avril 1967 ayant été déclassifié seulement en avril 20162). L’inculpation de Pierre Sainton et des membres du GONG est due à l’obstination du préfet Pierre Bolotte et des services de Jacques Foccart. Le GONG a été dissous par les pouvoirs publics suite à la révolte urbaine des 25-26 mai 1967 à Pointe-à-Pitre et au massacre de jeunes, de travailleurs du bâtiment et de passants. Le premier mort, Jacques Nestor, atteint de deux balles dans le ventre, décède à l’Hôpital général. Il avait alors vingt-six ans, militant du GONG et leader de masse très populaire parmi les jeunes souvent sans-emploi.

Dirigeant principal du GONG, Pierre Sainton, sans avoir donné la consigne de manifester, est présenté comme le principal responsable des émeutes par les autorités politiques et policières. Comme dix-sept autres indépendantistes guadeloupéens, il est arrêté, incarcéré à la prison de la Santé à Paris au début du mois de juin et inculpé d’atteinte à l’intégrité du territoire français. Le procès se déroule devant la Cour de sûreté de l’État, du 19 février au 1er mars 1968. Des personnalités très connues sont venues témoigner à la barre : Jean-Paul Sartre, Aimé Césaire, le représentant de la Ligue des droits de l’Homme ; Me Henri Leclerc et d’autres avocats du barreau de Paris sont intervenus aux côtés d’avocats guadeloupéens pour défendre les accusés. Au terme d’une instruction et d’un procès qui n’ont pas réussi à réunir des preuves pour soutenir l’accusation, le jugement apparaît relativement clément : Pierre Sainton est condamné (avec cinq autres accusés) à une peine de prison assortie du sursis, les autres étant acquittés. Ce jugement est considéré par les militants comme une victoire politique3, même si le retour en Guadeloupe fut difficile pour Pierre Sainton, confronté à la division parmi les militants nationalistes. Il reprit jusqu’à sa retraite ses activités de médecin généraliste tout en gardant ses convictions profondes et son combat pour l’indépendance nationale, ce qu’il relate en 2008, dans son autobiographie : Vie et survie d’un fils de Guadeloupe.

  1. Pierre SAINTON, Vie et survie d’un fils de Guadeloupe, Éditions Nestor, Gourbeyre, 2008, p. 206 (on trouve trace de ce discours dans AN 19920345/2, liasse 3, dossier 1967, conclusion de la « Note adressée au directeur général de la Sûreté nationale », 17 avril 1967).
  2. Demande de déclassification transmise aux services du Premier ministre par Michelle Zancarini-Fournel dans le cadre de la Commission d’information et de recherche historique sur les événements de décembre 1959 en Martinique, de juin 1962 en Guadeloupe et en Guyane et de mai 1967 en Guadeloupe (rapport publié en novembre 2016 sur le site de la Documentation française).
  3. Archives nationales, 5 W/734, arrêt n° 838 de la Cour de sûreté de l’État.
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