Le poids des hommes et de leurs valeurs varie selon les lieux et les temps, et cela ne laisse pas de préoccuper, quand au coeur du trouble c’est l’Histoire qu’on provoque et maltraite. Deux faits anodins, et pourtant si lourds de sens, doivent retenir l’attention, s’en détourner serait ajouter l’injure à la provocation.
Le 5 juillet 2005 à l’aube, la police de Berlin bouclait, aux abords immédiats de Check Point Charlie, la rue Friedrichstrasse qui traverse ce célèbre (par les heures sombres dont il est un témoin historique indépassable) point de passage entre Berlin-Est et Berlin-Ouest du temps pas si lointain du rideau de fer érigé par les Soviétiques. On sait qu’au lendemain de la fin de la guerre, la ville du Reich avait été «partagée» comme bonne partie de l’Europe entre les Alliés. Le secteur Ouest de la ville était sous «contrôle» ou administration des Britanniques, Américains et Français, tandis que le secteur Est était confié aux Soviétiques alors également héros de la fin de la Seconde Guerre mondiale. Check Point Charlie devenait alors, après l’initiative unilatérale des Soviétiques prise en 1960 d’ériger le fameux mur, l’unique point de passage entre les deux secteurs Est et Ouest de la ville. Quelle était donc la raison de ce bouclage policier du 5 juillet ? La destruction par décision de justice du mémorial dédié aux victimes du rideau de fer, un ensemble de 1 067 croix noires entourées d’un mur d’enceinte blanc.
Le même 5 juillet 2005, en fin de journée, le préfet des Bouches-du-Rhône signait enfin l’arrêté préfectoral interdisant la cérémonie d’inauguration annoncée à grand renfort de médiatisation d’une stèle érigée à Marignane à la «gloire» de l’OAS. Sous la dénomination pudique de monument dédié à la gloire «des fusillés et combattants morts pour que vive l’Algérie française», il s’agit bien là d’un monument destiné à «saluer» le combat d’une centaine d’hommes membres de cette organisation terroriste, l’OAS, terroriste en ce qu’elle combattait par la violence (attentats, meurtres et assassinats ciblés) la République et le gouvernement de celle-ci. Au rang de ces combattants, les promoteurs de ce monument ont cru devoir spécialement distinguer quatre individus condamnés à mort pour meurtres ou tentative d’assassinat contre le chef de l’Etat par la cour militaire de justice et exécutés en 1962 et 1963. Il n’est pas à notre connaissance que les héritiers ou «compagnons d’armes» de ceux-ci aient sollicité la réhabilitation ou la révision des condamnations prononcées. La vérité judiciaire préfigurait bien, en l’espèce, la vérité historique.
Ces deux «faits divers» sont rendus éloquents par leur concomitance et les décisions des autorités de part et d’autre du Rhin en disent long sur le sens de l’Histoire et l’absence de «valeur absolue» de la mémoire. Dans le cas de Berlin, le mémorial détruit avait été érigé de manière «sauvage» (happening artistique ou culturel piloté par la directrice du musée Check Point Charlie) quoique répondant à un souci ou une urgence historique sur des parcelles en friches appartenant à une banque. Celle-ci sollicita à bon droit la justice, pour «reprendre» la libre jouissance de son bien, qui lui donna gain de cause. Ce qui choque, ce n’est pas la décision judiciaire rendue mais bien plutôt l’absence de décision de la ville-Etat de Berlin pour préserver par déclaration d’utilité publique et d’expropriation des deux parcelles en cause cette «oeuvre» commémorant les 1 065 personnes tuées alors qu’elles tentaient de franchir le mur. Ce mur a bien fini par tomber (le 9 novembre 1989), qu’importent désormais les morts qu’il avait provoqués ? Laisser une trace au coeur de la ville, au droit de Check Point Charlie, de ces événements qui ont engagé le monde libre au-delà de la seule Allemagne, était un devoir au regard de l’Histoire au lieu de quoi on a décidé l’amnésie au sens étymologique du terme : l’oubli. «Le profit contre la morale» et «la destruction contre la culture» proclamaient les pancartes des opposants à l’opération de destruction, protestations vaines bien que déchirantes de vérité. Fallait-il donc, ici aussi, «nettoyer» la ville ?
Dans le cas de Marignane, c’est l’outrage à des décisions de justice et l’apologie de crimes qui ont trouvé une «terre d’asile» au nom du «droit à la mémoire» de certains contre la vérité d’une nation. Laisser planter au coeur d’une ville un monument faisant de desperados des soldats est une complicité de pure falsification. Il y a des nostalgies qui éveillent des frissons, et des complaisances qui laissent sans voix. Sans parler de l’étonnement qui résulte du fait que la délibération prise par la ville de Marignane et son maire décidant de céder gracieusement une parcelle du cimetière communal aux promoteurs de la stèle ait pu passer le contrôle de légalité dont l’exercice incombe au préfet. Cette cession gratuite 1
à cette fin particulière ne répondant à aucun critère d’intérêt général et ne s’analysant qu’en une libéralité partisane antinomique avec la mission d’une collectivité territoriale.
Pierre Vidal-Naquet avait raison d’écrire et d’affirmer, dans sa préface de 2005 à son ouvrage les Assassins de la mémoire : «Je ne crois pas au « devoir de mémoire ». Je crois au devoir de l’histoire, qui seule peut alimenter une mémoire authentique.» Les deux faits que l’on vient de relater illustrent ces excès des hommes : deux poids deux mesures qui disent tout le mal que l’on peut craindre de la dictature de la mémoire et de ses abus. Dans un cas, on efface ; dans l’autre, on tolère. Dans les deux cas, on fausse ou on biaise le témoignage, Berlin restera ville symbole de la guerre froide, et l’OAS demeurera une association criminelle ; n’en déplaise aux actionnaires, d’une part et aux activistes nostalgiques, d’autre part. Quand on maltraite ainsi les faits des hommes, ou pire qu’on tolère pareille maltraitance, on perd toujours la dignité que confère l’histoire à ceux qui n’oublient pas, pas plus qu’ils ne transigent avec la vérité.
Germain Latour, avocat au barreau de Paris.
- Sur ce point, Germain Latour se trompe : la cession n’a pas été gracieuse comme vous pourrez le constater en lisant la note 1 qui accompagne la description de la stèle de Marignane.
L’erreur de Germain Latour se comprend aisément : le site de l’ADIMAD comporte toujours le texte (non daté) suivant émanant de son président :
L’ADIMAD vient de recevoir l’autorisation de Daniel Simonpiéri, Maire de Marignane, d’ériger une stèle à la gloire des « Fusillés et Combattants morts pour que vive l’Algérie française », semblable à celle inaugurée avec éclat le 5 juillet 2003 à Perpignan.
L’emplacement offert pour ce monument est magnifique : sur une pelouse, dans le nouveau cimetière de Marignane.
Le bronze, représentant un martyr de notre cause est sculpté par Gérard Vié, Pied-Noir, Sculpteur officiel des Armées, et sera apposé sur du granit poli. Le nom des quatre Fusillés apparaîtra sur une plaque de bronze et les 101 autres combattants auront leur nom gravé en lettres d’or dans le granit.
L’inauguration est prévue, si nous réunissons les fonds nécessaires (environ 30.000 €, soit à peu près 200.000 F), le 6 juillet 2005, date anniversaire de l’assassinat de Roger Degueldre.
Afin de financer cette œuvre honorant la mémoire des 105 héros (à ce jour hélas recensés) l’ADIMAD lance une souscription publique à laquelle tous les patriotes se feront certainement un devoir de participer. Nous savons que votre générosité sera grande.
Les dons sont recueillis par chèque à l’ordre de :
ADIMAD Stèle Marignane […]Jean-François Collin, Président
Annie Robert, Déléguée des Bouches du Rhône