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Réserves des restes humains du Musée de l'Homme © Aucun(e)

France-Algérie : le casse-tête des crânes du Musée de l’Homme

Redécouverts en 2011, les crânes de plusieurs dizaines de combattants algériens, décapités pour avoir combattu la colonisation française au milieu du XIXe siècle, sont actuellement stockés dans les réserves anthropologiques du Musée de l'Homme, à Paris. Parmi eux figurent les têtes de chefs connus de la rébellion – des "résistants" donc. En 2011, l'historien Ali Farid Belkadi a lancé une première pétition demandant le retour en Algérie de ces restes humains. En mai 2016, l’universitaire Brahim Senouci a lancé une nouvelle pétition demandant que ces dépouilles mortuaires soient remises à l'Algérie – à ce jour, plus de 27 000 personnes, d'une rive ou de l'autre de la Méditerranée, l'ont signée. La situation semble actuellement bloquée. En témoigne le courriel du 29 juin 2016 adressé à Brahim Senouci par Michel Guiraud, directeur du musée de l'Homme. Vous trouverez ci-dessous le courriel en question ; il est suivi d'un article exposant les points de vue de deux historiens algériens, Hassan Remaoun et Mohamed Lahcen Zeghidi.

Voici un mail adressé le 29 juin dernier par Michel Guiraud 1, directeur du Musée de l’Homme, en réponse à un courriel que Brahim Senouci avait adressé au Président du Museum National d’Histoire Naturelle, Bruno David :

de Michel Guiraud à Brahim Senouci

Cher collègue,

le président Bruno David m’a transmis votre courrier électronique.

Je me permets d’apporter une correction: les crânes ne sont pas détenus par le Musée de l’Homme mais par le Muséum national d’Histoire naturelle, dont le Musée de l’Homme est un des sites.

En tant que directeur des collections, je ne vous répondrais que sur la procédure. La doctrine que s’est donnée le Muséum est que nous sommes ouverts aux demandes concernant les restes humains nommés, sur la base que le lien familial est un principe de droit universel. Nous considérons néanmoins que la demande doit provenir de descendants et être relayée par l’Etat, c’est à dire que nous ne prenons pas en compte la restitution de restes anonymes que nous considérons comme relevant de l’étude scientifique. Dans le cas où une association relaye une demande, il convient de s’assurer de la légitimité de l’association à agir au nom des descendants.
Au delà de ces points généraux et sur un plan opérationnel, nous ne sommes pas « propriétaires » des collections patrimoniales mais simplement affectataires. Même si, bien évidemment, des restes humains doivent être traités avec tout le respect qui leur est dû, ce sont des éléments de collection publique inaliénables. La procédure pour les déclasser est complexe et n’a aucune chance d’aboutir au vu des informations disponibles. Le démarche la plus sûre est que la demande soit traitée directement par l’Etat qui, dans le cadre d’un geste politique, pourrait, par la loi, autoriser la restitution, à l’instar de ce qui s’est fait avec les restes de Saartje Bartman ou les têtes Maories.

Je vous prie d’agréer mes salutations distinguées

Professeur Michel Guiraud

Directeur des Collections – MNHN

Réserves des restes humains du Musée de l'Homme © Aucun(e)
Réserves des restes humains du Musée de l’Homme © Aucun(e)

Continuer à faire pression sur la France pour la reconnaissance de ses crimes coloniaux

APS, le 5 Juillet 2016 14:00

Les chercheurs en histoire Hassan Remaoun et Mohamed Lahcen Zeghidi ont appelé « à continuer à faire pression » sur la France pour reconnaître ses « crimes contre l’humanité » perpétrés durant sa présence en Algérie et pour avancer dans les dossiers encore en suspens entre les deux parties.

Dans une déclaration à l’APS à l’occasion de la célébration de la fête de l’indépendance, MM. Remaoun et Zeghidi ont également souligné l’importance de la restitution des archives de l’Algérie pour l’écriture de l’histoire et la sauvegarde de la mémoire collective du peuple algérien.

Interrogé sur le travail des commissions mixtes mises en place entre les deux pays et inhérentes aux dossiers des archives, des disparus et des indemnisations des victimes des essais nucléaires, l’universitaire et chercheur en histoire au Centre national de recherche en anthropologie sociale et culturelle (CRASC) d’Oran, M. Remaoun estime que celui-ci permettra « de déblayer le terrain », en même temps, cependant, qu’il fera « gagner du temps ».

« Or, tout le monde n’est pas obligé de gagner du temps. Du côté algérien, nous abordons la question de la façon qui consiste à continuer à faire des pressions », observe-t-il, citant les « besoins » en reconnaissance et en dédommagements des victimes des essais nucléaires perpétrés par la France coloniale dans le Sud algérien.

Qualifiant cet épisode de « grave préjudice » et de « crime contre l’humanité », le spécialiste insiste sur l’obligation de « reconnaissance » par l’ex-empire colonial des atrocités commises dans ses anciennes colonies, dont l’Algérie.

Le dossier des victimes des essais nucléaires « doit être éclairci » pour répondre aux attentes des victimes de ces essais, fait-il observer, notant les « horreurs » particulières subies par cette population du fait de ces essais dévastateurs et dont les conséquences sont toujours endurées.

« L’Algérie se doit également de tout faire pour récupérer les 32 crânes exposés dans un musée en France pour leur offrir la sépulture et l’honneur auxquels ils ont droit », insiste-t-il, par ailleurs, encourageant les actions menées dans ce sens par la société civile, aussi bien en Algérie qu’en France.

Il déplore le fait d’exposer ainsi des crânes humains comme s’il s’agissait de « trophées de guerre », renseignant sur des « traditions coloniales » et un esprit esclavagiste visant à montrer que les colonisés sont des personnes « différentes », de même qu’à afficher une certaine « supériorité » du colonisateur.

Abordant le dossier des archives dont « l’enjeu est de taille », M. Remaoun considère que « le problème est de savoir si l’Algérie pourra les récupérer un jour ». Il s’agit bien d’une « bataille de souveraineté » que le pays se doit de mener, ajoute-t-il, relevant que la question doit être appréhendée dans son ensemble, dés lors que tous les documents se rapportant à la période coloniale ont leur importance.

« Dans une région sismique comme la nôtre, même les archives liées à l’architecture et à l’urbanisme peuvent être utiles », explicite-t-il, faisant observer qu’il appartient à l’Algérie d’être « plus offensive » dans ce domaine, et « ne pas attendre que la France daigne rendre publiques toutes les archives, celle-ci ayant forcément des choses à cacher et des personnes à préserver ».

« L’histoire s’écrit et se réécrit en permanence, dés lors que chaque nouvelle génération a tendance à l’écrire selon de nouvelles visions et sources de recherche. Le processus de réécriture nous pousse à faire une déconstruction plus grande avec les mémoires, de sorte à produire quelque chose qui puisse nous satisfaire », a-t-il clarifié, à ce sujet.

Sur la portée de la date du 5 juillet 1962, l’universitaire et chercheur souligne que celle-ci a « démontré comment on pouvait obtenir la renaissance de la nation algérienne après que le peuple ait pris en charge sa destinée ».

M. Remaoun plaide, à ce propos, pour « une utilisation de notre passé comme un stimulant pour avancer et non pas comme une rente qu’il suffit de consommer », notant que les générations actuelles sont en train de « comprendre » cela, « tout en ayant naturellement leurs propres exigences et enjeux ».

La France ne se condamnera pas d’elle-même

Pour sa part, le professeur en histoire à l’Université d’Alger 2, Mohamed Lahcen Zeghidi, considère que contrairement à la Tunisie et au Maroc, la France n’a toujours pas soldé son contentieux historique avec l’Algérie, et ce, en raison de « la perception de conquérant » qu’elle continue d’entretenir, de génération en génération.

Il estime, s’agissant de la question des archives, que si la France a consenti, depuis 2012, à ouvrir ses archives et à les mettre à la disposition des Algériens, elle ne le fait que pour les documents « non compromettants » pour elle, à savoir administratifs, diplomatiques, divers rapports, etc.

L’historien est convaincu que l’ancien colonisateur « ne pourra pas remettre de ses propres mains ce qui pourra le condamner, ce qui l’obligera à réécrire l’histoire qu’il a enseignée à ses générations depuis plus d’un demi-siècle laquelle met en relief les valeurs de l’humanité ».

M. Zeghidi est d’avis que « notre devoir en tant qu’Algériens est de dépoussiérer, d’organiser et de divulguer ce dont nous disposons comme patrimoine d’archives », citant celui se trouvant au niveau du ministère des Moudjahidine, des Archives nationales, des institutions concernées et autres archives issues de la mémoire orale du peuple algérien.

Sur la symbolique de la fête de l’indépendance, il relève qu’eu égard à l’environnement international et au contexte de crises qui caractérise les pays de la région, l’Algérie se doit de « revenir aux sources de la culture ayant donné naissance au mouvement national ».

Il s’agit, à ses yeux, « non seulement de préserver ces valeurs mais de s’y accrocher, en priorité celle inhérente à l’unité nationale avec toutes ses dimensions et que l’on ne peut préserver qu’au moyen d’une autosuffisance à tous points de vue », conclut-il.

  1. Le contenu de ce mail est public ; il a été publié sur internet dans le site de la pétition : https://www.change.org/p/restitution-des-t%C3%AAtes-des-r%C3%A9sistants-alg%C3%A9riens-d%C3%A9tenues-par-le-mus%C3%A9e-de-l-homme/u/17114657.
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