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Édition du 15 novembre au 1er décembre 2024

fondation pour la mémoire de la guerre d’Algérie : militaires et nostalgiques de l’Algérie française aux commandes ?

La Fondation pour la mémoire de la guerre d’Algérie et des combats de Tunisie et du Maroc devrait voir le jour le 19 octobre. Cette institution est prévue par l'article 3 de la loi controversée du 23 février 2005 évoquant « le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord ». Recevant une centaine de représentants de harkis à son QG de campagne, le samedi 31 mars 2007, Nicolas Sarkozy avait déclaré que s'il était élu il souhaitait « la création rapide» de cette fondation en précisant qu'elle serait «dirigée par les rapatriés pour les rapatriés11». Une fois élu, Nicolas Sarkozy a relancé le projet le 5 décembre 2007, devant les associations d’anciens combattants d’Afrique du Nord et de rapatriés harkis, qu'il a reçus au Palais de l'Élysée, au retour de son voyage en Algérie12. Il avait alors assigné « la réconciliation des mémoires » comme objectif à la fondation. Mais les informations la concernant jettent un doute sur cet objectif, tant elles confirment le rôle primordial réservé aux « nostalgiques de l’Algérie française », militaires ou pieds-noirs.
[Mise en ligne le 4 octobre 2010, dernière mise à jour le 8]

C’est Hubert Falco qui a été chargé de mettre cette fondation en place. L’origine varoise du secrétaire d’État aux anciens combattants a sans doute joué en sa faveur, les élus du Var étant connus pour savoir ménager les militaires – le département se targue d’être le «premier département militaire de France» – ainsi que les rapatriés d’Algérie qui ont été nombreux à s’y installer1.

Dans le courant de l’année 2009, Lionnel Luca, député UMP des Alpes-Maritimes, craignant que le film Hors-la-loi ne soit sélectionné sous les couleurs françaises à Cannes, avait saisi le secrétariat d’État, pour obtenir un « avis historique » sur le projet de Rachid Bouchareb. Hubert Falco s’était alors tout naturellement adressé au service historique de la Défense dont le responsable, le général Gilles Robert, devait délivrer un jugement sévère sur le scénario.

Les différentes casquettes de Maurice Faivre

Le général Maurice Faivre est surtout connu comme l’un des principaux auteurs du Livre blanc de l’armée française en Algérie publié en 2001, aux éditions Contretemps. Cet ouvrage contient “Le Manifeste des 521 officiers généraux ayant servi en Algérie”, un texte qui oppose l’oeuvre civilisatrice de la France aux crimes du FLN2.

En voici le début :

«Officiers ayant servi en Algérie de 1954 à 1962, en notre nom et au nom de tous les hommes que nous avons commandés, morts et vivants, nous voulons apporter notre témoignage sur le rôle de l’armée à cette époque. Cela dans le double but de dépassionner les débats et de rétablir la vérité historique, masquée aussi bien par les provocations que par leurs exploitations médiatiques.

«Nous tenons d’abord à affirmer que ce qui a caractérisé l’action de l’armée en Algérie ce fut d’abord sa lutte contre toutes les formes de torture, d’assassinat, de crimes idéologiquement voulus et méthodiquement organisés.»

Pas un mot pour évoquer la situation coloniale ou pour condamner la violence militaire et civile française, celle qui s’est donnée libre cours durant les terribles représailles du printemps 1945 et de l’été 1955, qui ont conduit au massacre de milliers de civils algériens. Les faits ont pourtant été établis sur des bases
scientifiques par des historiens comme Jean-Pierre Peyroulou3 et Charles- Robert Ageron qui, d’ailleurs, cite à ce propos deux rapports d’officiers supérieurs4.

Les publications du général Maurice Faivre, docteur en sciences politiques (1986), consacrées à la guerre d’Algérie, ont été critiquées pour leur manque de rigueur5. Mais dans la liste des personnes auditionnées par le député Michel Diefenbacher pour établir le rapport qu’il a remis au Premier ministre en septembre 2003, et qui a servi de base à l’élaboration de la loi du 23 février 2005, il est le seul qui soit mentionné comme “historien”, les 99 autres personnes étant membres du Haut conseil des rapatriés ou responsables d’associations du lobby pied-noir6.

La Fondation

Quelques précisions commencent à filtrer au sujet de la fondation qui a été reconnue d’utilité publique par un décret du 3 août 2010. D’après le journal La Croix, son conseil d’administration de 18 membres serait composé de plusieurs « collèges »7 :

  • les membres fondateurs : les trois associations d’anciens combattants «les Gueules Cassées», la Fédération Maginot et le Souvenir français, à raison de deux membres chacune
  • les membres de droit – cinq personnes pour le gouvernement
  • les personnalités qualifiées : quatre personnes choisies en raison de leurs compétences par les deux collèges précédents
  • les amis de la fondation : trois personnes désignées toujours par les deux premiers collèges.

Fatima Besnaci-Lancou, vice-présidente de l’association Harkis et droits de l’Homme fait remarquer que chacune des trois associations, qui, ensemble, apportent plus de 60% du budget total, est présidée par un ancien général de l’armée française ayant combattu en Algérie8. Le vice-président des «Gueules cassées» et son président d’honneur sont signataires du Manifeste précédemment évoqué et l’association a participé à la rédaction du Livre blanc9.

Les noms des personnalités qualifiées seront connus le 19 octobre. Parmi elles Claude Bébéar, ancien patron des assurances Axa et ancien appelé en Algérie, est pressenti pour être président du conseil d’administration. Circule également le nom d’Hamlaoui Mekachera, ancien officier de l’armée française et ancien secrétaire d’État aux anciens combattants de Jacques Chirac.

La fondation sera également dotée d’un conseil scientifique comprenant des historiens – mais, à ce jour, aucun d’entre eux n’a encore reconnu publiquement avoir accepté cette charge…

Pour paraphraser Daniel Hémery10 :

la fondation «ne sera pas une institution de connaissance de l’histoire, mais une institution organisatrice de sa méconnaissance

  1. Depuis le 23 juin 2009, Hubert Falco cumule sa charge de secrétaire d’État aux anciens combattants avec celle de maire de Toulon (depuis 2001) et de président de la communauté d’agglomération de ce grand port militaire (depuis 2002), après avoir été président du Conseil général du Var de 1994 à 2002.
  2. Le manifeste dans son intégralité, et la liste des 521 signataires.
  3. Guelma, 1945, éd. La Découverte.
  4. La guerre d’Algérie et les Algériens, éd. Armand Colin, page 45.
  5. Ses affirmations « manquent de rigueur, du fait d’une sélectivité non justifée des sources, de l’absence de leur critique (tant interne qu’externe), d‘‘emprunts’’ non référencés, d’une échelle d’observation cantonnée aux instances françaises de décision à l’exclusion des conditions locales» écrit Camille Lacoste-Dujardin, « Histoire et témoignages à propos d’une action secrète pendant la guerre d’Algérie », in La Guerre d’Algérie au miroir des décolonisations françaises, Acte du colloque en l’honneur de Charles-Robert Ageron, Sorbonne, novembre 2000, Paris, SFHOM, 2000, p. 580.
  6. Le général Faivre est lui-même membre du HCR. Voir Claude Liauzu et Gilles Manceron (sous la dir.), La colonisation, la loi et l’histoire, Paris, Syllepse, 2006, p. 36.
  7. «La Fondation pour la mémoire de la guerre d’Algérie contestée», Antoine Fouchet, La Croix du 24 septembre 2010.
  8. «Harkis : une fondation sous influence militaire», Fatima Besnaci-Lancou, Libération du 21 septembre 2010, repris sur ce site.
  9. CA de l’UBFT «Gueules Cassées» (Union des Blessés de la Face et de la Tête ) : http://www.gueules-cassees.asso.fr/lng_FR_srub_32-Le-conseil-d-administration.html
  10. Extrait de la lettre adressée par Daniel Hémery en mars 2001 pour démissionner du Comité scientifique du projet de « Mémorial de l’œuvre française d’Outre-mer » de la ville de Marseille.

    La lettre est reprise dans son intégralité dans cette page.
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