Colère et consternation des harkis
présidente de l’association Harkis et droit de l’homme,
et Abdelkader Chebaiki, président d’Ajir 341.
Pour la septième année consécutive, le 25 septembre, la République française a rendu hommage aux harkis : cérémonie aux Invalides, dépôts de gerbes aux monuments aux morts des communes, pavoisement des autobus parisiens et des établissements publics… Quel est le sens de cette mise en scène, alors même que le président de la région Languedoc-Roussillon, Georges Frêche, attaqué devant la justice pour avoir traité des harkis de «sous-hommes», vient d’être relaxé en appel ? En janvier dernier, les juges de première instance avaient reconnu Georges Frêche coupable d’
«injures publiques envers un groupe de personnes en raison de leur origine […], en l’espèce en raison de leur qualité de harkis». Ils lui avaient infligé une amende de 15 000 euros. Pour la première fois les harkis avaient eu le sentiment d’être enfin protégés dans leur honneur par la République.
Huit mois plus tard, coup de théâtre cruel : la cour d’appel de Montpellier infirme le jugement de première instance, et relaxe Georges Frêche ! Ce jugement, rendu le 13 septembre dernier, a semé la consternation et la colère au sein de la communauté harkie, et de tous ceux qui ont conscience des souffrances que ces hommes, ces femmes et leurs enfants endurent depuis un demi-siècle. Les parties civiles, dont la Ligue des droits de l’homme, ont décidé de se pourvoir en cassation.
A la lecture du jugement, on comprend que les juges reconnaissent tout à fait que les expressions employées par Georges Frêche
«nient même l’appartenance à la nature humaine et renvoient aux expressions utilisées par les doctrines raciales nazies», qu’elles peuvent être qualifiées d’
«injures gravissimes». Dès lors, la décision de la cour d’appel n’est fondée que sur un défaut de la loi du 23 février 2005, laquelle certes protège les harkis mais a «omis» de prévoir les pénalités attachées à l’inobservation qu’elle édicte. Encore une fois, les harkis et leurs familles ont été bernés par les institutions de notre pays.
Et pourquoi le parquet ne s’est-il pas lui-même pourvu en cassation ? Cela résulterait-il d’un choix au plus haut niveau de l’Etat ? En tous les cas, il semble donc possible aujourd’hui qu’un responsable politique insulte publiquement les harkis ou leurs descendants en les traitant de
«sous-hommes» sans être aucunement inquiété. Saisie par les parties civiles, la Cour de cassation pourra dire, par exemple, si la loi de 1881 qui punit, depuis 1972, les «injures publiques envers un groupe de personnes à raison de leur origine» s’applique bien, en l’occurrence (comme l’ont pensé les juges de première instance), à Georges Frêche.
Au-delà de la justice que nous réclamons contre Georges Frêche, il s’agit de la reconnaissance du crime d’Etat dont les harkis et leurs familles ont été victimes pendant presque cinquante ans. Ces supplétifs enrôlés durant la guerre d’Algérie au côté des militaires français de 1956 à 1962 ont été, à l’indépendance de l’Algérie, abandonnés sur ordre. Des dizaines de milliers d’entre eux ont été massacrés. Quant à la plupart des rescapés et des membres de leurs familles parvenus malgré tout sur le sol français, ils ont été parqués dans des camps insalubres, parfois pendant plusieurs décennies. Il serait enfin temps que la France reconnaisse qu’elle a eu vis-à-vis de ces personnes un comportement indigne de ses valeurs.
Le candidat à la présidence de la République Nicolas Sarkozy a déclaré le 31 mars 2007 devant la presse et des représentants d’associations de harkis :
«Si je suis élu président de la République, je veux reconnaître officiellement la responsabilité de la France dans l’abandon et le massacre de harkis.»
Nous attendons que cette déclaration ne soit pas rangée dans la catégorie du double langage, auquel malheureusement les harkis et leurs familles ont été trop longtemps habitués.
Voici le discours prononcé par François Fillon lors de l’hommage solennel, le 25 septembre 2007, dans la cour des Invalides. Notons que, signe
d’une connaissance très approximative du dossier, François Fillon cite Sainte-Livrade (Lot-et-Garonne) comme camp de harkis alors que celui-ci, ouvert en 1956, n’a reçu que des réfugiés d’Indochine.
Cérémonie d’hommage national aux Harkis
le 25 septembre 2007
Le discours de François Fillon
Mesdames et messieurs,
Avec force, avec solennité et émotion, je veux réaffirmer aujourd’hui, au nom du Gouvernement français, la reconnaissance de la Nation envers les Harkis.
Musulmans d’Algérie, ils ont entendu l’appel de la République française, et ils ont pris les armes, aux côtés ou au sein des troupes régulières.
Par fidélité, par loyauté, avec abnégation, ils ont accepté de mener sur leur sol un combat cruel et incertain.
Dans cette guerre masquée, ils se sont déclarés soldats. Ils sont devenus harkis, tirailleurs, spahis, moghaznis [moraznis], assès.
Ils ont rejoint les Groupes mobiles de sécurité, les groupes d’autodéfense, les sections administratives spécialisées.L’histoire les a dressés contre d’autres hommes qui, la veille, étaient leurs frères.
Dans ce conflit, la République a considéré leur vaillance, leur courage, le dévouement que le sens de l’honneur leur inspirait.
Mais elle a fermé les yeux sur leur jeunesse, leur vulnérabilité, la précarité extrême de leur situation personnelle et familiale, le fardeau d’incertitude que le règlement de la guerre déposait sur leurs épaules et sur celles de leurs descendants.
Trop longtemps, la France a baissé les bras devant l’obligation contractée à l’égard des Harkis. Parce que le sacrifice de leurs biens, de leurs terres, de leurs droits et de leur sécurité, parfois de leurs vies, dépassait toute mesure, elle n’a pas su le reconnaître.
De son impuissance, elle a fait un abandon. Au moment où les Harkis s’en remettaient à elle, elle les a conduits par les chemins de l’oubli vers les camps de transit de Lascours, de Rivesaltes, de Saint-Maurice-l’Ardoise, de La Rye, de Bias, de Bourg-Lastic, de Sainte-Livrade. Elle les a écartés dans une soixantaine de « hameaux forestiers », cantonnés dans les 42 « cités urbaines ». Elle a prolongé leur angoisse, leur détresse, leur déchirement.Depuis 2001, la Journée nationale des Harkis interdit cette démission de la mémoire. Elle célèbre leur fidélité et leur bravoure. Elle aide à honorer cette communauté large, à faire connaître et comprendre la dette que la France lui conserve.
Pour que la France rende aux Harkis ce premier et légitime hommage, pour que la loi du 11 juin 1994 soit votée à l’unanimité au Parlement, il a fallu plus de 30 ans.Aujourd’hui, nous devons poursuivre sur cette voie. Nous avons besoin d’une réconciliation sincère des mémoires, d’un apaisement véritable des esprits et des coeurs. Une fondation pour la mémoire de la guerre d’Algérie et des combats du Maroc et de la Tunisie sera créée à cet effet en 2008. Ces questions lui seront confiées. Des historiens indépendants effectueront ce travail.
A cet instant, dans tous les départements français, les Harkis reçoivent un juste hommage, et celui-ci doit rejaillir sur leurs enfants et petits-enfants. Ici, aux Invalides, où résonnent les cris de gloire et de douleur de l’histoire militaire française, c’est l’hommage du Gouvernement que je leur rends devant vous.
Vive la République, vive la France !