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Édition du 15 novembre au 1er décembre 2024

Extraits des débats à l’Assemblée nationale, le 29 novembre 2005

Alors que la préparation de la loi du 23 février 2005, commencée dès 2003, s'est déroulée dans la plus grande discrétion, les critiques qui lui ont été adressées après sa publication ont été reprises par des députés. Ci-dessous, à l'occasion du débat sur l'abrogation de l'article 4 de cette loi, lors de la séance du 29 novembre 2005, les déclarations de Christiane Taubira et de Victorin Lurel dans leur intégralité et des extraits des déclarations d'autres députés. L'ensemble des débats a été publié sur le site de l'Assemblée nationale.

Débat sur l’abrogation de l’article 4 de la loi du 23 février 2005, lors de la séance du 29 novembre 2005

François Rochebloine – UDF – Loire

Ce serait porter atteinte à la neutralité laïque de la République et à la liberté de pensée indispensable à toute recherche scientifique que de vouloir, plus de quarante ans après des événements qui ont profondément marqué notre histoire et nos consciences, réécrire l’histoire ou en occulter les aspects qui dérangent.

La colonisation a eu des effets ambigus. Il n’en reste pas moins qu’elle s’inscrit dans un processus global qui a été condamné par l’histoire, quelle que soit la puissance colonisatrice. Assia Djebar, qui vient d’être élue à l’Académie française, rappelle ainsi que la langue du colonisateur « s’est avancée autrefois sur des chemins de sang, de carnage et de viols ». Pour autant, on ne peut pas considérer, comme il est dit dans l’exposé des motifs de la proposition de loi, que les principales avancées dues à la présence française dans les colonies sont les infrastructures et les équipements publics. C’est nier tout le travail d’enseignement.

Cette crainte que le pouvoir politique ne cherche à imposer le sens à donner aux événements historiques – alors qu’il doit permettre à la communauté des historiens d’agir avec objectivité – survient au moment où des monuments à l’OAS sont inaugurés, sans qu’aucune voix officielle ne s’élève.

Nous espérons que ce texte permettra d’apurer le contentieux, de solder les injustices, de dépasser les incompréhensions, grâce à un travail de mémoire commun, dans le respect mutuel – ce qui vous manque, cher collègue – y compris dans les pages les plus douloureuses de la période de la colonisation1.



Hélène Mignon – PS – Haute Garonne

En début d’année scolaire, sur les bancs de l’école primaire, que nous nous prénommions Marie, Yvette ou Naïma, nous récitions en cœur la première leçon d’histoire « Nos ancêtres les Gaulois ». Risible, pathétique même quand on y repense des décennies plus tard était cette volonté du colonisateur d’effacer toute l’histoire de ces peuples, ne retenant que la sienne.

Fille de deux fonctionnaires nommés en Algérie, j’ai aimé mon enfance là-bas, mais je reste lucide. Evoquer la présence française outre-mer, c’est faire référence à la colonisation, dont le but n’était rien d’autre que de trouver de nouveaux marchés à nos produits industriels, et d’assurer la présence française sur toutes les mers du globe.

Coloniser, c’est annexer des territoires, par la violence souvent, par la ruse parfois. C’est imposer la volonté du colonisateur à tous, en ignorant les coutumes, l’environnement social et économique, les règles qui régissaient la vie de ces populations autochtones. C’est d’avoir méconnu les ethnies et tracé des frontières artificielles que surgirent bien des problèmes. L’instabilité politique actuelle de certains pays d’Afrique y a peut-être sa source. Coloniser, c’est amener une population de France pour exploiter les richesses. Ce sont les Alsaciens Lorrains qui remplirent les premiers bateaux en partance pour l’Algérie. Il leur fallut des routes, des voies de chemin de fer, des écoles, des hôpitaux. L’aménagement du territoire se fit en fonction de leurs besoins et non de ceux des populations autochtones.


Jean-Pierre Brard – PC – Seine Saint-Denis

Dénigrer systématiquement l’apport de la colonisation serait tomber dans le travers exactement symétrique de celui que nous dénonçons. Nous réclamons seulement la neutralité et l’objectivité scientifiques de l’historien et de l’enseignant.

La France, par la voix de son ambassadeur en Algérie, M. Colin de Verdière, s’adressant à un public algérien le 27 février dernier, a d’ailleurs émis publiquement une analyse très intéressante de notre passé colonial : « On parle souvent, entre la France et l’Algérie, d’une « mémoire commune », liée à mille faits quotidiens tissés entre les communautés musulmane, juive et chrétienne pendant la période coloniale. Mémoire commune certes, de voisinage et parfois d’œuvres collectives ; mais aussi « mémoire non commune », chargée de ressentiments, d’incompréhensions, d’hostilités. Il n’y a jamais unicité des mémoires, ni d’explication catégorique ou définitive des grands événements historiques, comme il ne peut y avoir concurrence des victimes, ni négation des malheurs, quels que soient ceux-ci.

« Les jeunes générations d’Algérie et de France n’ont aucune responsabilité dans les affrontements que nous avons connus. Cela ne doit pas conduire à l’oubli ou à la négation de l’Histoire. Mieux vaut se charger lucidement du poids des bruits et des fureurs, des violences des événements et des acteurs de cette histoire, en évitant si possible les certitudes mal étayées, voire les jugements réciproques. Cette charge est lourde et le travail à mener considérable.

« C’est là, me semble-t-il, que se situe notre et votre responsabilité, celle qui s’appuie sur les exigences du savoir pour tenter d’ouvrir, avec méthode, les chantiers d’un travail historique, comme le font déjà certaines ou certains d’entre vous. Et cela, comme l’a écrit l’historien Benjamin Stora, « pour forger des valeurs d’égalité sur les ruines du mépris et de la haine. » Certains pensent qu’il faut oublier le passé pour qu’il n’enterre pas le présent. Je ne partage pas cet avis, même si nous ne devons pas non plus nous enfermer dans l’histoire. C’est la connaissance lucide du passé et des mémoires diverses, complétée par la vision d’un avenir différent, qui conduit à la tolérance, à la construction de l’espace démocratique et aux valeurs universelles. »

Il est souhaitable que notre pays ne donne pas le sentiment qu’il pratique le double langage, l’un à usage interne, l’autre destiné aux pays anciennement colonisés. Le vote de cette proposition de loi permettrait de résoudre de bonne manière une contradiction qui risque fort de devenir rapidement ingérable.


Victorin Lurel – PS – Guadeloupe (Déclaration intégrale)

Je suis meurtri et triste de ce que j’entends ici. Fils de colonisé, je suis estomaqué par les propos tenus de l’autre côté de cet hémicycle. « Le passé n’est donc jamais mort, il n’est même jamais le passé » : notre assemblée aurait dû se souvenir de ces mots de William Faulkner avant d’accepter un amendement qui dénature l’économie de la loi du 23 février 2005. De désastreux prophètes ont décidé de ressusciter Jules Ferry le Tonkinois et d’invoquer insidieusement les mânes d’Ernest Renan. Non pas celui qui discourait superbement le 11 mars 1882 en Sorbonne sur la conception élective de la nation, la française, opposée à l’allemande, l’élitaire et l’organique, non pas celui qui écrivait une admirable vie de Jésus, mais celui de « la réforme intellectuelle et morale », qui justifiait et légitimait la barbarie coloniale par la prétendue supériorité de la civilisation occidentale et de la race blanche.

Désastreux, oui : l’on n’a pas évalué l’impact désastreux que l’introduction sournoise et subreptice d’une petite phrase pouvait avoir sur les anciennes possessions françaises et sur les Français issus de l’immigration, trop souvent ostracisés, discriminés, ghettoïsés. Cette maladresse compromet peut-être plus durablement qu’on ne pourrait le croire la politique d’amitié et de coopération avec les pays d’Afrique et d’Asie. Déjà, l’Algérie retient sa plume pour signer le traité qui avait, mutatis mutandis, la même vocation de réconciliation que le traité d’amitié franco-allemand de 1963.

Oui, il est désastreux d’oublier que la France est devenue une société multiculturelle et multiethnique et qu’il convient de tout faire pour forger une identité nationale intégratrice de toutes les origines. Cela exige tact et sagesse, modération et sobriété, les émeutes urbaines sont là pour nous le rappeler.

Désastreux, cet article 4, oukase et avatar du lyssenkisme, qui enjoint à l’école et à l’université d’enseigner une histoire officielle de la colonialisation, violant allègrement un principe fondamental reconnu par les lois de la République – l’indépendance des enseignants chercheurs.

En partie inapplicable, cette loi n’est pourtant pas dépourvue de conséquences pour l’esprit public. Méphitique et délétère, elle constitue à n’en pas douter un ferment de division.

Une mémoire partagée par l’ensemble de la nation et adossée aux valeurs fondamentales de la République et de l’humanisme doit reconnaître les avancées engrangées sous le régime colonial en matière d’équipement, d’éducation et de santé, mais aussi les blessures encore palpitantes et béantes infligées aux harkis et aux rapatriés d’Afrique du Nord, qui méritent, cinquante ans plus tard, un meilleur sort. Mais cette nécessaire objectivité ne saurait dispenser d’être lucide sur les horreurs de la longue nuit coloniale.

« Sécurité ? Culture ? Juridisme ? En attendant, je regarde et je vois : partout il y a, face à face, colonisateurs et colonisés, la force, la brutalité, la cruauté, le sadisme, le heurt, et en parodie de la formation culturelle, la fabrication hâtive de quelques milliers de fonctionnaires subalternes, de boys, d’artisans, d’employés de commerce et d’interprètes nécessaires à la bonne marche des affaires (…) Et je dis que, de la colonisation à la civilisation, la distance est infinie et que, de toutes les expéditions coloniales accumulées, de tous les statuts coloniaux élaborés, de toutes les circulaires ministérielles expédiées, on ne saurait réunir une seule valeur humaine ». Ces mots d’Aimé Césaire, écrits il y a cinquante ans, résonnent en ces murs d’une triste actualité, nous faisant toucher du doigt, dans toute son ampleur, la faute commise avec cet article 4.

Tout désireux que l’on soit de la sérénité des débats, comment passer sous silence les 10 000 morts de Guadeloupe en 1802, lors du rétablissement de l’esclavage, les 90 000 morts de Madagascar en 1947, les 45 000 de Sétif et les carnages commis pendant la conquête du Congo ? Comment oublier les morts, les mutilés et les estropiés d’Indochine et d’Afrique ? Comment ne pas évoquer la chicote, la rigoise, le fouet, les travaux forcés, l’exploitation, le hachoir des plantations, les maladies, les famines, l’analphabétisme, puis les coups d’Etat fomentés, les élections arrangées, l’extorsion du pétrole et des matières premières dans les néo-colonies qui forment le pré carré de la France Afrique ?

Ah ! Elle était bien bonne, la « coloniale » ! Le plus ahurissant, cinquante ans après le Discours sur le colonialisme de Césaire et le Portrait du colonisateur et du colonisé dressé par Albert Memmi, c’est d’entendre prononcer à haute et intelligible voix ce qui se ruminait in petto et se murmurait en cachette – les pires excès et les plus vicieuses des passions. Sommes-nous condamnés, par une sorte de châtiment historique, à « remâcher le vomi » du racisme, de l’orgueil et de l’arrogance colonialistes ? Qui osera dire à Alain Finkielkraut, ce nouveau croisé qui croit faire preuve de courage en s’attaquant à l’imperium de la pensée unique et qui évoquait dans La défaite de la pensée le plébiscite de tous les jours que constitue la nation, que son attaque contre la composition ethnique de l’équipe de France de football est odieuse ? Qui osera dire au club de l’Horloge que ses insanités sur les bienfaits de la colonisation sont une faute morale ? Et qui osera dire à Max Gallo que le rétablissement de l’esclavage en 1802 n’avait rien d’un détail de l’histoire ?

Mes chers collègues, en vous proposant d’abroger l’article 4 de la loi du 23 février 2005, nous voulons renoncer à ce qui fait l’essence même de l’aventure coloniale : la domination d’un peuple sur d’autres, contraire aux valeurs de la République. Nous vous demandons de renouer avec la nation, héritage mémoriel d’un Etat, d’une société et d’un passé commun, mais aussi présent intégrant le vouloir-vivre ensemble et les héritages culturels.

Pour toutes ces raisons et parce que nous souhaitons favoriser l’appropriation par l’ensemble de la communauté nationale de cette mémoire douloureuse, dans ses parts d’ombres et de lumière, de ce passé qui n’est décidément jamais mort et qui n’est même pas le passé, cette loi sera tôt ou tard abrogée, que vous le vouliez ou non.


Michel Diefenbacher – UMP – Lot et Garonne

La rencontre de deux peuples, de deux cultures, de deux religions porte toujours en elle le risque d’un affrontement violent. La colonisation n’a pas échappé à cette règle, mais, si elle a d’abord été l’œuvre des militaires, elle est très vite devenue aussi celle des bâtisseurs.

S’il est un domaine dans lequel elle a apporté, non pas au colonisateur mais à l’humanité entière, des avancées majeures, c’est assurément la santé. Lorsque les grands empires se sont stabilisés entre 1880 et 1914, la « révolution pastorienne » atteignait son apogée en médecine. Les médecins allemands, anglais, français rivalisaient d’ardeur et de créativité pour faire reculer les maladies tropicales, Pendant qu’au Cameroun, Koch, connu pour avoir identifié le bacille de la tuberculose, découvrait le microbe du choléra et s’attaquait à la maladie du sommeil et au paludisme, en Afrique de l’Est, les Anglais Bruce, Dutton, Leisham, Donovan et Manson commençaient à soigner la bilharziose et la leishmaniose.

Dans ce combat contre la souffrance et la mort, les médecins français n’étaient pas en retard. Et l’Algérie fut souvent le lieu de leurs victoires. C’est à Bône en effet qu’en 1835 le médecin major François-Clément Maillot mit au point le premier traitement contre le paludisme. Et c’est à Constantine qu’en 1878, le docteur Laveran isola le parasite responsable du paludisme, découverte qui lui valut le prix Nobel de médecine en 1907.

Ces médecins, ces chercheurs, ces humanistes portaient sous leur blouse blanche un uniforme : celui de l’armée française. Si leur mission originelle était de soigner ceux qui servaient le même drapeau qu’eux, ils se sont très vite penchés sur le sort des populations locales. Le premier service médical de colonisation fut ainsi créé en Algérie dès 1853. Un siècle plus tard, à la veille de l’insurrection, l’Algérie comptait un hôpital universitaire de 2 000 lits à Alger, trois grands hôpitaux à Alger, Oran et Constantine, 14 hôpitaux spécialisés et 112 hôpitaux polyvalents, soit au total un lit pour 300 habitants.

Les grandes endémies – la variole, le paludisme, la tuberculose, le typhus, le typhoïde, le choléra, la rage, la peste – avaient enfin été éradiquées. De 1880 à 1954, la population de souche algérienne était passée de 2,5 à 8,5 millions d’habitants.

Et l’Algérie n’était pas un cas isolé. C’est en Indochine que le docteur Yersin a isolé le microbe de la peste en 1894 avant que, 40 ans plus tard, le vaccin ne soit mis au point à Tananarive.

C’est encore à Madagascar qu’un jeune médecin colonial, le docteur Lasnet, a créé la première organisation d’assistance médicale gratuite sous le nom « d’assistance médicale indigène », en 1899.


Christiane Taubira – apparentée PS – Guyane (déclaration intégrale)

Les maladroits défenseurs de l’article 4 de cette loi osent prétendre que celui-ci ne serait qu’un « copié-collé » de l’article 2 de la loi du 21 mai 2001 tendant à la reconnaissance de la traite et de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité. Indigente posture et piètre argument, qui maltraite l’institution législative en la rabaissant au rang d’une assemblée de cancres où chacun se défausse de ses propres responsabilités en accusant l’autre. Mauvaise foi manifeste que celle qui conduit à assimiler deux articles de loi qui n’ont rien en commun et qui traduisent même deux visions inconciliables du passé. Par l’article 2 de la loi de 2001, le législateur s’est borné à souligner la nécessité de dispenser un enseignement sur la période de l’esclavage. Il n’enjoint en aucune façon aux enseignants de présenter les choses sous un jour ou sous un autre, il pousse même, au contraire, à approfondir la recherche sur ces sujets. A la différence de l’article 4 de la loi de 2005, il ne tend en aucune façon à contraindre la communauté éducative à diffuser une appréciation subjective du fait colonial en la présentant comme une vérité intangible et unanimement reconnue.

A la vérité, l’article 4 procède d’une entreprise de contrefaçon historique. Ouvrons, une fois encore, l’œuvre d’Aimé Césaire : « Qu’est-ce en son principe que la colonisation ? …Ni évangélisation, ni entreprise philanthropique, ni volonté de reculer les frontières de l’ignorance… ni élargissement de Dieu, ni extension du Droit. Il faut admettre que le geste décisif est ici de l’aventurier et du pirate, de l’épicier en grand et de l’armateur, de l’appétit et de la force…

Et n’est-ce pas Louis Philippe lui-même qui, en juillet 1833, a nommé une commission d’enquête sur l’Algérie, dont le rapport déplorait que la manière dont l’occupant a traité l’indigène n’ait pas été dictée par l’esprit de justice, ou, simplement, par la Raison ? Ce rapport condamnait les exactions multiples, les massacres de populations sous sauf-conduits et les égorgements sur simple soupçon ! En un mot, concluait-il, nous avons débordé la barbarie des barbares que nous prétendions amener à la civilisation.

Alors que la monarchie elle-même a su reconnaître ses crimes, revient-il aux Républicains que nous nous flattons d’être de trahir l’esprit humaniste d’un Jacques de Bollardière, d’un Maurice Audin ou d’un Henri Alleg ? Allons-nous oublier le message du général Berthezène ou de Thomas Ismayl Urbain ?Allons-nous disqualifier l’engagement courageux d’un Pierre Vidal-Naquet ?

Je ne demande pas réparation pour les spoliations ou pour le sixième de la population algérienne décimé au cours des vingt-cinq premières années de la conquête. Je ne demande pas non plus que l’on passe sous silence le rôle émancipateur des instituteurs français – même si la scolarisation des élèves issus des peuples colonisés demeura bien trop limitée – ou le courage de nombreux militaires français lors de l’épidémie de choléra de 1949. Je demande simplement que l’on ne rapproche pas l’honneur et le courage qui ont entouré l’adoption de la loi du 21 mai 2001 du climat qui a présidé à celle de l’article 4 de la loi du 23 février. La France d’Olympe de Gouges, de Louise Weiss et d’Albert Schweitzer – lequel disait : « partout où l’Européen apparaît, tant de peuples ont déjà disparu »…

La France d’Albert Londres, de l’abbé Grégoire, de Schoelcher et de Condorcet ne peut se reconnaître dans l’entreprise de lacération du tissu de l’humanisme à laquelle certains ont cru bon de se livrer. La voix de la France, cette grande voix que nous savons reconnaître même lorsqu’elle émane des bancs de la droite, par exemple pour condamner la guerre en Irak, a été trahie. C’est elle, pourtant, qui donne force et espoir aux opprimés de la Terre entière. C’est elle qui habite les esprits et les rêves, les cœurs et les consciences de millions d’hommes, partout dans le monde. (Plusieurs députés socialistes se lèvent et applaudissent longuement ; applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)


Christian Vanneste – UMP – Nord

Paul Valéry a estimé que « l’histoire est le plus dangereux des produits que la chimie de l’intellect humain ait élaboré ». De fait, l’histoire est avant tout œuvre de recherche, et c’est donc à bon escient que la loi du 23 février 2005 rappelle qu’elle doit être libre. Toutefois, l’acte d’enseigner conduit à résumer, à simplifier et à condenser les faits, ce qui représente une contrainte qu’il serait malvenu d’ignorer. Plutôt que d’enseigner des faits, le professeur d’histoire en donne une interprétation. La distance historique ou la prépondérance donnée à telle ou telle causalité donnent des faits bruts une interprétation différente. J’emprunte cette analyse à Paul Ricoeur qui souligne ainsi la limite de l’objectivité historique. A cet égard, François Furet a montré combien l’enseignement de la Révolution française avait pâti des interprétations par trop idéologiques.

Non content d’interpréter les faits, l’enseignement de l’histoire tend aussi à inculquer des valeurs. Or, comme l’écrit Dominique Schnapper dans La communauté des citoyens, c’est à l’école que l’on nourrit l’adhésion du jeune citoyen à la collectivité. Dès lors, il faut veiller à ce que ce dangereux produit de l’intellect qu’est l’histoire soit le plus équilibré possible, en vue de développer la lucidité de l’élève sans attenter à la cohésion nationale. Tel est bien le souci qui a présidé à la rédaction de la loi du 23 février 2005, l’exposé des motifs rappelant que reconnaître l’œuvre positive de nos compatriotes dans ces territoires est un devoir pour l’Etat français.

Quant à l’article 4, il ne fait que tirer les conséquences de ce devoir de mémoire pour l’enseignement scolaire, ce qui est parfaitement logique après les déclarations du Président de la République sur la reconnaissance due aux populations d’outre-mer. Les mots « rôle positif » précédés de l’expression « en particulier », n’excluent donc pas l’évocation d’aspects négatifs…

Dans un souci d’équilibre que beaucoup feignent de ne pas percevoir, la loi appelle également à la reconnaissance envers les soldats d’outre-mer venus combattre pour la France, notamment durant les deux guerres mondiales. Ce rappel n’est pas seulement un rappel au devoir de mémoire que nous avons envers les morts. C’est aussi un message d’espoir à l’adresse des enfants de rapatriés, de pieds-noirs et de harkis, ainsi que des enfants d’immigrés dont beaucoup ont eu dans leur famille l’un de ces combattants. Sans l’article 4 de la loi, la mémoire de ces combattants ne serait plus honorée. Vous en porteriez la lourde responsabilité (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

Alain Finkielkraut nous met aujourd’hui en garde contre la « bien-pensance » anti-occidentale et souligne les conséquences néfastes d’une présentation systématiquement négative de l’histoire, propre à entraîner notre société dans la dépression. « Répondra-t-on au défi de l’intégration en hâtant la désintégration nationale ? », se demandait-il ainsi récemment. En effet, comment aimer un pays qui se haïrait lui-même ? […]

Comment ne pas vouloir donner comme exemple aux enfants d’aujourd’hui ces médecins français, premiers french doctors, qui libéraient Madagascar de la variole et de la rage avec André Thiroux, l’Indochine de la peste avec Alexandre Yersin, et l’Algérie de la malaria avec François-Clément Maillot ?

Dans son discours de Brazzaville, le général de Gaulle rappelait l’action de la France, depuis Gallieni et de Brazza jusqu’à Lyautey, pour conclure qu’aucun progrès n’aurait de réalité « si les hommes sur leur terre natale n’en profitaient pas moralement et matériellement, s’ils ne pouvaient participer chez eux à la gestion de leurs propres affaires ». Moins de vingt ans plus tard, il tiendra cet engagement. A l’évidence, le présent débat n’aurait pas lieu s’il avait pu mettre celui-ci enœuvre dès le lendemain de la guerre.


Lionnel Lucas – UMP – Alpes Maritimes

Qu’en est-il aujourd’hui de l’histoire enseignée dans nos écoles ? Permettez-moi de citer un ouvrage de terminale, distribué dans les lycées de PACA, et donc financé par le conseil régional. A ma surprise, disons plutôt à ma demi-surprise, on y lit : « Depuis décembre 1946, la France mène en Indochine une guerre contre le Viet-Minh d’inspiration communiste. Le 7 mai 1954, elle subit une véritable gifle à Dien-Bien-Phu » Quel hommage aux combattants qui ont fait là le sacrifice de leur vie…

« Le Viet-Minh s’empare de la cuvette dans laquelle l’état-major français a prévu d’attirer ses forces et capture la plus grande partie des troupes qui s’y trouvent. » Pas un mot sur les Français emprisonnés et déportés par le Viet-Minh, dont le taux de mortalité a été plus important que parmi les prisonniers de camps de concentration nazis. Voilà l’histoire aujourd’hui enseignée dans nos établissements, faite d’omissions, donc de mensonges !

Et sur l’Algérie, que lit-on dans le même manuel ? « Les accords d’Evian sont signés le 18 mars 1962 et l’indépendance finalement proclamée le 3 juillet 1962. »

« Finalement proclamée », voilà à quoi l’on résume tout ce qui s’est passé entre le 19 mars et le 3 juillet 1962, où il y eut plus de victimes que pendant toute la durée de la guerre.

« Des centaines de milliers de Français rapatriés rentrent alors en France. » Les vacances sont finies, 132 ans de vacances, pensez ! Pas un mot sur les massacres d’Oran, pas un mot sur la détresse des réfugiés, la misère des camps d’accueil…

L’article 4 de la loi vise donc à rétablir un équilibre qui n’existe pas aujourd’hui, une honnêteté intellectuelle qui fait aujourd’hui défaut, conduisant à une vision partielle et partiale de l’histoire de la colonisation. C’est aujourd’hui qu’on enseigne une histoire officielle où toujours le national est humilié.

Abroger cet article est impossible et impensable, notamment depuis les déclarations scandaleuses du président algérien, que finalement vous relayez. J’observe toutefois que M. Bouteflika n’est pas rancunier puisqu’il vient se faire soigner en France, façon de rendre hommage au colonisateur.


Georges Fenech – UMP – Rhône

La colonisation a sa part d’ombre, notamment la dépossession des indigènes de leurs terres et leur soumission. Mais reconnaissez qu’au fil des générations, cette colonisation conquérante, qui forcément s’est accompagnée d’exactions et a fait des victimes, a laissé la place à une présence, accompagnée de fraternité et d’égalité entre toutes les communautés. Les rapports entre les colonisateurs et les colonisés se sont transformés petit à petit en rapports de solidarité, tendant à une communauté de destin. Cela, vous ne pouvez pas le nier, à moins que vous ne décrétiez une fois pour toutes que le péché originel de la colonisation interdit à tout jamais de parler d’une époque plus récente, pacificatrice, qui a incontestablement enrichi ces régions.

En demandant l’abrogation de l’article 4, vous ne favorisez pas la nécessaire réconciliation de l’ancienne mère patrie avec ses anciennes colonies, avec lesquelles elle entretient des rapports étroits de coopération et d’amitié. Si personne ici ne peut imaginer écrire une histoire officielle, personne ne peut non plus tolérer que l’histoire enseignée à nos enfants dans les manuels scolaires soit tronquée, partielle ou partisane. Souvenons-nous que notre collègue Taubira a obtenu qu’on enseigne dans les manuels scolaires la période sombre de l’esclavage ; nous avons adopté sa proposition de loi sans état d’âme le 21 mai 2001. Pourquoi ce qui vaut pour une période plus lointaine ne vaudrait-il pas pourune période plus récente ? Pourquoi y aurait-il deux poids, deux mesures quand il s’agit d’enseigner à des citoyens en devenir la vérité sur leur histoire, dans tous ses aspects ? Vous parliez tout à l’heure devant des tribunes pleine d’enfants…

L’école de la République doit demeurer le sanctuaire du savoir, dépourvu de tout prisme idéologique.

En 1998, sous le gouvernement Jospin, les accords de Nouméa ont fait état des aspects positifs autant que des aspects négatifs de la présence française ; c’est un précédent heureux, que nous avions approuvé à l’époque et qui doit nous inspirer aujourd’hui. La vérité doit être livrée toute nue, aussi dérangeante soit-elle pour les uns ou les autres. Toute autre démarche serait irresponsable, à un moment où la société française, façonnée par ses diversités, a besoin de retrouver son identité. Jeunes Français de souche comme jeunes Français issus de l’immigration ont plus que jamais soif de la vérité.

Personne ne prétend que l’œuvre de la France d’outre-mer soit entièrement positive, mais force est de reconnaître ce qu’elle a apporté, notamment en termes d’institutions et d’éducation – 36 % des Africains étaient scolarisés en 1960. Comment ne pas évoquer aussi l’apport de nos valeurs – démocratie, droits de l’homme et méritocratie ? Nous n’avons vraiment pas à rougir de notre passé colonial, et nous n’avons pas le droit de laisser inculquer aux futurs citoyens de notre pays une histoire tronquée et partiale, l’histoire d’un demi-mensonge ou d’une demi-vérité. Telle est la volonté de la nation, soucieuse de réconciliation au nom du peuple français, de l’entière vérité et de la justice !

  1. A ce moment, il est interrompu par Jean-Pierre Grand (UMP) : Dites-le sur le terrain, à vos électeurs !
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