Communiqué interassociatif du 2 août 2002
Les Gens du voyage expriment par leur mode de vie la diversité d’habitat reconnue par la Constitution et garantie par la liberté fondamentale d’aller et venir. Cette liberté n’est réelle que si sont réunies les conditions nécessaires au séjour et à l’ancrage social et territorial lié à la vie du voyage, permettant la reconnaissance et la satisfaction des droits à l’habitat, à la santé, à la scolarité, à la formation, à l’activité professionnelle, et à l’exercice des obligations propres à chaque citoyen.
La loi du 5 juillet 2000 relative à l’accueil et à l’habitat des Gens du voyage inscrit concrètement dans la législation un droit à la diversité de l’habitat.
Or le contexte socio-politique actuel crée toutes les conditions du déni de ce droit.
D’une part les offres de terrains de séjour et d’habitat caravane sont très en deçà des besoins au plan national. Ainsi en région parisienne, la situation est particulièrement grave puisque les possibilités de séjour n’ont pas augmenté depuis plus d’une décennie (environ 560 places d’habitat caravane à ce jour) alors que les besoins sont estimés à environ 6000 à 8000 places.
D’autre part le retard de la mise en oeuvre de la loi du 5 juillet 2000 relative à l’accueil et l’habitat des Gens du Voyage, retard dû à de nombreuses raisons administratives et politiques, et le fait que les espaces de séjour autorisés temporairement se restreignent, voire disparaissent sur certains territoires urbains, rendent particulièrement cruciale et précaire la vie des Gens du Voyage.
« Expulsables » en permanence ils sont dans l’impossibilité de séjourner, de scolariser leurs enfants, de mener leur activité économique, d’exercer leurs devoirs, et de bénéficier des droits légitimes. L’envahissement d’espaces publics, semi-publics, voire privés par les Gens du Voyage, n’est que le produit de l’absence de réponses appropriées à leur besoin de séjour et d’habitat. Autant les occupations par les Gens du voyage de terrains non autorisés et inadaptés sont regrettables, autant la violence institutionnelle dont ils sont victimes est intolérable et doit cesser.
Les dispositions du projet de loi pour la sécurité intérieure (LOPSI) telles qu’elles sont argumentées dans les travaux préparatoires et telles qu’elles sont présentées par les médias, renforcent cette violence institutionnelle et sociale en construisant l’image négative de toute une population et en la désignant comme « fauteur de trouble ». L’amalgame entre « Gens du Voyage », « délinquance », « économie souterraine » et « immigration clandestine » stigmatise cette population, la livre à la vindicte publique, et crée un climat de suspicion et de violence généralisée.
Les contrôles systématiques, a priori et sans discernement, qui se développent actuellement auprès des Gens du Voyage créé une insécurité de vie de l’ensemble de cette population.
Ces mesures discriminatoires, génératrices d’exclusion, sont totalement en infraction avec le droit français.
Aussi les Gens du Voyage se posent-ils légitimement la question de savoir, où ils peuvent séjourner, accéder à leurs droits, et satisfaire à leurs devoirs et obligations.
Nous demandons que la période actuelle d’application de la loi du 5 juillet 2000 contribue à un apaisement des troubles sociaux causés par le déni du droit à habiter et à séjourner des Gens du Voyage et permette une rencontre et une concertation entre les Gens du Voyage et les institutions.
La proposition par les Elus locaux et territoriaux, durant cette période, de solutions négociées et temporaires de séjour devrait permettre l’émergence des besoins qualitatifs d’habitat des Gens du Voyage, une responsabilisation contractuelle des devoirs liés au séjour, et répondre aux aspirations légitimes à la tranquillité publique des populations Gens du Voyage et des populations sédentaires.
Faut-il rappeler que le droit à une vie familiale normale présuppose la disposition d’un logement décent, et que le Conseil Constitutionnel dans sa décision du 19 janvier 1995 confirme que l’habitat caravane des Gens du Voyage s’inscrit dans la diversité d’habitat reconnue par la loi du 21 janvier 1995.
La priorité donnée à la sécurité oblige encore plus le respect des droits fondamentaux des populations les plus fragiles, alors que les gouvernements successifs n’ont pas su leur apporter les réponses de solidarité, d’égalité et de réelle intégration.
Associations signataires :
-URAVIF – Union Régionale des Associations de la Région Ile-de-France pour la promotion des Tsiganes et autres Gens du Voyage – 59 rue de l’Ourcq 75019 Paris
-AFGVIF – Association Familiale des Gens du Voyage d’Ile-de-France – 22 rue du Chemin Vert 93300 Aubervilliers
-UNISAT – Union Nationale des Institutions Sociales d’Action pour les Tsiganes – 59 rue de l’Ourcq 75019 Paris
-Etudes Tsiganes – 59 rue de l’Ourcq 75019 Paris
-LDH – Ligue des Droits de l’Homme – 138/140 rue Marcadet 75018 Paris
-MRAP – Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre les Peuples – Commission Tsiganes et Gens du voyage – 43 boulevard Magenta 75010 Paris
-GV 77 – Association Départementale des familles des Gens du Voyage et de leurs amis de Seine et Marne – 5 avenue de l’Abbaye 77150 Lesigny
-ADYV – Association Départementale des Yvelines pour la Promotion des Tsiganes et autres Gens du Voyage – BP 88 78194 Trappes Cedex
-ADGVE – Association Départementale Gens du Voyage de l’Essonne – ZI de l’Eglantier, 16 rue du Bel Aire CE 45 44 Lisses 91045 Evry Cedex
-ASAV – Association pour l’Accueil des Voyageurs – 317 à 325 rue de la Garenne 92000 Nanterre
-ADEPT – Association Départementale pour la Promotion des Tsiganes et Voyageurs – 37 r Voltaire, 93700 DRANCY – tél.
01 48 31 19 71
-ADVOG – Association Départementale Voyageurs Gadgés – 31, rue de Gisors 95300 Pontoise
Offensive des députés de droite contre les gens du voyage lors du débat sur la sécurité
Les gens du voyage sont dans le collimateur du gouvernement et de la nouvelle majorité parlementaire. Au cours du débat sur le projet de loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure (Lopsi), adopté, dans la nuit du mercredi 17 au jeudi 18 juillet, en première lecture par les députés, plusieurs personnalités de droite ont proposé de durcir l’arsenal répressif contre les « campements sauvages » de familles nomades.
Le ministre de l’intérieur, Nicolas Sarkozy, avait ouvert la voie, le 10 juillet, devant la commission des lois de l’Assemblée nationale, en déclarant : « Peut-être que l’une des solutions que voudra bien regarder le Parlement sera la confiscation des véhicules. » Son voeu a été exaucé. Au nom de la commission des finances, Alain Joyandet, député (UMP-RPR) de Haute-Saône, a, en effet, déposé un amendement pour « sanctionner plus efficacement » les groupes de tsiganes qui refusent de quitter une « propriété privée » alors qu’ils ont été sommés de le faire. Il préconise des « sanctions financières » et, « à titre complémentaire, la confiscation des véhicules ayant servi à commettre l’infraction ».
Christine Boutin, députée (UMP) des Yvelines, a, elle aussi, apporté sa pierre à l’édifice en présentant un amendement qui recommande la mobilisation des groupements d’intervention régionaux (GIR). Composées de policiers, de gendarmes, de douaniers et d’agents du fisc, ces structures ont, au départ, été lancées par le nouveau gouvernement pour combattre la délinquance et l’économie souterraine dans les quartiers en difficulté. Mme Boutin souhaite qu’elles s’attaquent également aux « délits commis par les gens du voyage lorsqu’ils présenteront les caractéristiques justifiant l’intervention de plusieurs administrations, notamment fiscale ». La formule renvoie, en fait, à une suspicion récurrente à propos des nomades, que M. Sarkozy avait bien résumée, le 10 juillet : « Comment se fait-il que l’on voit dans certains de ces campements tant de si belles voitures, alors qu’il y a si peu de gens qui travaillent ? » L’amendement de Mme Boutin vise donc des familles, dont le niveau de confort matériel pourrait être lié à d’éventuelles activités délictueuses ; il cherche aussi à débusquer les tsiganes qui s’exonèrent de leurs obligations fiscales.
Les deux amendements présentés par Mme Boutin et M. Joyandet ont été adoptés. Cependant, et même s’ils étaient maintenus dans la version définitive de la Lopsi, ils ne devraient pas avoir d’impact juridique dans l’immédiat, car ils modifient la teneur d’une des deux annexes du texte. Or celles-ci n’ont qu’une valeur déclaratoire : elles précisent notamment les dispositions répressives, souhaitées par le gouvernement et la majorité ; elles feront l’objet d’un autre projet de loi, soumis au Parlement à l’automne.
Les amendements des deux députés donnent cependant le ton : ils montrent les intentions de la droite sur un dossier qui exaspère de plus en plus d’élus. Plusieurs députés sont d’ailleurs montés au créneau, au cours des derniers jours : Richard Dell’Agnola, député (UMP) du Val-de-Marne, et Mme Boutin ont réclamé, respectivement le 11 et le 12 juillet, la création d’une commission d’enquête parlementaire sur les gens du voyage. Le 14 juillet, Lucien Degauchy, député (UMP-RPR) de l’Oise, a annoncé qu’il avait redéposé une proposition de loi, déjà présentée, sans succès, en octobre 2001, « tendant à alléger la procédure d’expulsion » de familles nomades en « stationnement illégal ».
Face à cette offensive, les organisations qui représentent la communauté des « voyageurs » commencent à exprimer leurs préoccupations. Dans une lettre adressée au premier ministre, la Fédération protestante a déploré « les amendements toujours plus contraignants à l’égard des gens du voyage ». Interrogé par Le Monde, son président, le pasteur Jean-Arnold de Clermont, juge « parfaitement scandaleux » de vouloir créer une commission d’enquête. Il craint également que cette « focalisation » sur les nomades n’alimente les tensions. « C’est dangereux, renchérit Marguerite Gille, présidente de l’Union nationale des institutions sociales d’action pour les Tsiganes (Unisat). Cela revient à désigner à la vindicte publique une catégorie de la population. » Déplorant les « amalgames » que certains hommes politiques font entre réfugiés roumains et gens du voyage français, Mme Gille insiste sur la pénurie persistante de places dans les aires d’accueil, qui accule les familles à occuper des terrains sans y être autorisées.