Haïti, le prix de la liberté
Haïti a payé un très lourd tribut à l’esclavage. En 1789, cette possession française que l’on appelle alors Saint-Domingue joue un rôle important dans le commerce mondial : l’île est le premier producteur mondial de sucre. Le territoire compte 500 000 esclaves − 85 % de la population. Deux ans après la Révolution, une insurrection éclate, puis l’esclavage est aboli en 1794, et le chef militaire noir Toussaint Louverture devient, en 1797, « commandant en chef de la colonie ».
Quelques années plus tard, Bonaparte rompt avec cette politique : il rétablit l’esclavage en 1802, et envoie une flotte militaire. La guerre est terrible − plus de 50 000 soldats français et plus de 100 000 habitants périssent −, mais, en 1804, Jean-Jacques Dessalines, un ancien esclave devenu chef des insurgés après la capture de Toussaint Louverture, proclame la République d’Haïti. L’île est le premier territoire du monde à s’affranchir de l’esclavage par les armes.
150 millions de francs-or
Ce geste lui coûtera cher − au sens propre. Isolé diplomatiquement depuis la proclamation de la République, menacé par les navires de guerre de Charles X, Haïti est obligé d’accepter, en 1825, de payer une très lourde indemnité à la France. Pour reconnaître la souveraineté de l’île, celle-ci exige 150 millions de francs-or pour indemniser les colons − l’équivalent, selon l’économiste Thomas Piketty, de 2 % du PIB français de l’époque. « Ce tribut sera finalement ramené à 90 millions, mais Haïti traînera jusqu’au milieu du XXe siècle une dette extérieure colossale à l’égard de la France », expliquait-il, en 2013, dans Libération.
Cette dette qui étrangle l’île resurgit dans les débats, en France, à la veille du bicentenaire de la révolution haïtienne, en 2003 : Christiane Taubira, alors députée de Guyane, demande au gouvernement de restituer cet « intolérable indu ». « La dette de décolonisation payée à la France (…) a constitué une ponction financière considérable, handicapant et limitant durablement l’accumulation de capital et la modernisation de l’appareil productif, tout en contribuant, par ces versements, à l’accumulation du capital en Europe que la colonie la plus productive du monde, alors appelée “perle des Antilles”, avait déjà stimulé dès le XVIIIe siècle. »
Une controverse qui reprend
Quelques semaines plus tard, le président haïtien, Jean-Bertrand Aristide, demande, lui aussi, la restitution de ce tribut qu’un cabinet d’affaires américain estime à l’équivalent de 21 milliards de dollars actuels. Jacques Chirac refuse mais la controverse reprend, dix ans plus tard, sur le terrain judiciaire : en 2013, le Conseil représentatif des associations noires (CRAN) assigne devant le tribunal de Paris la Caisse des dépôts et consignations, qui a encaissé l’argent avant de le redistribuer aux colons.
Cette année, Haïti sera au centre des commémorations organisées, le 10 mai, pour la Journée nationale des mémoires de la traite, de l’esclavage et de leurs abolitions : 2014 est le 220e anniversaire de la première abolition de l’esclavage par un Etat et le 210e anniversaire de l’indépendance du pays.
- Voir également La France et la rançon exigée d’Haïti par Gilles Manceron