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Contrôle d’identité à Paris - Photo Jean-Michel Sicot

Délit de faciès : Manuel Valls refuse une mesure “bureaucratique”

Une nouvelle provocation de Manuel Valls : alors que Jean-Marc Ayrault réaffirmait, mercredi 19 septembre sur RTL, la volonté présidentielle de mettre fin aux contrôles d'identité “au faciès”, le ministre de l'intérieur chargé de mettre en place cette politique a annoncé dans Libération qu'il abandonnait l'idée d'un récépissé remis par les fonctionnaires de police après chaque contrôle d'identité. Le ministre a estimé la mesure «beaucoup trop bureaucratique et lourde à gérer» et a évoqué des «difficultés juridiques».
Contrôle d’identité à Paris - Photo Jean-Michel Sicot
Contrôle d’identité à Paris – Photo Jean-Michel Sicot

Le scepticisme de Manuel Valls pour réformer les contrôles d’identité est déplorable

Une réforme en profondeur est nécessaire, urgente et réaliste.

Paris, le 20 septembre 2012

Après le discours de M. Valls à l’École Militaire et l’intervention de M. Ayrault, sur RTL, les organisations (Gisti, Graines de France, Human Rights Watch, la Ligue des droits de l’Homme, la Maison pour un Développement Solidaire, Open Society Justice Initiative, le Syndicat des Avocats de France et le Syndicat de la Magistrature) appellent le gouvernement à respecter les engagements pris en matière de réforme des contrôles d’identité. Cette réforme est urgente et nécessaire et, contrairement aux affirmations du ministère de l’Intérieur, est parfaitement réaliste et de nature à améliorer l’efficacité des forces de l’ordre.

Dans sa proposition n° 30, François Hollande s’est engagé à « lutter contre le délit de faciès » dans les contrôles d’identité, grâce à « une procédure respectueuse des citoyens ».

Cet engagement essentiel, à haute portée symbolique, doit nécessairement être mis en œuvre pour faire face au problème des contrôles au faciès. En effet, l’engagement du Président est intervenu après des années, durant lesquelles des organisations nationales et internationales ont publié de nombreux rapports mettant en lumière les dérives des contrôles d’identité en France, y compris le contrôle au faciès.

Ces dérives dégradent la relation entre la police et la population, et provoquent le sentiment pour les victimes de ces contrôles d’être considérées comme des citoyens de seconde zone. En outre, dans de nombreux cas, ils sont attentatoires à plusieurs libertés et droits fondamentaux : liberté d’aller et venir, droit à la sûreté, droit à la protection de la vie privée et à la non-discrimination.

La proposition n° 30 du Président représente un engagement de faire respecter l’état de droit et de rétablir un juste équilibre entre la capacité pour les agents de remplir leurs missions tout en assurant la protection des libertés fondamentales. Il représente aussi un engagement de restaurer la sérénité entre police et population et d’améliorer la sécurité de tous.

La position exprimée par Manuel Valls dans son discours du 19 septembre relatif aux mesures à mettre en place pour mener à bien cette réforme des contrôles d’identité, est particulièrement regrettable et inquiétante. D’autant que cette prise de position intervient après un débat public réducteur focalisant principalement sur les récépissés de contrôle, véhiculant de fausses idées sur ceux-ci et alors qu’aucune expérimentation n’a été menée.

Les expériences réalisées dans d’autres pays ont clairement démontré la possibilité à la fois de réduire la prévalence des pratiques discriminatoires et d’améliorer l’efficacité des contrôles de police. Pour réussir, un fort engagement politique ainsi qu’un ensemble de mesures sont nécessaires.

La délivrance d’un récépissé après un contrôle constitue en effet un élément important d’un dispositif visant à réduire les contrôles au faciès, mais elle ne sera pas suffisante. Une réforme plus globale est nécessaire : réforme de la loi encadrant les contrôles d’identité (article 78-2 du Code de procédure pénale), suivi des contrôles par les superviseurs et cadres policiers, rencontres régulières entre les citoyens/habitants, la police et les élus pour discuter de la pratique des contrôles, formation amenant les agents à réfléchir sur les objectifs des contrôles d’identité et à en user avec discernement.

Au sein d’un tel dispositif, la mise en place des récépissés de contrôle rendra plus transparente la façon dont les contrôles sont effectués, de même qu’elle permettra d’en finir avec la situation anormale qui perdure à ce jour, à savoir l’absence de toute trace matérielle, de tout enregistrement physique des contrôles d’identité. Avec ces documents, conçus pour éviter tout fichage, l’institution policière aura un appui objectif pour démontrer l’absence de discrimination ou de harcèlement dans l’exercice de ses pratiques dans la mesure où lesdits documents pourront confirmer les raisons objectives de chaque contrôle.

Afin de développer un dispositif approprié, il est impératif que les divers acteurs concernés — associations, experts, élus locaux, magistrats et avocats, ainsi que le ministère de la Justice — soient consultés et impliqués.

Nos organisations appellent le gouvernement à respecter l’engagement n° 30 du Président et, sans attendre, à mettre en œuvre une véritable consultation.

Organisations signataires

Gisti

Graines de France

Human Rights Watch

Ligue des Droits de l’Homme

Maison pour un Développement Solidaire

Open Society Justice Initiative

Syndicat des Avocats de France

Syndicat de la Magistrature

Récépissés : « Les arguments de Valls ne tiennent pas »

par Celine Rastello, Nouvel Obs, le 20 septembre 2012

Le ministre de l’Intérieur renonce au projet de récépissé. Le collectif « Stop le contrôle au faciès » ne cache ni son étonnement ni sa déception. Interview.

Manuel Valls a été clair. Invoquant une mesure « beaucoup trop bureaucratique et lourde à gérer » et des « difficultés juridiques », il a enterré mercredi la proposition de délivrance d’un récépissé lors des contrôles d’identité. Les policiers sont satisfaits. Pas le collectif « Stop le contrôle au faciès », qui aux côtés d’autres associations, (Human Rights Watch, Open society Justice Initiative,…), prône la délivrance d’un récépissé. Le Nouvel Observateur a questionné une de ses porte-paroles, Sihame Assbague.

  • Comment recevez-vous l’annonce du ministre de l’Intérieur d’abandonner l’idée de la délivrance d’un récépissé ?

Le collectif est très étonné. Dans un premier temps car c’est surprenant d’annoncer cela sans attendre la remise du rapport commandé par le Premier ministre Jean-Marc Ayrault au Défenseur des droits Dominique Baudis prévue le 8 octobre. Avant l’été, le gouvernement a commandé un rapport. Et il semble maintenant reculer sans même attendre ses résultats ! On prend donc des décisions sans les données permettant de les motiver.

Nous sommes par ailleurs particulièrement surpris par les arguments avancés par le ministre de l’Intérieur. Quand nous avons été reçus par son cabinet en juin, nous avons expliqué que les procédés de mise en oeuvre du récépissé n’entraînaient aucune lourdeur administrative. L’établissement de ce récépissé ne prend pas plus de temps qu’un procès-verbal. Notre travail de terrain et de concertation avec les associations, les citoyens, les syndicats de police, les magistrats et les élus n’est pas pris en compte.

  • Le ministre a notamment invoqué les « difficultés juridiques » liées à la création de fichiers…

Nous avons également expliqué en juin que les souches de ces récépissés seraient envoyées au CNRS, puis traitées par une commission indépendante rattachée au Défenseur des droits. Il n’y a ni difficulté juridique ni lourdeur bureaucratique. C’est très simple à appliquer. L’argument du fichier ne tient pas non plus. Le récépissé peut être mis en place sans constitution de fichier ethnique ni violation des données personnelles. Donc sans remettre en cause les principes fondamentaux. La Cnil (Commission nationale de l’informatique et des libertés) n’a par ailleurs jamais pris position sur ce sujet et jamais parlé de risque. Il est en outre étonnant, pour justifier l’abandon de la mesure, d’invoquer le risque de violation des principes républicains, alors que les contrôles au faciès et la discrimination qu’ils génèrent les remettent précisément en cause.

  • Le ministre de l’Intérieur assure en revanche que l’engagement de François Hollande de lutter contre les contrôles au faciès sera tenu. Il veut revoir la procédure du contrôle et insiste sur le code de déontologie. Cela vous paraît-il suffisant ?

Non. Cela nous paraît contradictoire. Notre proposition n’est pas née du jour au lendemain. Elle est le fruit d’un travail mêlant l’inspiration d’expériences réalisées à l’étranger, les résultats d’études sur le terrain en France, de nos maraudes régulières et de diverses rencontres. Le bannissement du tutoiement, la précision du code de déontologie, ou encore rendre visible le matricule, avancés par le ministre, sont très intéressants. Mais soyons honnêtes : ils ne permettront pas de lutter contre le contrôle au faciès. Encore moins de quantifier les contrôles. On parle aujourd’hui d’efficacité policière en matière de contrôles d’identité, mais combien sont réalisés chaque année ? On l’ignore. On sait que dans certains pays comme l’Espagne ou l’Angleterre, seuls 5% des contrôles mènent à une interpellation.

  • En quoi cette proposition de récépissé est selon vous la plus pertinente en matière de lutte contre le contrôle au faciès ?

Ce récépissé offre d’une part aux policiers la possibilité de quantifier les contrôles, et aux policiers et aux citoyens d’avoir un recours et d’être mieux protégés en cas de litige. Depuis que nous avons mis en place notre numéro de téléphone permettant de dénoncer les contrôles abusifs, nous ne cessons d’être contactés. Nous recevons actuellement entre cinq et dix appels chaque jour de personnes aux profils très divers, s’estimant victimes de contrôles abusifs. La plupart ont demandé à la police la raison du contrôle, sans réponse.

  • Le gouvernement souhaite par ailleurs améliorer la relation police-population.

Cela passe nécessairement par la lutte contre le contrôle au faciès. Il joue une part non négligeable dans la défiance ressentie par certains vis-à-vis de la police. Les citoyens qui ne savent pas pourquoi ils sont contrôlés sentent que c’est à cause de la couleur de leur peau ou de leur style vestimentaire. On ne peut pas leur demander, après, d’avoir confiance en la police.

  • Pensez-vous que le ministre de l’Intérieur puisse revenir sur sa décision ?

Nous espérons qu’il tiendra ses engagements. Il doit attendre le rapport du Défenseur des droits et prendre en compte ses préconisations. Et continuer à écouter le terrain. Cette décision est prématurée. Et doit évoluer. Une rencontre est prévue le 9 octobre, au lendemain de la remise du rapport du Défenseur des droits, entre des parlementaires et les associations. Le collectif y sera.

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