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Édition du 15 novembre au 1er décembre 2024

D’Alger à Béjaïa, Oran ou Tlemcen, les pieds-noirs reviennent « au pays »

par Florence Beaugé [Le Monde, daté du 9 juin 2005]

Ils viennent pour la plupart de Nice, Marseille ou Montpellier. Ils sont surpris et nostalgiques… A l’aise comme on peut l’être quand on se sent chez soi, volubiles et chaleureux, ils embrassent tout le monde à tour de bras, la larme à l’oeil. On leur avait dit : « Tu as tort d’y aller, tu vas être dégoûté » , or c’est « tout le contraire qui s’est produit ! » soulignent-ils avec émotion. L’accueil a été « sensationnel » , au-delà de ce qu’ils pouvaient imaginer.

Alger, Béjaïa, Oran et Tlemcen voient défiler chez eux ces derniers temps des milliers de touristes, essentiellement des pieds-noirs qui avaient quitté en catastrophe, il y a quarante-trois ans, l’Algérie nouvellement indépendante. Quarante-cinq mille anciens Français d’Algérie auraient reçu leur visa depuis le début de l’année 2005 pour revenir « au pays » , et ce flux ne devrait pas tarir, le pouvoir algérien misant sur ces « rapatriés » pour jouer le rôle de tête de pont et amener les investissements tant attendus.

Ils sont une soixantaine à avoir fait le déplacement, ces jours-ci, avec l’association France-Maghreb. Aucun d’entre eux n’était revenu sur place depuis 1962. Pour la plupart, il s’agissait de gens modestes. L’un était coiffeur, l’autre vendeuse à Monoprix. Ils ne se sont pas remis d’un départ et d’un exil qui les ont marqués à vie. Que s’est-il passé ? Avec le recul, ils ne le comprennent toujours pas. La plupart pensent sincèrement qu’ils vivaient « comme des frères avec les musulmans » et gardent le sentiment d' »avoir payé pour les gros colons » , autrement dit « les vrais exploiteurs » .

Girelle, baptisée de ce nom de poisson il y a une soixantaine d’années par son navigateur de père, est née et a grandi dans un HLM du Ruisseau, quartier populaire d’Alger. Elle a les cheveux blonds, une robe à fleurs décolletée et des bracelets en or sur ses bras nus. Un bourek (un feuilleté farci) dans une main, un verre de vin de Médéa dans l’autre, elle raconte sa journée.

« ENFIN GUÉRIE »

Avec son frère Isidore, elle est allée frapper à la porte de son ancien appartement. L’actuelle occupante leur a ouvert les bras. « J’ai revu ma chambre. Nos meubles étaient encore là. On pleurait tous comme des fontaines… » Si Girelle peste, ce n’est pas contre « les Arabes » et « les fellaghas » ­ elle continue d’employer ces termes sans rien y voir de péjoratif ­ mais contre « les patos » (les métropolitains). Elle ne leur pardonne pas la façon dont ils ont accueilli les pieds-noirs à leur arrivée en France en 1962. « Soi-disant qu’on avait des terres et des fatmas et qu’on faisait suer le burnous, alors qu’on était de simples ouvriers ! Ma « terre » je peux vous le dire, elle fait deux mètres de long sur un mètre cinquante de large. Elle se trouve dans le cimetière de Saint-Eugène : c’est la tombe de mon père ! »

Elisabeth avait six mois quand sa famille d’origine espagnole, établie ici depuis plusieurs générations, a fui, sans rien emporter. « J’étais la dernière née en Algérie. Je suis la première à y retourner. J’attendais ce jour depuis toute petite » , raconte-t-elle, bouleversée. Avant même d’arriver à Alger, il lui semblait connaître par coeur Bab el-Oued et ses trois horloges, la plage de Padovani ­ évoquée par Camus dans L’Etranger ­ ou encore Notre-Dame-d’Afrique. Elle reviendra en Algérie l’année prochaine, c’est sûr, mais « avec -ses- enfants » .

« Mais pourquoi donc êtes-vous partis ? » , leur demande-t-on sans cesse, en les arrêtant dans la rue. « Parce que c’était la valise ou le cercueil ! Vous ne vouliez plus de nous » , répondent Françoise, Jean-Claude, Anne-Marie, Georgette. « C’est faux ! Revenez, vous êtes chez vous ! » rétorquent invariablement les Algériens en les couvrant de cadeaux et de sourires. « J’ai l’impression d’avoir traversé une longue maladie et d’être enfin guérie » , confie Maryse.

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