4 000 articles et documents

Rechercher
Fermer ce champ de recherche.
Édition du 15 novembre au 1er décembre 2024

Black Lives Matter,
un mouvement transnational ?

Le n° 6 de la revue Esclavages & post-esclavages, publié en 2022 par le Centre International de Recherches sur les Esclavages et Post-esclavages (CIRESC) a pour thème le mouvement Black Lives Matter, dont il questionne la dimension transnationale. Nous publions un extrait de son introduction. Outre cette revue, en association avec les éditions Karthala, le CIRESC publie également les riches collections « Esclavages » et « Esclavages et documents », consacrées à la question des traites, des esclavages, des situations d’esclavages et/ou de leurs héritages contemporains, et qui compte déjà une vingtaine de volumes, dont nous présentons le dernier paru.

Black Lives Matter, un mouvement transnational ?

Introduction au n° 6 de la revue
Esclavages & post-esclavages

par Audrey Célestine, Nicolas Martin‑Breteau et Charlotte Recoquillon
Source

couv_no_6_def-ok_300x400px.jpg

1. À partir de 2013, Black Lives Matter a émergé aux États‑Unis comme un mouvement social de grande ampleur, dont l’objectif premier était la dénonciation et l’abolition des violences policières contre les personnes noires et, plus généralement, du racisme systémique aux États‑Unis. Alors que le hashtag #BlackLivesMatter devenait viral sur les réseaux sociaux, un vaste rassemblement politique s’est développé, jusqu’à atteindre une visibilité internationale inédite (Célestine & Martin‑Breteau 2020 ; Recoquillon 2020 ; Taylor 2016).

2. Le terme « Black Lives Matter » désigne plusieurs éléments. Il s’agit d’abord d’un cri de ralliement, notamment utilisé dans les manifestations de rue et sur les réseaux sociaux, formulant un idéal politique antiraciste visant à affirmer la valeur des vies noires, à exprimer une solidarité à l’égard des populations afro‑descendantes et à dénoncer le racisme qu’elles subissent. « Black Lives Matter » désigne également une organisation politique spécifique (https://blacklivesmatter.com/), créée en 2013, et qui, à l’aide d’antennes aux États‑Unis et à l’étranger, ainsi que d’organisations alliées, soutient et met en œuvre des projets de justice raciale. Enfin, le terme englobe l’ensemble des organisations ayant apporté leur soutien aux mouvements de protestation antiracistes des années 2010, et dont une cinquantaine, toutes basées aux États-Unis, se sont rassemblées depuis 2015 dans le Movement for Black Lives (https://m4bl.org/​)1. L’expression « Black Lives Matter » recouvre donc des réalités complexes, aussi bien à l’échelle des États‑Unis qu’à l’échelle internationale.

3. Dans le contexte hostile aux mouvements antiracistes que fut la présidence de Donald Trump (2017‑2021), les mobilisations liées à Black Lives Matter ont pourtant pris une dimension nouvelle, à la suite du meurtre de George Floyd par un policier blanc à Minneapolis, le 25 mai 2020. Aux États‑Unis comme dans de nombreux pays dans le monde, des dizaines de manifestations de soutien à Black Lives Matter ont rassemblé des centaines de milliers de personnes – des chiffres d’autant plus impressionnants dans un contexte de pandémie mondiale (Kennedy‑MacFoy & Zarkov 2020 ; Silverstein 2021). Ainsi, malgré l’hétérogénéité des réalités désignées par le terme, Black Lives Matter apparaît initialement comme un socle de revendications politiques communes, diffusées par‑delà les frontières nationales. En première analyse, plusieurs éléments semblent en effet caractériser Black Lives Matter comme un mouvement transnational : la reprise des slogans liés à BLM, nés aux États‑Unis, dans de nombreux pays à l’occasion de manifestations simultanées ; l’ambition transnationale du mouvement par le soutien de causes et la rencontre de militants par‑delà les frontières nationales ; la diffusion transnationale de répertoires d’action comme certaines performances (le genou à terre) et slogans (I can’t breathe ; Black lives matter) ; la mobilisation d’acteurs non étatiques œuvrant contre le racisme à l’échelle internationale.

© Photographie de @Thegirlsonfireh
© Photographie de @Thegirlsonfireh

4. Néanmoins, cette caractérisation de Black Lives Matter invite à revisiter les définitions classiques données aux mouvements transnationaux. Formulées pour analyser à la fois les contre‑sommets et les mouvements altermondialistes des années 1990 et 2000 (Della Porta & Tarrow 2005), ces définitions s’avèrent peu utiles pour analyser le mouvement Black Lives Matter. Fondées sur plusieurs éléments dont la nature des revendications et des protestations collectives par‑delà les frontières nationales ; la vigueur des connexions militantes, plus ou moins formelles, qui structurent son développement ; la cohérence de l’espace social transnational dans lequel se déploie le mouvement ; l’identité collective des personnes qui se revendiquent proches du mouvement par‑delà leurs appartenances nationales (Sapiro et al. 2018 ; Siméant 2015), ces définitions sont moins adaptées aux types plus fluides de transnationalisation observées ces dernières années.

5. Un tel constat invite ainsi plutôt à comprendre ce qu’implique la transnationalisation (Siméant 2010) de Black Lives Matter pour des mouvements locaux préexistants, notamment à la suite du meurtre de George Floyd en mai 2020. Dans cette perspective, ce dossier se propose d’analyser les formes, les degrés et les implications de ce qui circule de façon transnationale à partir du mouvement Black Lives Matter, depuis les États‑Unis vers le reste du monde, et inversement. Cette perspective invite à repérer et analyser les modes de circulation et de connexion, d’identification et d’appropriation, de réinterprétation, voire de distanciation à l’égard de ressources et de savoir‑faire politiques, médiatiques et scientifiques, engageant une dimension transnationale plus ou moins affirmée.

Lire la suite sur le site de la revue Esclavages et post-esclavages



La collection « Esclavages »
aux éditions Karthala/CIRESC



Cette collection est née en 2010 de l’association entre le CIRESC et les éditions Karthala. C’est la seule en France qui soit consacrée à la question des traites, des esclavages, des situations d’esclavages et/ou de leurs héritages contemporains. Elle souligne l’importance des représentations racialisées, qu’elles soient construites, héritées, réactualisées, revendiquées. Elle publie les recherches les plus récentes comme des traductions d’ouvrages classiques.

Voir le catalogue de cette collection

Dernier ouvrage paru



noirs-et-blancs-contre-l-esclavage-une-alliance-antiesclavagiste-ambigue-aux-etats-unis-1754-1830_red.jpg

Présentation de l’éditeur



L’abolition de l’esclavage aux États-Unis a une longue histoire, qui trouve son origine dès la période coloniale avant de connaitre un tournant en 1754, au début de la guerre de Sept Ans. Aux antiesclavagistes blancs s’ajoutent peu à peu les Noirs libérés dans le Nord, lors de la Révolution américaine. Ils plaident ensemble pour une Déclaration d’indépendance accordant une réelle égalité à tous les Américains.

Le succès est alors mitigé, avec des abolitions au Nord et une perpétuation de l’esclavage au Sud. Le début du XIXe siècle amorce une autre étape dans le combat antiesclavagiste et le mouvement des droits civiques états-uniens. Dans un contexte d’expansion de la culture du coton au Sud et à l’Ouest des États-Unis entraînant une montée des discriminations raciales, de nouvelles mobilisations voient le jour pour résister à l’esclavage.

Comment la pensée antiesclavagiste se forme-t-elle, sur quelles bases religieuses, philosophiques et politiques ? Quelles sont ses évolutions entre le xviiie siècle et le début du XIXe siècle ? Quels sont les procédés mis en œuvre par ses acteurs, Blancs et Noirs, pour combattre le système esclavagiste ? Dans quelle mesure Noirs et Blancs sont-ils de réels alliés ? Ont-ils toujours les mêmes objectifs ?

En s’appuyant sur de nombreux écrits de figures militantes blanches et noires, cet ouvrage interroge et retrace leurs combats jusqu’à la veille de leur rapprochement historique, vers 1830, tout en faisant écho à des clivages et modes de pensées encore d’actualité au sein de la société états-unienne. Il permet aussi de dévoiler des textes qui constituent de nos jours, en France, un pan méconnu de la littérature d’émancipation.

Marie-Jeanne Rossignol est professeure à Université Paris Cité. Spécialiste de l’histoire des États-Unis aux XVIIème et XIXème siècles, elle étudie le processus d’abolition de l’esclavage dans ce pays et a publié en 2017 avec Bertrand Van Ruymbeke la traduction éditée de l’ouvrage majeur de l’antiesclavagiste Anthony Benezet, Une histoire de la Guinée (Paris, Société française d’étude du dix-huitième siècle).

  1. M4BL ne communique plus la liste de ses membres et partenaires sur son site internet. En janvier 2017, on y trouvait encore une liste de 28 organisations formant un « front uni pour les vies noires » (United front for black lives), suivie de 226 « soutiens » (endorsing organizations). Il est possible que la trajectoire de la communication du M4BL, moins transparente qu’auparavant, soit le reflet d’une certaine confusion ou de tensions au sein de l’organisation.
Facebook
Twitter
Email