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Édition du 1er juillet au 15 juillet 2024

Avant le débat du 29 novembre 2005 sur l’abrogation de l’article 4 de la loi du 23 février 2005

A la veille du débat du 29 novembre 2005 à l'Assemblée nationale sur l'abrogation de l'article 4 de la loi du 23 février 2005, des critiques de cette loi apparaissent dans la presse française et algérienne. Nous publions les propos publiés à Paris par le site internet de la chaîne de télévision France 2, qui parle d'un « tollé » et donne la parole à des personnes qui demandent cette abrogation. Et ceux publiés à Alger par le quotidien La Tribune qui juge que ces questions, dans une France en pleine bourrasque identitaire, sont l'otage de jeux et de calculs politiques.

« Rôle positif » de la colonisation : tollé

Publié le 28 novembre 2005 sur le site internet de France 2

Le PS a exhorté lundi la majorité à abroger un article de loi évoquant « le rôle positif » de la colonisation

Le président du groupe PS à l’Assemblée présentait une proposition de loi PS supprimant de la loi du 23 février 2005 sur les rapatriés l’article évoquant le  » rôle positif de la présence française  » notamment  » en Afrique du Nord « . La proposition, soutenue par les communistes, sera examinée mardi.

 » Cet article réhabilite “le bon temps de la coloniale” « , s’est indigné M. Ayrault.  » C’est un contre-exemple éducatif, un anachronisme historique, une faute historique « , a-t-il ajouté alors que cette affaire a suscité un tollé chez les historiens et une polémique entre Paris et Alger.

 » Nous tendons la main à la majorité et au gouvernement. Notre initiative ne rejoue pas les guerres coloniales « , a-t-il encore dit. Evoquant la  » crise d’identité  » traversée par la France qui  » a le sentiment de ne plus partager les mêmes valeurs, de ne plus avoir la même histoire « , il a estimé que cet article  » ne peut qu’aggraver les conflits de mémoire notre communauté « .

La disposition qui a fait naître la polémique, en France, deux mois aprés sa promulgation, puis en juillet en Algérie, où le président Bouteflika s’est insurgée contre le texte, avait suivie tout son parcours parlementaire sans susciter d’émotion.

Pour sa part, interrogé sur la réaction tardive des socialistes, M. Ayrault a reconnu  » un manque de vigilance « , arguant que  » l’amendement a été présenté à la sauvette un vendredi en fin d’après-midi « . Ayant « perçu » la portée de la bévue, députés et sénateurs PS ont écrit au premier ministre. Ce dernier a  » renvoyé la question à une commission d’historiens qui n’a jamais vu le jour « .

Face à la montée de l’émotion, les premières réactions de la majorité ne sont empreintes de la même volonté de revenir sur le texte.  » Il n’est pas question de supprimer cet article « , a affirmé Lionnel Luca (UMP).De son côté, Marc Laffineur, vice-président du groupe UMP, a ironisé sur les socialistes  » qui ne font que revenir sur un vote sur lequel ils ne se sont pas opposés à l’Assemblée nationale  » en  » prétextant des mouvements dans les banlieues « .

Assurant que c’était  » la conception de la République qui (était) en cause « , M. Ayrault devait rencontrer lundi soir le président de l’Assemblée nationale, Jean-Louis Debré, et le président du groupe UMP, Bernard Acoyer, pour tenter de les convaincre.

Réactions

Victorin Lurel, député PS:  » On ne peut pas imposer une version officielle de l’histoire de France « .  » Comment peut-on oublier l’enfermement, l’aliénation coloniale « , a-t-il ajouté.

SOS Racisme appelle tous les parlementaires à voter l’abrogation de la loi.  » La France a suffisamment de difficultés à reconnaître les pages sombres de son Histoire pour que nous nous scandalisions de voir certains tenter de repeindre ces pages en rose « , écrit l’association.

Les historiens et le réveil des mémoires

Après des décennies de silence sur la colonisation française, l’article de loi controversé sur son  » rôle positif  » a entraîné le réveil brutal des mémoires refoulées au risque de saper la République, estiment des historiens.

 » Ce retour sur le passé colonial met en cause directement une image mythifiée de la République, comme République universelle, farouche partisan des droits de l’Homme, non seulement dans l’Hexagone, mais de par le monde « , souligne Olivier Lecour-Grandmaison, auteur de « Coloniser, exterminer. Sur la guerre et l’état colonial« .

 » Le fait que trois républiques soient impliquées dans la colonisation et des conflits coloniaux extrêmement violents, plus les partis politiques et un certain nombre de leurs dirigeants, expliquent les raisons pour lesquelles, de la droite jusqu’au Parti communiste il est extrêmement douloureux et très difficile de revenir sur ce passé « , indique-t-il.

Pour Pascal Blanchard, auteur de « La fracture coloniale« ,  » La France vit aujourd’hui les contrecoups de 40 ans de silence « .  » Tout explose parce que la cocotte-minute de l’Etat n’arrive plus à mettre une pression suffisante pour éviter que ça explose dans tous les sens « .

Les descendant d’esclaves ne sont plus des esclaves

De son côté, Claude Liauzu, initiateur de la pétition des historiens contre la loi du 23 février 2005 exigeant que  » les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord « ,  » Ce silence politique a favorisé tous les abus de mémoire, toutes les rivalités, les guerres de mémoires, des minorités, à partir de souffrances réelles « .

Pour ce spécialiste de la colonisation,  » La société française a besoin de redéfinir un consensus  » mais il est nécessaire de résister aux  » groupes de pression, quels qu’ils soient, de nostalgiques de l’Algérie française « , mais aussi tous les autres.

 » Je pense que les descendants d’esclaves ne sont plus des esclaves, les descendants de colonisés ne sont pas des indigènes comme ils le disent « , affirme-t-il, en référence au manifeste des  » indigènes de la République « . Il dénonce la  » surenchère  » de « ces mémoires souffrantes exclusives  » qui  » considèrent qu’elles seules ont le monopole du rôle de victime « .

Pascal Blanchard s’inquiète de  » l’immense pagaille  » actuelle.  » Ça part dans tous les sens, aussi bien revendicatif que nostalgique, avec des notions de repentance ou de simplification, comme si on était redevenu un Etat colonial « , énumère l’historien, qui relève les outrances verbales, en sens inverse, de l’humoriste Dieudonné ou du philosophe Alain Finkielkraut.

 » Si on laisse faire, ce vide mémoriel va être utilisé pour recruter des forces vives pour tel ou tel camp « , dit-il et créer  » des espaces de guerre contre la République « .


L’Assemblée française rediscute la loi du 23 février

par Chaffik Benhacene, La Tribune (Alger), le 28 Novembre 2005.

Le traité d’amitié, otage de calculs politiques français ?

La question de la signature du traité d’amitié entre l’Algérie et la France, formellement projetée pour cette fin d’année, peut de moins en moins échapper à un compte à rebours qui, pour tenir aussi des contraintes du calendrier n’en renvoie pas moins autant à l’état réel d’avancement du dossier qu’à la réalité de la volonté d’aboutir des deux parties. Elle vient d’être publiquement relancée par l’annonce faite vendredi dernier par le porte-parole de l’Elysée d’une rencontre entre les présidents algérien et français « en marge du sommet euro-méditerranéen de Barcelone » qui tiendrait « plus de l’aparté que de la rencontre », selon les termes de M. Bonnafé. Alors qu’aucune confirmation de cette rencontre n’avait été faite du côté algérien et au moment où les services de la Présidence diffusaient un communiqué sur l’état de santé du président de la République, les observateurs algériens relevaient le caractère quelque peu cavalier de l’annonce comme un indice de plus d’un scepticisme français sur les chances de concrétisation de ce traité ou du moins sur sa signature effective à terme échu.

Sous la signature de Florence Beaugé, familière des relations algéro-françaises, le journal le Monde fait état de difficultés contraignant visiblement cette échéance et rapporte notamment que, du point de vue de plénipotentiaires français, « l’habillage technique du traité est prêt et [que] la signature bute sur son habillage politique », et il est aussi mis en avant la difficulté pour la France, outre d’abroger la loi du 23 février 2005, de donner le sentiment de consentir à « une repentance unilatérale ». En l’espèce, la question porterait sur une demande de « reconnaissance de massacres de quelque vingt à vingt-cinq mille supplétifs – harkis -, le lendemain de l’indépendance » par les autorités algériennes.

Quelle que soit la réalité des faits, il est peu contestable que le pouvoir algérien a, plus d’une fois et d’une façon spectaculaire, comme l’avait montré l’exceptionnel accueil populaire réservé au président français lors de sa visite d’Etat de mars 2003, donné des signaux forts de sa volonté d’inscrire la refondation des rapports avec l’ancienne puissance coloniale au rang de ses priorités stratégiques au prix parfois de remise en cause d’authentiques tabous, à l’image de la présence du président algérien au sommet de la francophonie de Beyrouth. Le succès reconnu des manifestations de l’Année de l’Algérie en France a pu aussi contribuer à une meilleure amorce d’un rapprochement sans doute souhaité par les deux parties et, qui plus est, dicté par d’évidentes considérations stratégiques sur le fond. Il ne pouvait échapper à l’observation que la volonté politique algérienne d’aboutir et, notamment, sous les formes de retrouvailles à forte charge symbolique – et c’est aussi cela la vertu d’un traité d’amitié qui ne connaît en France que l’illustre précédent franco-allemand – ne pouvait être qu’adossée à l’épurement des plus douloureux contentieux nés forcément de la période coloniale et de la guerre d’indépendance algérienne.

On peut, à ce titre, s’étonner que ne soient aujourd’hui relevés en France que les plus récents propos des responsables algériens et singulièrement du chef de l’Etat plus ou moins liés à la récente loi de février 2005 et que soit passée sous silence la demande solennelle dans sa forme et tout à fait précise dans son contenu d’un geste fort de repentance, exprimée par le président algérien, qui plus est, devant le Parlement français, lors de sa visite d’Etat en France en juin 2000. Même si la tendance à Alger est de tenir que, sur ce dossier particulièrement sensible aux yeux de l’opinion algérienne, le chef de l’Etat algérien, en dépit du flou qui entoure en fait ce fameux traité, a dûment marqué les lignes rouges et que la récurrence du retour sur les responsabilités de la puissance coloniale positivement dans toutes les récentes interventions publiques est loin de n’être destinée, selon la formule consacrée, qu’à la seule consommation intérieure.

Par ailleurs, il peut paraître vain de continuer, tant au plan politique que médiatique, de faire des « massacres de harkis en juillet 62 » dont les violences et les brutalités contre les Algériens ont été publiquement reconnues par les responsables politiques français les mieux informés – à l’image de l’ancien conseiller du Premier ministre Debré, Constantin Melnik -, un pendant ou un exutoire aux responsabilités de l’Etat français et de ses institutions durant la période coloniale et dans la conduite de la guerre en Algérie.

Il faut sans doute rappeler, à ce sujet, la position exprimée par le chef de l’Etat algérien – et qui avait provoqué un véritable choc au sein de l’opinion – lors du meeting de Chlef sur les « erreurs commises envers les enfants de harkis » et qui donnent à penser que cette lancinante fracture algérienne n’est plus vouée qu’aux seules stigmatisations de circonstance. Rien n’indique pour le moment que les autorités algériennes aient été informées de quelque manière que ce soit d’un report de l’échéance de la signature du traité, comme rien ne donne non plus à penser qu’elles seraient favorables à un pareil report. Tout semble bien se passer comme si ce traité, dans une France en pleine bourrasque identitaire, serait l’otage de jeux et de calculs peu ou trop visibles.

Chaffik Benhacene

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