Communiqué de la LDH
Archives de la guerre d’Algérie :
une ouverture partielle
dont il faudra surveiller de près la mise en œuvre
[/Paris, le 24 décembre 2021/]
Le Premier ministre et les ministres de la Culture, des Affaires étrangères, des Armées, de l’Intérieur et de la Justice ont signé le 22 décembre un arrêté qui réduit de quinze années le délai permettant de consulter certaines archives judiciaires en relation avec la guerre d’Algérie. La Ligue des droits de l’Homme (LDH) se félicite d’une telle mesure, qui tranche avec la position défendue jusque-là par le Service interministériel des archives de France qui a tenté, de 2019 à 2021, d’empêcher la consultation de certaines archives que la loi avait pourtant définie comme consultables « de plein droit ». Il a fallu un recours au Conseil d’Etat pour que celui-ci, dans sa décision du 2 juillet 2021, annule purement et simplement l’instruction interministérielle sur laquelle se fondait cette fermeture illégale. Après cette victoire du droit des citoyens d’accéder aux archives, une loi restreignant, au nom de la lutte contre le terrorisme et la protection des services de renseignements, l’accès à certains documents historiques a été adoptée à la hâte le 30 juillet 2021, au terme d’un débat dont la ministre de la Culture était absente. Il n’est pas anodin que 50 ans après la guerre d’Algérie, il ait paru nécessaire de protéger les services de renseignement par le classement des documents en secret défense. L’arrêté du 22 décembre ouvrant plus tôt que prévu l’accès à certaines archives judiciaires de la guerre d’Algérie est une bonne nouvelle. Mais qu’en est-il de la fermeture depuis deux ans de l’un des gisements d’archives concernés par l’arrêté interministériel, le Dépôt central des archives de la justice militaire, situé sur la commune du Blanc (Indre) ? Les historiens, archivistes et autres citoyens attachés au droit d’accès aux archives sont inquiets de l’incohérence manifestée par l’Etat sur ce sujet ces deux dernières années, durant lesquelles, au-delà de la volonté exprimée par le chef de l’Etat en septembre 2018 lors de sa visite à Josette Audin, les signaux contradictoires n’ont pas manqué. La LDH, qui a soutenu le combat d’historiens, archivistes et autres citoyens devant le Conseil d’Etat, reste vigilante et mobilisée à leurs côtés. Une instance de veille sur le droit d’accéder effectivement aux archives va être mise en place, qui, seule, permettra de mesurer les effets de l’application de cet arrêté, et, plus généralement, du droit démocratique et constitutionnel des citoyens d’accéder aux archives nécessaires à la connaissance de notre histoire.
Journal officiel de la République française
23 décembre 2021
Le Premier ministre, le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, la ministre des armées, le ministre de l’intérieur, le garde des sceaux, ministre de la justice, et la ministre de la culture, Vu le code du patrimoine, notamment ses articles L. 213-1 à L. 213-3, Arrêtent : Art. 1er. – I. – En application du II de l’article L. 213-3 du code du patrimoine, peuvent être librement communiquées, avant l’expiration des délais prévus à l’article L. 213-2 du même code, les archives publiques produites dans le cadre d’affaires relatives à des faits commis en relation avec la guerre d’Algérie entre le 1er novembre 1954 et le 31 décembre 1966 conservées aux Archives nationales, aux Archives nationales d’outre- mer, dans les services départementaux d’archives, dans le service des archives de la préfecture de police, dans les services d’archives relevant du ministère des armées et à la direction des archives du ministère de l’Europe et des affaires étrangères suivantes : 1° Les documents relatifs aux affaires portées devant les juridictions et à l’exécution des décisions de justice ; 2° Les documents relatifs aux enquêtes réalisées par les services de la police judiciaire. II. – Les documents mentionnés au I et qui se rapportent à une personne mineure, ou dont la communication est de nature à porter atteinte à la sécurité de personnes nommément désignées ou facilement identifiables impliquées dans des activités de renseignement, ou dont la communication porte atteinte à l’intimité de la vie sexuelle des personnes restent soumis aux règles de communicabilité fixées au 5° du I de l’article L. 213-2 du code du patrimoine. Art. 2. – Le présent arrêté sera publié au Journal officiel de la République française. Fait le 22 décembre 2021. Le Premier ministre, Jean Castex. La ministre de la culture, Roselyne Bachelot-Narquin. Le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian. La ministre des armées, Florence Parly. Le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin. Le garde des sceaux, ministre de la justice, Éric Dupond-Moretti.
arrete paru au journal officiel du 23 decembre 2021
Article paru dans l’Humanité du 13 décembre 2021.
Question à Mme la ministre des armées, Florence Parly, du sénateur Pierre Ouzoulias à ce propos :
Voir aussi : « Archives de la guerre d’Algérie : ”Il ne faut pas s’attendre à des découvertes fracassantes”, affirme l’historien Fabrice Riceputi », par Héléna Berkaoui, publié par Public Sénat le 24 décembre 2021.
Accès sélectif
par Hasna Yacoub, publié dans L’Expression,
le 25 décembre 2021. Source Certes, avec l’ouverture de ces archives judiciaires, un nouveau petit pas est fait vers la vérité, mais si la France cherche réellement à regarder toute la vérité en face, il faut lever le verrou « secret défense ». Pour « regarder la vérité en face » sur la guerre d’Algérie, la France a décidé d’ouvrir « avec 15 ans d’avance » les archives judiciaires de l’époque. L’annonce faite par le gouvernement français s’inscrit dans la logique de la politique des « petits pas » amorcée par Emmanuel Macron. Le président français qui tient à la réconciliation mémorielle avait, en septembre 2018, reconnu que la disparition du mathématicien et militant communiste Maurice Audin, en 1957 à Alger, était le fait de l’armée française. En mars dernier, le président Macron avait annoncé une simplification des accès aux archives classifiées de plus de 50 ans, permettant d’écourter les délais d’attente1. Mais très vite, cette déclassification est remise en cause par un vote au Sénat qui restreint à nouveau l’accès aux archives. La nouvelle loi relative à la prévention des actes terroristes et au renseignement (Patr) restreignait une nouvelle fois la consultation des archives classées « secret défense », dont celles relatives à la guerre d’Algérie2. Emmanuel Macron est revenu à la charge et sa décision sonne comme un signe d’apaisement après la crise d’une rare gravité qu’il avait déclenchée en tenant, octobre dernier, des propos jugés « irresponsables » par Alger3. La France a décidé donc d’ouvrir l’accès aux documents relatifs aux affaires portées devant les juridictions et à l’exécution des décisions de justice et ceux relatifs aux enquêtes réalisées par les services de la police judiciaire entre le 1er novembre 1954 et le 31 décembre 1966. Cette déclassification est très prometteuse surtout pour les historiens. Car, dans l’histoire de la guerre d’Algérie, il y a beaucoup de zones d’ombre comme par exemple celle des disparus. À ce jour, des milliers de familles ne savent pas dans quelles conditions leur proche a été exécuté ou enterré. Une lumière sera portée sur les nombreuses ratonnades, les lieux d’enfermement divers et variés, officieux et officiels ou encore sur les crimes de « la Main rouge » -l’organisation française secrète qui a commis des attentats dans les années 1950- et les crimes du 17 octobre 1961. L’ouverture de ces archives ne permettra cependant pas de lever le voile sur les massacres extrajudiciaires ni la torture exercée pendant la guerre d’Algérie, ces pratiques n’étant pas consignées par écrit ni dans les procès-verbaux des services de sécurité ni dans les documents de la justice. Cela a bien été prouvé par l’affaire de Maurice Audin dont la consultation des archives nationales n’apportait pas grand-chose, mais c’est dans les archives de la Présidence, celles de l’époque du général de Gaulle qu’une note trouvée, de quatre pages, datant du 4 août 1960, éclairait sur le sort réservé au militant de l’indépendance de l’Algérie. Il faudra donc rendre publiques toutes les archives comme les registres d’Aussaresses et de Massu pour dévoiler au grand jour toutes les horreurs commises par la France coloniale. Certes, avec l’ouverture de ces archives judiciaires, un nouveau petit pas est fait vers la vérité, mais si la France cherche réellement à regarder toute la vérité en face et «ne pas construire un roman national sur un mensonge» comme l’a déclaré la ministre française de la Culture, Roselyne Bachelot, il faut lever le verrou «secret défense» et assimiler une fois pour toutes que l’intérêt d’informer le public sur son histoire est supérieur au secret d’État. Mieux, si la France cherche sincèrement à réconcilier les mémoires entre nos deux pays, il faut d’abord apaiser les esprits en commençant par dire toute la vérité.
Ce livre publie les travaux de la journée sur « Les disparus de la guerre d’Algérie du fait des forces de l’ordre françaises. Vérité et justice ? » qui s’est tenue en septembre 2019 à l’Assemblée nationale. Un an après l’engagement d’Emmanuel Macron, qui a reconnu que Maurice Audin avait été tué en juin 1957 par les militaires français qui le détenaient et a demandé l’ouverture des archives sur tous les disparus de la guerre d’Algérie. Une deuxième partie, « La bataille des archives 2018-2021 », retrace le combat mené ensuite contre la fermeture de l’accès à des archives pourtant communicables de plein droit selon la loi. Il publie la requête au Conseil d’État et sa décision du 2 juillet 2021 qui lui a donné raison. Mais ce livre explique aussi que cette bataille pour l’accès aux archives publiques est loin d’être terminée. A lire sur la mobilisation récente pour l’accès aux archives
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Table des matières
• Préface, Jean-Marie BURGUBURU, président de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme • Introduction, Jean-Pierre RAOULT
PREMIÈRE PARTIE • Comité d’organisation, comité de parrainage, comité scientifique et remerciements
LES DISPARUS DE LA GUERRE D’ALGÉRIE DU FAIT DES FORCES DE L’ORDRE FRANÇAISES : VÉRITÉ ET JUSTICE ?
Chapitre 1. Ouverture • Origine et objet de la journée d’étude du 20 septembre 2019,
Gilles MANCERON • Confronter les archives de l’État aux mémoires vives : le site de recherche de disparus 1000autres.org, Fabrice RICEPUTI • La question des disparus du fait des forces de l’ordre françaises durant la guerre vue d’Algérie, Amar MOHAND-AMER
Chapitre 2. Histoire • Avant la guerre d’Algérie, des pratiques fréquentes dans tout l’Empire français,
Alain RUSCIO • La « doctrine de la guerre révolutionnaire » (DGR), genèse, mise en œuvre et postérité, François GÉZE • Les viols : l’autre traumatisme de la guerre d’Algérie,
Florence BEAUGÉ • Répressions policières, et disparitions en métropole,
Emmanuel BLANCHARD • La recherche des disparus algériens ; un bilan du site 1000 autres.org,
Malika RAHALChapitre 3. Justice • Le cadre des disparitions : un système juridique,
Arlette HEYMANN-DOAT • Les accords d’Évian et les amnisties, Catherine TEITGEN-COLLY • La criminalisation des exécutions extrajudiciaires et des disparitions forcées par le droit international, Emmanuel DECAUX • Quelle justice plus d’un demi-siècle après les crimes ?,
Isabelle FOUCHARDChapitre 4. Archives • L’accès aux archives, un enjeu citoyen. Les questions posées par Brigitte Laîné et Philippe Grand, Caroline PIKETTY • L’ouverture problématique des archives des conflits français contemporains : entre lois, règlements, décisions politiques et pratiques administratives,
Gilles MORIN • « Aucune nouvelle de lui n’est parvenue aux siens » : les archives du CICR et les disparus de la guerre d’Algérie, Daniel PALMIERI• Conclusion de la journée d’étude du 20 septembre 2019, Henri LECLERC *
*
DEUXIÈME PARTIE
LA BATAILLE DES ARCHIVES 2018-2021
• Histoire d’un combat, Gilles MANCERON • La bataille juridique des archives. La loi et les blocages administratifs, Arlette HEYMANN-DOAT et Catherine TEITGEN-COLLY • Le silence des archives, Caroline PIKETTY*
Annexes I. La journée sur les disparus II. La bataille des archivesBibliographie I. Autour des disparus de la guerre d’Algérie II. Autour de la bataille des archives
Lire aussi : Bertrand Warusfel, Transformation et réforme de la sécurité en Europe (avec Sébastien Laurent), Presses universitaires de Bordeaux. Bertrand Warusfel, professeur de droit public à l’Université 8, avocat au barreau de Paris, vice-président de l’Association française de droit de la sécurité et de la défense (AFDSD), a participé à l’émission « Le Temps du débat » par Emmanuel Laurentin, sur France culture, « L’ouverture des archives menace-t-elle la sûreté de l’État ? », avec Céline Guyon, présidente de l’Association des archivistes français (AAF), et Cédric Villani, député de l’Essonne, le 30 juin 2021.
Documents joints
- En réalité, ce communiqué présidentiel du 9 mars 2021 a été dénoncé comme un leurre par le Collectif « Accès aux archives publiques » : alors que ce collectif demandait qu’il soit mis fin au processus de « classification/déclassification » qui entravait la consultation des archives — processus que le Conseil d’Etat annulera le 2 juillet 2021 —, ce communiqué du 9 mars 2021 annonçait le maintien de ce processus illégal en mettant simplement en place une « déclassification au dossier » et non plus document par document. Voir sur notre site : « Après le communiqué de l’Elysée du 9 mars 2021 qui ne satisfait pas la mobilisation en cours : De nombreuses demandes en faveur du respect strict de la loi donnant accès aux archives de la guerre d’Algérie » (NDLR).
- Une mobilisation a eu lieu en juillet 2021 contre l’introduction dans la loi contre le terrorisme et sur le renseignement adoptée par le Parlement le 30 juillet 2021 d’un article 25 qui menace l’accès à certaines archives nécessaires à la connaissance de l’histoire. Voir l’entretien avec Noé Wagener dans la revue L’Histoire en septembre 2021.
- Voir sur notre site : « Une grave erreur qui contredit tous les travaux historiques. Emmanuel Macron se trompe en comparant la tutelle ottomane sur l’Algérie à la colonisation française, il choque le peuple algérien et rend service au régime ».