Archives de la guerre d’Algérie
et traces psychologiques du temps des colonies
par Jacques Inrep, pour histoirecoloniale.net
L’historien Marc André a écrit récemment dans le journal Le Monde une tribune dans laquelle il regrettait les freins mis en place pour empêcher d’accéder aux archives de la guerre coloniale que fut la guerre d’Algérie. Ceci, malgré les promesses d’Emmanuel Macron.
Ces façons de mettre des « bâtons dans les roues » aux citoyens, historiens ou autres, désirant consulter ces archives, tout en annonçant le contraire, ne m’étonnent pas. En effet, voilà un demi-siècle, un de mes proches ayant réussi le concours de l’ENA, m’expliquait que lors de ses premiers cours, un de ses professeurs leur avait appris l’art et la manière de rédiger des lois ou des décrets en faisant le plus flou possible, la jurisprudence se chargeant de faire pencher la balance dans un sens ou dans un autre.
Manifestement, concernant la guerre d’Algérie, nous sommes dans cette hypothèse qu’en dépit des intentions proclamées, il s’agit d’occulter tout ce qui pourrait dévoiler la vérité historique concernant ce conflit atroce. Est-ce une volonté délibérée ?
Mes efforts pour briser en 1961 le secret des archives militaires
Si je reprends la parole aujourd’hui, c’est pour affiner mon propos écrit voilà quelques mois dans cette revue pour demander l’accès aux circulaires de Massu et de Salan donnant pour consigne explicite aux unités de l’armée française de pratiquer la torture et d’assassiner les prisonniers.
Ex-appelé du contingent, j’avais expliqué comment j’avais clandestinement photographié des documents secrets, notamment concernant la torture. Une grande partie de ceux-ci, avaient permis à Pierre Vidal-Naquet d’écrire son livre « La raison d’état ». Cependant, j’expliquais, que surpris par mon supérieur, je n’avais pas eu le temps de photographier deux documents de la plus haute importance, et je les citais.
Le premier concernait une note de service du général Salan, alors qu’il était commandant en chef des armées en Algérie. Dans celle-ci, très courte, il ordonnait de neutraliser – c’est-à-dire tuer en langage militaire – tous les PAM (« pris les armes à la main »).
Dans la seconde, le général Massu, commandant de la 10° DP, expliquait, d’un point de vue technique, les différentes phases à utiliser lors d’un interrogatoire « poussé ». La torture !
Lors d’un entretien téléphonique avec l’ami Gilles Manceron, celui-ci m’avait demandé si j’étais sûr de mon propos, attitude habituelle d’un historien rigoureux. J’avais répondu par l’affirmative et que, s’il y avait lieu, j’en avais encore « dans ma musette ».
Donc, aujourd’hui, je peux préciser ma pensée concernant ces deux documents secrets.
La note de service du général Salan, date certainement de 1958, écrite lorsqu’il était encore commandant en chef des armées en Algérie. Même si la note de service du colonel Renoult du 14 août 1959 (n°7266/SB/3-SB/2/SB5.), secteur de Batna, n’y fait pas expressément référence, il me semble qu’elle renvoie, d’une part, lors d’une longue digression inspirée vraisemblablement par les théories du colonel Lacheroy sur la guerre révolutionnaire, et d’autre part, de la note de service du général Salan, lorsque ce colonel, commandant le secteur de Batna, écrit : « 1° Lutte implacable contre l’O.P.A. aboutissant à la destruction physique, à l’initiative du commandant de quartier, sur le lieu même de son action, etc.… ». Page 246 du livre de Pierre Vidal-Naquet, « La raison d’état ».
A noter, que là où le général Salan utilise un euphémisme : « neutraliser les PAM », le colonel Renoult y va carrément : la « destruction physique » ! Peu importe, dans les deux cas, il est question d’assassiner des combattants algériens, sans aucune forme de procès, donc sans interrogatoire, sans aucune possibilité d’assistance d’un avocat, sans aucun respect des lois internationales. Bref, la barbarie à visage humain !
Pour la seconde note de service, celle écrite par le général Massu, où celui-ci expliquait les différentes phases d’un interrogatoire « musclé », j’ai longtemps cru que celle-ci risquait de sombrer dans les oubliettes de l’Histoire. Même s’il semblait me souvenir que ce commandant de la 10° DP, proposait un échelonnement de la violence en quatre ou cinq points, j’avais du mal à agencer mes arguments. Toujours cette peur de ne pas être entendu, peur de ne pas être certain de ce souvenir de mes 20 ans ! Bref, remise en cause, presque psychanalytique, de cette note de service. Jusqu’au jour, où miracle, lisant le livre remarquable de Marie-Monique Robin Escadrons de la mort, l’école française (La Découverte), page 127, je découvris qu’il était question d’une directive de Massu sur la technique policière, du 10 mars 1957. Je cite la journaliste : « Dans un but d’efficacité, la persuasion doit être utilisée au maximum, recommande-t-il à ses officiers, lorsqu’elle ne suffit pas, il y a lieu d’appliquer les méthodes de coercition dont une directive particulière a précisé le sens et les limites. »
Manifestement, ces documents font ici référence à cette note de service du général Massu, à cette directive que j’ai eu entre les mains, où il était question de plusieurs graduations lors d’un interrogatoire poussé.
Depuis, mon job de psychanalyste et mon engagement militant
Mon job de psychanalyste, m’a certainement servi, grâce à la technique dite des d’associations d’idées, pour compléter le puzzle concernant ces deux directives de hauts responsables militaires.
Comme je le dis souvent, lors d’assemblées générales d’une association à laquelle j’appartiens, l’association des Anciens appelés en Algérie et leurs amis contre la guerre (4ACG), rassemblant d’ex-appelés et d’autres personnes qui soutiennent leur combat, il faut tout dire, même si cela nous semble minime, de cette guerre à laquelle nous avons participé… malgré nous !
Jacques Inrep
Les Fachos sur le divan. Psychanalyse de l’extrême droite
Lire l’introduction et le premier chapitre de ce livre
Présentation de l’éditeur
Voilà un demi-siècle, mis à part l’Espagne et le Portugal, l’extrême-droite était peu présente en Europe. En France, lors de l’élection présidentielle de 1974, Jean-Marie Le Pen obtenait 0, 75% des suffrages.
Aujourd’hui, les néofascistes sont aux portes du pouvoir dans plusieurs pays européens. La plupart des nombreuses publications consacrées à la montée de l’extrême droite en Europe expliquent cette évolution par des causes socio-économiques, mondialisation, chômage, capitalisme, pertes des repères, chocs culturels, immigration, chute du Mur de Berlin, etc…
Jacques Inrep, psychanalyste à la retraite, propose une nouvelle lecture de ces phénomènes. Sans remettre en cause les explications données jusqu’ici, il les complète par une approche plus psychologique, voire sociopsychologique. Il tente ainsi de répondre à cette question fondamentale : Pourquoi un ouvrier italien ou français, se tire-t-il une balle dans le pied, en votant pour un parti ouvertement raciste et néofasciste ?
Pour cela, l’auteur, vieux militant antifasciste depuis un certain jour d’avril 1961 et spécialiste de la psychologie des foules, utilise les diverses théories psychanalytiques en essayant de conceptualiser l’attrait des masses pour les propositions nauséabondes des néofascistes. S’il reprend certaines des idées de Freud et d’autres psychanalystes, il présente aussi d’autres concepts élaborés en partant de ses expériences militantes vécues, tantôt comme simple manifestant, tantôt comme le leader qu’il fut, qui haranguait les foules. Il le dit lui-même, il y a de la tripe dans cette démarche et dans ce livre.
Jacques Inrep a fait le choix d’écrire à la première personne, dans une langue compréhensible par le commun des mortels, donc en évitant le langage souvent obscur des spécialistes. Cet ouvrage est en effet destiné au plus grand nombre, en dehors du cercle de ceux qui maitrisent la théorie psychanalytique. C’est un livre de combat, car le risque est toujours grand de voir ressurgir la Bête immonde du ventre fécond des peuples européens.