4 000 articles et documents

Rechercher
Fermer ce champ de recherche.
Édition du 1er au 15 octobre 2024

Après des décennies de refus, l’Etat indemnisera les irradiés de ses essais nucléaires

Longtemps, l'Etat français a refusé d'admettre les conséquences sur les personnes de ses essais nucléaires au Sahara ou dans le Pacifique. Il s'est battu contre les demandes de dédommagement présentées devant les tribunaux - 355 au total. Cette époque semble révolue : le ministre de la Défense a annoncé le dépôt d'un projet de loi d'indemnisation au cours du printemps prochain, et une délégation ds associations représentatives des victimes a été reçue le 22 décembre 2008 au ministère de la Défense.
[Mise en ligne le 25 décembre 2008, complétée le 6 février 2009]

COMMUNIQUE DE PRESSE

Paris le 22 décembre 2008

L’association des vétérans des essais nucléaires (A.V.E.N), le comité de soutien « Vérité et Justice » et l’Association Polynésienne des victimes des essais nucléaires (Moruroa e tatou) ont été reçus lundi 22 décembre par M. Jean-Paul Bodin, directeur adjoint du cabinet du Ministre de la défense et ses collaborateurs.

A la suite de l’action persévérante des associations, des nombreuses propositions de loi et de l’intervention du Comité de soutien « Vérité et justice, le Ministre de la Défense, M. Hervé Morin a annoncé le dépôt d’un projet de loi d’indemnisation des victimes des 210 essais nucléaires français.

Ce 22 décembre, les trois organisations ont donné leur point de vue sur les sujets suivants :

  1. Les trois organisations ont pris acte de l’abandon de la notion de « seuil » de radioactivité estimée et constaté des avancées en ce qui concerne la « présomption d’origine » ;
  2. En revanche, elles constatent un blocage persistant en ce qui concerne le tableau des maladies radio induites et des procédures de recours possible pour les pathologies non citées dans le tableau ;
  3. Les trois organisations ont souligné la complexité et les spécificités de la situation en Polynésie française, qui ne s’est pas traduite par une concrétisation dans l’avant projet de loi et l’avant projet de décret d’application. En l’état, le projet du gouvernement maintient une discrimination inacceptable entre les différentes catégories de victimes.
  4. Les trois organisations constatent que les conséquences des essais français en Algérie sont identifiées dans l’avant projet de loi, mais regrettent qu’aucune mesure ne soit envisagée pour les populations concernées ainsi que pour la réhabilitation des sites contaminés ;
  5. Les trois organisations prennent acte de la présence des associations dans la Commission de suivi de la loi, mais demandent de participer aussi au Comité d’indemnisation. A ce sujet, elles demandent que soit créé un Fonds d’indemnisation qui permettrait une procédure plus simple pour l’instruction des demandes et pour les recours des bénéficiaires et des ayants droits.

Nous sommes donc encore loin d’un projet de loi satisfaisant et loin de la proposition de loi commune de tous les groupes parlementaires. La réunion parlementaire prévue le 13 janvier aura donc une lourde responsabilité vis-à-vis de l’ensemble des victimes, civils, militaires, algériennes, polynésiennes et de leurs familles qui attendent réparation depuis des années.

Contacts

Président de l’AVEN : Michel Verger 06 70 98 48 37

Coordinateur de Morurua e Tatou : John Doom 06 09 35 96 71

Comité de soutien Vérité et Justice :animatrice Hélène Luc 06 76 48 97 34

187, montée de Choulans, 69005 Lyon -Tél. 04 78 36 93 03 • Fax 04 78 36 36 83

Les vétérans espéraient mieux

[Les nouvelles de Tahiti du 23 décembre 2008]

Moruroa e Tatou, l’Association des vétérans du nucléaire (Aven) et le Comité vérité et justice sont sortis hier du ministère de la Défense avec des sentiments mitigés. L’absence de seuil pour l’indemnisation ne leur apparaît pas suffisant.

Moruroa e Tatou, l’Association des vétérans du nucléaire (Aven) et le Comité vérité et justice ont été reçus pendant trois heures lundi à Paris au ministère de la Défense. Les discussions ont été âpres sur le projet de loi de “réparation des conséquences sanitaires des expérimentations nucléaires”. Mardi dernier, le ministère de la Défense avait fait un geste important en s’engageant à ne pas fixer de seuil d’exposition pour pouvoir prétendre à une indemnisation d’une maladie radio-induite. Mais les associations ont soulevé d’autres problèmes. Elles souhaitent un élargissement des pathologies qui pourraient être prises en compte. Les associations souhaitent, par exemple, inclure les maladies cardio-vasculaires. Elles jugent que le projet de loi et l’avant-projet de décret ne sont pas aptes à mettre fin à une discrimination entre les victimes polynésiennes et les victimes métropolitaines. La faute au statut d’autonomie qui rend la Polynésie compétente en matière de Sécurité sociale, de santé et de procédure civile.

Les associations pourront faire partie de la commission de suivi de la loi. En revanche, elles seront exclues du Comité d’indemnisation qui sera institué auprès du Premier ministre. Elles voudraient y avoir une place et que cette commission soit au sein d’un organisme indépendant. Elles souhaitent également la création d’un “fonds d’indemnisation qui permettrait une procédure plus simple pour l’instruction des demandes et pour les recours des bénéficiaires et des ayants droit”. Concernant les essais français en Algérie, les associations regrettent qu’“aucune mesure ne soit envisagée pour les populations concernées ainsi que pour la réhabilitation des sites contaminés”.

Le comité de soutien se réunira le 8 janvier avec des parlementaires. Puis, en fonction des conclusions d’une nouvelle réunion des parlementaires au ministère de la Défense, les associations pourraient demander à être de nouveau reçues. Selon, Me Jean-Paul Teissonnière, le projet de loi pourrait être examiné par l’Assemblée nationale ou le Sénat fin février-début mars. “Nous sommes pour aller vite parce qu’il y a urgence à indemniser les victimes. Mais, en même temps, il nous semble qu’il y a des parties dans le projet du gouvernement pour lesquelles l’impréparation est manifeste”, regrette l’avocat de l’Aven.

De notre correspondant à Paris, DM

Levée du secret défense : des archives “incommunicables”

par Virginie Belle, France Soir, mardi 3 février 20091

La consultation des documents relatifs aux essais nucléaires du Sahara algérien ou de la Polynésie, maintes et maintes fois sollicitée par les associations de victimes, les avocats, les chercheurs, est désormais proscrite. La loi relative aux archives, parue au Journal officiel le 15 juillet 2008, a apporté une fin de non-recevoir définitive aux demandeurs2.

On pourrait penser que le gouvernement, par souci de transparence, lève le secret défense et ouvre à minima une partie de ces archives, comme l’ont fait les Etats-Unis avant eux, « sans apparemment que leur sécurité soit mise en péril »3. Outre-Atlantique, l’accès à ces archives est effectif depuis 1993 ! Pourquoi le gouvernement français, près de cinquante ans après les premiers essais, ne souhaite-t-il pas ouvrir les archives ? Pour les associations, le ministère de la Défense craint « que ces archives puissent être utilisées à des fins judiciaires »… Après l’ouverture des archives de 1993, aux Etats-Unis, « la liste des maladies reconnues a dû être allongée, la République des îles Marshall, découvrant l’ampleur des retombées des essais aériens, a réouvert le dossier des indemnisations ». Le ministère de la Défense estime, quant à lui, que l’accès aux relevés dosimétriques peut-être obtenu par les juridictions qui en feraient la demande, ces informations étant suffisantes.

Secret médical

L’historien Benjamin Stora voit dans cette loi, « une question majeure qui touche au droit à l’information des citoyens, au droit à la mémoire et à l’histoire. […] On se bat pour un accès aux archives, dites privées, au bout de cinquante ans, et contre le projet de rendre “incommunicable” ce qui relève de la sûreté de l’Etat, car c’est insensé. La France est déjà très en retard sur cette question par rapport aux Etats-Unis, à la Grande-Bretagne, à l’Allemagne », a t-il déclaré dans les colonnes de Ouest-France.

Le 22 décembre, l’association polynésienne Moruroa e tatou demandait d’ailleurs au ministère de la Défense « une déclassification de toutes les archives concernant les essais nucléaires ». Réponse : « La déclassification de documents répond à une procédure stricte établie par la loi. Il convient de rappeler par ailleurs le principe de libre accès des patients à leur dossier et de préciser que les autorités judiciaires peuvent solliciter la déclassification de documents conformément aux dispositions de la loi de 1998. » En effet, en raison du secret médical, les associations ne peuvent avoir accès aux noms des personnes contaminées, néanmoins, elle souhaiterait, par principe et afin de mener à bien leur travail d’investigation, consulter ces données. Le bras de fer pour l’accès aux archives continue donc.

Par souci de transparence, des personnalités scientifiques extérieures au ministère de la Défense ont été habilitées pour prendre connaissance des archives des essais nucléaires encore classées « secret défense ». Leur rapport apportera la connaissance la plus précise et la plus complète sur les données de surveillance radiologique lors des essais nucléaires français. A suivre donc !

Bruno Barillot4 : « Le ministère veut se dédouaner en confondant les “archives des essais” et les dossiers médicaux des personnels accessibles par le titulaire ou ses ayants droit. L’accès aux archives des essais nucléaires est un point essentiel de notre lutte pour la “vérité” sur les conditions dans lesquelles se sont déroulées les expériences nucléaires. Tous les arguments avancés par le ministère de la Défense sur la nécessité de rendre les documents sur les essais nucléaires “incommunicables” ne sont que des prétextes qui sous-entendent un refus de transparence et une crainte que ces archives puissent être utilisées à des fins judiciaires.

Un parallèle avec ce qui s’est passé aux Etats-Unis après l’ouverture des archives de 1993 illustre les craintes françaises : aux Etats-Unis, la liste des maladies reconnues a dû être allongée, la République des îles Marshall, découvrant l’ampleur des retombées des essais aériens, a réouvert le dossier des indemnisations, les habitants des régions entourant le site d’essais du Nevada, découvrant l’ampleur des retombées des essais aériens sur les Etats-Unis, ont lancé des procédures pour demander l’élargissement de la “zone géographique” des 530 miles… »

Virginie Belle

  1. Extrait d’un dossier Essais nucléaires – L’Etat face à ses responsabilités : http://www.francesoir.fr/societe/2009/02/03/essais-nucleaires-l-etat-face-a-ses-responsabilites.html.
  2. Voir sur ce site : 2636.
  3. Proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur les conséquences des essais nucléaires français, Assemblée nationale, octobre 2000.
  4. Bruno Barillot est un ancien prêtre qui a pris la tête de la croisade pour la reconnaissance de la responsabilité de l’Etat dans les retombées des essais nucléaires en Polynésie. [Note de LDH-Toulon]
Facebook
Twitter
Email