Quelles leçons faut-il tirer des assises de la Soummam ?
Aux côtés des chercheurs et universitaires algériens et français, il y avait beaucoup de personnalités dont des anciens maquisards, des élus locaux et nationaux, des militants politiques et associatifs, des membres des organisations des moudjahidine et fils de chahids, mais aussi de simples citoyens dont des femmes et beaucoup de jeunes.
Le centre culturel d’Akfadou était plein à craquer hier et avant-hier. Et pour cause : la commune d’Akfadou organise en partenariat avec l’Assemblée populaire de wilaya, l’association Forcem (Forum de solidarité euroméditerranéenne) de Lyon et Med Action d’Akbou, un colloque sur les assises du Congrès de la Soummam.
Le thème choisi : “60 ans après, quelles leçons ?” Ce qui a fait dire à l’un des principaux organisateurs, Tahar Khalfoune, docteur en droit public, “votre présence témoigne de l’intérêt que vous portez à la Révolution, au Congrès de la Soummam et à ce rendez-vous”.
En effet, aux côtés des chercheurs et universitaires algériens et français, il y avait beaucoup de personnalités dont des anciens maquisards à l’instar de Si Rachid Adjaoud et Si Meziane Asselate — le premier a dactylographié en plusieurs exemplaires une partie des résolutions de la Soummam, il a remis en outre au secrétariat du colloque le procès-verbal de la dernière réunion, présidée par le colonel Amirouche ; le deuxième a servi sous les ordres de nombreux dirigeants de la Révolution et était chargé notamment de l’escorte du révolutionnaire Che Guevara quand il a visité l’Akfadou, le poste de commandement de la Wilaya III : photo à l’appui —, des élus, locaux et nationaux, des militants politiques et associatifs, des membres des organisations des moudjahidine et fils de chahids, mais aussi de simples citoyens dont des femmes et beaucoup de jeunes.
L’une des chevilles ouvrières de cette rencontre scientifique, qui s’est déroulée en présence des anciens maquisards, qui avaient assuré la sécurité des congressistes de la Soummam, Dalila Aït El-Djoudi, historienne, a été très émue d’intervenir dans un lieu de mémoire, Akfadou en l’occurrence et sur un sujet aussi important que les assises de la Soummam. Et comme il s’agit, indiquera-t-elle, du “seul hommage national”. Forcément, elle devait être présente soixante ans après leurs tenues. Mais l’oratrice n’a pas manqué de décocher une flèche en direction de ceux, qui ont voulu faire dans la récupération politique.
“J’ai pensé que c’est le peuple qui allait se rassembler à Ifri Ouzellaguen. On a assisté à un meeting politique. J’ai pensé que l’hommage national allait être rendu à tous. Allusion à tous les acteurs de la Révolution. Malheureusement, il n’y avait que le portrait d’Aït Ahmed, qui avait été accroché par un parti politique dont je tairai le nom.”
Une fois la parenthèse refermée, l’auteur de La guerre d’Algérie vue par l’ALN (1954-1962) : l’armée française sous le regard des combattants algériens, paru en 2007 à Paris aux éditions Autrement, a expliqué que leurs ambitions est de comprendre comment dans un contexte difficile des premières années de la guerre, marquée par l’absence aussi bien d’une organisation armée, structurée et concertée que de vision et de stratégie politique, “les concepteurs du Congrès ont-ils réussi à mettre en place d’un côté, les structures cohérentes, destinées à soutenir la dynamique populaire. Et de l’autre, à dégager une stratégie politique contractuelle et inclusive de libération du pays dépassant l’étroitesse des cadres politiques partisans traditionnels en donnant corps au mouvement national par l’intégration de nombreux cadres politiques, issus d’horizons politiques divers (centralistes, PCA, ulémas, UDMA, etc.) ?”.
Dalila Aït El-Djoudi n’a pas manqué de rappeler que le Congrès de la Soummam a été traversé par des luttes internes, des rivalités entre les différents acteurs et leaders du mouvement national. “Rivalités qui perdurent.” Mais en ce qui la concerne, elle et les historiens, algériens ou français, qui travaillent sur ces questions, elle insiste auprès de l’assistance : “Nous souhaitons avoir un regard critique sur cette question. L’historien ne va pas prendre en compte la mémoire officielle. Mais croiser les vérités. C’est pour cela que les historiens croisent les sources : les mémoires d’anciens combattants. On a des mémoires conflictuelles. Il faut donc avoir un certain recul. On agit en toute liberté et sans aucun engagement d’un point de vue idéologique. On est là pour discuter, échanger avec vous. L’important est qu’il y ait des analyses avec le vécu de chacun, la perception de chacun, pour que les débats se déroulent convenablement.”
Tahar Khalfoune en a profité pour évoquer les absences remarquées de certains historiens, attendus : “Gilbert Meynier s’est excusé ; Lahouari Addi ne pouvait être des nôtres pour des raisons personnelles ; Alain Rouchoux n’a pas pu se libérer lui aussi. Quant aux historiens français, présents parmi nous, ils sont connus pour leur engagement ; ils sont les initiateurs de la pétition pour l’abrogation de la loi sur les effets positifs de la colonisation (2005). Ils ont fait preuve de soutien et de solidarité avec le peuple algérien.”
Tahar Khalfoune dira aussi que le Congrès de la Soummam a été un véritable exploit. “Ses concepteurs, à leur tête Abane Ramdane, avaient un sens de la perspective historique. On voit combien ils étaient en avance sur leur temps.” D’où leur insistance sur deux principes essentiellement : la primauté du politique sur le militaire et de l’intérieur sur l’extérieur. Lesquels principes avaient été remis en cause en moins d’une année, regrettera-t-il.
Il dira enfin qu’il existe entre l’Algérie et la France, plus qu’une proximité géographique. “Des liens humains, historiques, linguistiques et culturels rapprochent en vérité les deux rives plus qu’elles ne les éloignent. L’objectif de cette rencontre étant de contribuer à une meilleure connaissance de ce passé commun grâce aux réflexions des intervenants et aux échanges avec le public.”
Pari réussi. La revue Mémoire, que dirige notre confrère Hocine Smaïli, va publier incessamment les actes de ce colloque.
Gilles Manceron, historien
“Le Congrès de la Soummam est très important. Les congressistes, Abane, Ben M’hidi et d’autres, se sont donné le temps de penser à la nation algérienne. [La Déclaration du 1er novembre 1954] était une première ébauche. Ils ont élaboré quelque chose de plus précis. Et ils avaient affirmé deux principes notamment : la primauté du politique sur le militaire et de l’intérieur sur l’extérieur. Malheureusement la suite de l’histoire sera marquée par des affrontements, des tensions et des divisions entre les différents acteurs du mouvement sans que l’on prolonge cette réflexion.” À l’instar d’Ali Guenoun du côté algérien, l’historien a tenu à s’écarter des utilisations que font les politiques par rapport à l’histoire. “Lors de ma communication, je vais montrer que, d’une part, la brochure, signée en 1949 du pseudonyme collectif d’Idir El-Watani par trois membres du PPA-MTLD, et d’autre part, les textes, préparés par les délégués du congrès FLN de la Soummam en août 1956, portaient, malgré leur statut très différent, des réflexions importantes sur la définition et la description de la nation algérienne. Or, l’histoire a fait que ces réflexions ont été par la suite dénigrées ou écartées alors qu’elles laissaient entrevoir des perspectives extrêmement riches pour l’avenir de la nation. C’est le cas des juifs d’Algérie, des Berbères. Mais l’affaire du canal de Suez et la crise au Moyen-Orient est venue tout remettre en cause. C’est le cas aussi des Européens, qui auraient pu trouver leur place dans la future Algérie.”
Hamou Amirouche
“Akfadou, pour moi, est un lieu emblématique. Et pour deux raisons : c’est le PC du colonel Amirouche avec qui j’ai servi de 1957 à 1958 ; c’est ici aussi que ma vie a basculé. J’ai pu, grâce au colonel Amirouche, faire des études : le lycée et ensuite l’université. Il a été le seul chef militaire à avoir pensé à l’après-Indépendance. Il a mis en place un fonds pour permettre aux jeunes maquisards de faire des études. Il a formé des centaines de cadres. C’est ici aussi que nous avons des hauts et des bas. Littéralement, à partir de 1957, nous avons assisté au début de notre calvaire. Les forces coloniales avaient érigé la ligne Morice et posé quelque 8 millions de mines dont certaines tuent encore. Et le front intérieur avait commencé à se révolter contre l’extérieur.”
Si Meziane Asselate, ancien capitaine de l’ALN
“Comment avons-nous vécu les assises du Congrès de la Soummam ? Je peux vous assurer une chose, nous ignorions tout de cette réunion. Notre rôle consistait à assurer la sécurité. Mais nous ignorions que les responsables de la Révolution étaient en conclave. Vous savez, j’ai posé la question au lieutenant Si Hmimi, qui servait sous les ordres du colonel Amirouche. Il ignorait tout du Congrès alors qu’il était le bras droit du premier responsable de la wilaya, Amirouche en l’occurrence”. Et à propos du redoutable colonel, il a évoqué pour nous cette anecdote, qui témoigne, si besoin est, de la personnalité d’Amirouche. Un jour en inspectant un hôpital dans la région de Mezzaia, il s’est rendu compte que les blessés étaient dans un état lamentable. Ils ne mangeaient pas à leur faim. Juste après il est allé rencontrer le responsable : “Vous avez à manger ?” Réponse : “Bien sûr. Un chevreau est en train de rôtir. Tout d’un coup, il se lève et s’empare, lui et ses hommes, de la nourriture et du chevreau qu’ils s’empressèrent d’aller porter aux malheureux blessés. C’est cela Si Amirouche. Vous savez, il lave lui-même ses affaires ; il lui arrive de préparer à manger ou de faire la vaisselle. Vous en connaissez beaucoup de responsables de cette trempe ?”
Propos recueillis pas M. Ouyougout