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Édition du 15 novembre au 1er décembre 2024

Amadou Mactar Mbow : Sarkozy ignore les réalités profondes de l’histoire de l’Afrique

« On oublie que la traite des Noirs a contribué très largement dans l’accumulation primitive du capital ». Joint hier à Vichy1, l’historien sénégalais, ancien directeur général de l’Unesco, est sorti de sa réserve pour répondre à Nicolas Sarkozy de Nagy Bocsa. Une manière pour lui de célébrer ce 23 août « Journée internationale de commémoration de la lutte contre l’esclavage et de son abolition ». Amadou Mactar Mbow avait réussi sous l’égide de l’Unesco à rassembler d’éminents scientifiques africains dont Joseph Ki-Zerbo, Cheikh Anta Diop, pour écrire l’Histoire générale de l’Afrique. Premier ministre de l’Education et de la Culture du Sénégal, il affirme que « Sarkozy ignore les réalités profondes de l’histoire de l’Afrique. »2

Concernant « le refus de repentance », cheval de bataille de Nicolas Sarkozy qui en moins de cent (100) jours veut faire table rase de l’histoire douloureuse et de la souffrance infligée par les Blancs aux Noirs. Une souffrance qui se perpétue par des règles commerciales injustes à l’OMC, M. Mbow clarifie le débat : « On oublie que la traite des Noirs a contribué très largement à l’accumulation primitive du capital. On ne peut pas passer tout ça par pertes et par profits. Nous ne demandons pas de repentance. Ce que nous demandons c’est que l’histoire de l’Afrique, soit écrite de manière objective, qu’elle ne soit pas tronquée et qu’elle soit écrite sans falsification. » Pour le Pr Amadou Mactar Mbow au contraire « ce que les Africains ne peuvent pas accepter c’est qu’on passe sous silence des situations qui continuent d’influer sur notre propre présent. »

L’Africain qui avait osé dénoncer la domination de l’information mondiale par trois robinets occidentaux qui ne s’intéressent qu’à une certaine Afrique décrite comme la terre des « génocides » de la « corruption », de la « violence » et des « guerres ethniques », se désole qu’en plein 21ème siècle le Continent noir continue d’être traité comme un « mineur » irresponsable : « L’heure, a-t-il asséné, est passée où on pouvait donner des leçons aux Africains. Il faut laisser aux Africains le soin de trouver les voies de leur propre bonheur. » Il considère que « la coopération entre l’Afrique et les autres pays doit être basée sur la connaissance de l’Afrique sur ce qui a marqué ce Continent ». Ainsi a-t-il justifié : « la déclaration de Nicolas Sarkozy à Dakar ignore les réalités profondes de l’histoire de l’Afrique. ». Très remonté par le discours inamical et irrespectueux de Sarkozy, le sage Amadou Mactar de lancer au Président français : « Le problème est que personne ne peut écrire l’histoire de l’Afrique à la place des Africains. Nous ne sommes pas des mineurs. Nous sommes des majeurs. L’heure est venue de repenser l’Afrique autrement qu’avec des rapports condescendants. »

« On ne sort pas indemne de trois siècles d’esclavage » déclarait Sembène Ousmane à ContinentPremier.Com. Une vérité que partage le Pr Mbow : « Il est une vérité bien admise le passé conditionne l’avenir. Plus concrètement le comportement des gens à notre égard ne peut se comprendre qu’à travers cette histoire qui remonte au milieu du 15ème siècle. On a tendance de plus en plus à culpabiliser les Africains comme s’ils étaient responsables de ce qui leur arrive aujourd’hui. »

Traite et colonisation…

La colonisation était nécessaire pour les occidentaux. Lors de la première révolution industrielle du 19ème siècle, l’Europe avait besoin de matières premières, de marchés et d’espace d’investissement. « C’est ce qui fait que nous refusons des allégations qui font porter sur les épaules des victimes la responsabilité de la traite négrière. Nous la refusons car ce ne sont pas nous qui avons armé les négriers. ». Là, l’historien creusant dans ses souvenirs renvoie Sarkozy à Las Casas, le moine qui avait plaidé auprès de Charles Quint l’institution du transfert officiel d’esclaves africains en Amérique pour sauver la vie des Indiens soumis au travail forcé et qui mouraient en masse. Las Casas a publié au 16ème siècle un grand ouvrage sur « L’Histoire des Indes » qui a été récemment réédité en trois volumes. Dans le Tome 1, il décrit la chasse à l’homme par les Portugais avec des armes à feu — «que les Africains, précise Mbow, n’avaient pas — pour se procurer les esclaves vendus ensuite au Portugal avant leur envoi en Amérique après sa « découverte ». Amadou Mbow très didactique renvoie aussi Sarkozy à ses études : « Il faut relire André Gide “’Voyage au Congo”’ où il décrit dans les années vingt la pratique et les ravages du travail forcé ». Ne parlez surtout pas d’aspects positifs de la colonisation au Professeur Mbow. « Mettre en avant la construction des ponts et des routes par la colonisation en ignorant que tout cela a été réalisé par les Africains et avec leur argent est une cécité intellectuelle. Ils veulent nous donner des leçons en refusant de connaître notre histoire ». En réalité le financement de ces infrastructures était fait par emprunt et payé par l’argent des territoires. Par ailleurs ce sont des investissements consentis pour le commerce du colon. Ne parlons même du « Code Noir ». Et tout allait vite avec son cortège macabre lié au travail forcé. « Chaque traverse du chemin de fer était le tombeau d’un Africain ».

El Hadji Gorgui Wade NDOYE
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