Communiqué de la LDH
Les coups de feu qui ont retenti à Toulouse ont atteint la France entière. Avec la mort d’un professeur et de quatre enfants, avec les meurtres froidement exécutés à l’encontre de trois militaires français, c’est un climat de terreur qui s’installe. Ces meurtres, qu’ils relèvent de la démence pure ou d’un projet de haine raciale ou politique –ce qui ne le rendrait d’ailleurs pas moins dément– sont inacceptables et le pays tout entier doit le signifier avec une détermination égale à sa colère, à son chagrin.
C’est pourquoi la Ligue des droits de l’Homme, en réitérant ses condoléances aux familles et aux proches des victimes, appelle à soutenir la marche silencieuse qui aura lieu ce jour à Paris, à 20h00, de la place de la République à la place de la Bastille.
Paris, le 19 mars 2012
Alger-Toulouse, d’une minute de silence à l’autre
Cinquante ans après
L’Histoire bégaie-t-elle ? De quelles secrètes correspondances est-elle parcourue ? Le goût des hommes pour les plus sombres anniversaires y est-il pour quelque chose ?
Le 19 mars 1962, le ministre de l’Education de l’époque, Lucien Paye, avait décrété qu’une minute de silence fût observée dans toutes les écoles de ce qui était alors la France. Quatre jours auparavant, le 15, un commando de l’OAS, dirigé par un lieutenant-parachutiste déserteur Roger Degueldre, avait assassiné à El Biar, dans la banlieue d’Alger, six inspecteurs de l’éducation engagés dans la cause des enfants en difficulté, dont le poète algérien Mouloud Feraoun. Dans son message, le ministre rappelait que ces hommes, musulmans, chrétiens ou libres penseurs, venaient de « tomber au champ d’honneur de leur travail. »
Le 19 mars 2012, un homme vient d’assassiner dans une école judaïque un autre homme et trois jeunes enfants. Il a sans doute déjà tué trois autres militaires, d’origine arabe ceux-là. C’est peut-être lui-même un ancien militaire.
Le 20 mars 2012, une minute de silence est décrétée par le ministre de l’Éducation Luc Chatel dans toutes les écoles de France pour honorer la mémoire de ces vies interrompues.
Le 19 mars 1962, il y eut quelques jeunes gens pour refuser de s’associer à cette minute de silence. Patrick Buisson, qui avait alors 13 ans, fut l’un de ceux-là. Il est aujourd’hui conseiller du président Nicolas Sarkozy. A Angoulême, pour ce que j’en sais, trois élèves furent exclus du lycée Guez-de-Balzac au motif de ce refus. Si l’on doit se taire un instant, plaidaient-ils à l’époque, que ce soit en l’honneur des victimes des deux « camps », celles du FLN comme celles des tenants de l’Algérie française, celles de l’OAS comme celles des barbouzes gaullistes, et non d’un seul.
Cinquante ans après, l’émotion semble submerger les mobiles politiques et la Nation. Qui aura manqué à l’appel aujourd’hui ? Et pourquoi ?
Communiqué de Lucien Paye, Ministre de l’Education nationale
Paris, le 17 mars 1962
L’Université française toute entière s’associe au deuil qui, une fois encore, frappe si douloureusement l’Académie d’Alger. Hier matin, un groupe de tueurs de l’O.A.S. a lâchement assassiné à El Biar six de nos collègues dont les noms doivent être cités à la jeunesse française : Maxime Marchand,, inspecteur d’académie, chef du service des centres sociaux d’Algérie ;Mouloud Feraoun, adjoint au chef du centre des centres sociaux ; Robert Eymard, inspecteur des centres sociaux, chef des bureaux d’étude ; Marcel Basset, inspecteur des centres sociaux, chef du centre de formation du personnel des centres sociaux ; Ali Hammoutène, inspecteur des centres sociaux pour la région d’Alger ; Salah Ould Aoudia, inspecteur des centres sociaux pour la région d’Alger.
Surpris au milieu d’une réunion de travail, ils ont été alignés devant un mur et sauvagement mitraillés. Unis dans leur sacrifice, comme ils l’étaient dans leur œuvre d’éducation, ils doivent le demeurer dans notre souvenir.
Leurs noms s’ajoutent à la longue liste des maîtres qui, en Algérie, sont tombés au services des valeurs spirituelles et morales qu’enseigne l’Université française et dont les centres sociaux d’Algérie, expression et moyen de la coopération dans l’action intellectuelle et l’action sociale, sont l’émouvant symbole.
En assassinant ces hommes, c’est à ces valeurs morales que l’O.A.S. a voulu s’attaquer.
Les obsèques des victimes auront lieu dimanche. Partageant la douleur des familles, je demande que dans tous les établissements scolaires de France, au début de la première heure de classe de lundi, lecture de ce message soit donnée par les maîtres, et qu’une minute de silence soit observée en hommage à la mémoire de nos martyrs.