Regards sur «Drame à Toulon» 60 ans après
«Le mardi 17 octobre 1950 à Toulon, debout devant ses juges, le second maître de la Marine Henri Martin répond à l’interrogatoire du conseiller Espenant, président du Tribunal maritime»… Tels sont les premiers mots de la pièce « Drame à Toulon » qui retrace le procès et
le parcours de ce jeune marin de 23 ans arrêté pour s’être élevé contre la sale guerre d’Indochine. Pièce dont la première édition, « que l’on croyait disparue », a récemment été retrouvée par Georges Perpès et Françoise Trompette de la compagnie Orphéon-Théâtre intérieur.
Soixante ans jour pour jour après les faits – le début du procès d’Henri Martin dans le Var – ce « Drame à Toulon » sera mis à l’honneur le dimanche 17 octobre à La Seyne dans le cadre de la Fête du livre de théâtre1.
Cette manifestation, qui se tient pour la onzième année consécutive, a vu le jour simultanément à la création de la bibliothèque de théâtre Armand Gatti de Cuers. « Nous estimons qu’il est important de montrer que les livres de théâtre existent, tout comme des auteurs qui sont toujours vivants. Le but est de balayer très largement tout ce qui est édité en la matière », indique Georges Perpès. A la suite de l’acharnement dont a été victime Orphéon de la part de la municipalité (UMP) en 2008, la compagnie a été forcée de délocaliser sa fête. Sans toutefois y renoncer. Elle se tiendra ansi pour la première fois dans la cité des anciens chantiers navals ce week-end.
« Transmettre un patrimoine »
Après une après-midi et une soirée consacrées à l’actualité du livre de théâtre, le dimanche sera donc l’occasion de revenir sur l’affaire Henri Martin qui, il y a six décennies, a suscité un formidable élan de solidarité à l’égard de l’engagement de ce jeune Résistant.
« La vocation de la Fête du livre de théâtre est à la fois d’être ouverte sur les écritures contemporaines, et de mettre en valeur et de transmettre un patrimoine. Contrairement à d’autres, la bibliothèque Armand Gatti a la particularité d’avoir une mission de conservation des ouvrages », commente Georges. Perpès. L’histoire sera ainsi revisitée sous l’angle du théâtre en présence de metteurs en scène, d’acteurs et d’auteurs locaux tels que César Gattegno, Yves Borrini, Jean-Claude Grosse, André Necton, René Merle… qui, «à un moment donné de leur parcours, se sont intéressés à de grande mouvements historiques varois ». Mouvements historiques qui ont été à plusieurs reprises portés sur les planches.
Pour évoquer la figure emblématique qu’est devenue Henri Martin, la Fête du livre de théâtre, un film intitulé « D’autres sont seuls au monde » datant de 1953 et signé Raymond Vogel. « Cette oeuvre retrace toute la campagne en faveur de la liberation du jeune marin et le mouvement populaire de l’époque. On y découvre également des extraits de scènes de la pièce “Drame à Toulon”», explique Georges Perpès.
Le 17 octobre 1950, débutait à Toulon le procès d’un jeune marin de 23 ans, poursuivi pour avoir distribué des tracts contre la guerre d’Indochine…
Depuis la plus lointaine antiquité, la petite et la grande histoire ont été revisitées régulièrement par le théâtre. Sur un mode satirique ou tragique. L’histoire du Var et celle de Toulon, port militaire ouvert sur la Méditerranée, ne font pas exception. Elles ont été le cadre d’évènements marquants, retentissants, d’importance nationale, choisis comme matière théâtrale.
Certaines de ces pièces à sujet historique ont été écrites a posteriori, longtemps après l’évènement. Parfois à l’occasion d’une commémoration. Il s’agit d’un travail de la mémoire collective, forcément distancié mais pas toujours exempt d’instrumentalisation. Leçon d’histoire, rappel à ceux qui ont la mémoire courte. Leçon d’anatomie qui rouvre les plaies, dissection du cadavre caché (comment s’en débarrasser?) et qui ressort à l’occasion d’un anniversaire. Partie sombre oubliée, effacée, voire écartée de l’ histoire officielle, mise en lumière un moment sous les projecteurs. Ce sont le cas de pièces comme L’affaire de la belle Cadière d’André Neyton (2004) qui revient sur le procès de la mystique toulonnaise accusée en 1731 de sorcellerie , de Ici on s’honore du titre de Citoyen d’Yves Borrini (1989) qui revisite Toulon livrée en 1793 aux Anglais par les royalistes, Lo cop d’estat de 1851 de Gaston Beltrame (1974) qui fait revivre Martin Bidouré, « fusillé deux fois ».
D’autres pièces ont été écrites à chaud, sur le vif. C’est le cas de La Réunion patriotique écrite par Étienne Pelabon en 1790 et jouée à Toulon la même année. En décembre 1793, la reconquête de Toulon par l’armée républicaine, inspire une multitude de pièces jouées à Paris dès janvier 1794: L’heureuse nouvelle ou la prise de Toulon de Fabre d’Olivet, La prise de Toulon par les Français de B. d’Antilly, La prise de Toulon de L.B. Picard, La prise de Toulon de Briois, Toulon soumis…
Un siècle et demi plus tard, Jean-Richard Bloch écrit Toulon 1942, juste après avoir appris le sabordage de la flotte. La pièce sera créée à Alger en 1944. Contemporaines de l’évènement, ces pièces y participent en le commentant, en réagissant, en prenant position. Elles tentent aussi parfois d’influer sur le cours de l’histoire – écrire l’histoire en l’écrivant – car les protagonistes sont toujours vivants, et la suite, l’issue du scénario ne sont pas encore connues, pas encore un destin. Le récit peut connaître un prolongement, un autre acte, d’autres possibles. Le théâtre, lieu de réunion, de débat et de fête devient une tribune. Théâtre d’amateurs, de militants, théâtre citoyen redouté des censeurs qui craignent une contagion émotionnelle. C’est le cas de Drame à Toulon – Henri Martin de Claude Martin et Henri Delmas. Écrite durant l’hiver 1950-1951, suite au procès de Toulon, la pièce est créée avant le procès de Brest par la compagnie « Les Pavés de Paris »; après la confirmation de la condamnation d’Henri Martin, elle est un des outils de la campagne nationale qui tente d’obtenir sa libération, ce dont témoigne le film de Raymond Vogel, D’autres sont seuls au monde (1953).
60 ans après le début du procès d’Henri Martin à Toulon, il nous a semblé intéressant de revenir plus particulièrement sur ce cas exemplaire et d’inviter historiens et gens de théâtre à croiser leurs regards, leurs expériences sur l’histoire, en toute liberté.
avec
- César Gattegno, metteur en scène, fondateur du Théâtre du Rocher, comédien avec « Les Pavés de Paris » dans Drame à Toulon
- René Merle, agrégé d’histoire, romancier. Il a notamment publié Inventaire du texte provençal de la région toulonnaise, de la pré-Révolution à la Seconde République, Six-Fours
(G.R.A.I.C.H.S, 1986) – Toulon 1789-1790, Etienne Pelabon et « La Réunion patriotique », S.E.H.T.D, (avec Antoine Tramoni, Michel Vovelle), 1988.
http://www.rene-merle.com/ - André Neyton, metteur en scène et auteur de La légende noire du Soldat O (Rencontres-CDO, 2004), L’affaire de la belle Cadière (Rencontres-CDO, 2006) metteur en scène de Lo cop d’estat de 1851 de Gaston Beltrame (1974)
- Yves Borrini, auteur et metteur en scène de Ici on s’honore du titre de citoyen, (Nouveau théâtre de Toulon, 1989)
- Jean-Claude Grosse, éditeur de Toulon 1942 de Jean-Richard Bloch (Les Cahiers de l’Égaré, 1998)
- Georges Perpes, co-fondateur de la bibliothèque de théâtre Armand-Gatti