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Édition du 1er juillet au 15 juillet 2024

A l’heure des Rendez-vous de l’histoire de Blois,
retour sur les archives de la guerre d’Algérie :
une avancée, mais beaucoup reste à faire

Aux 26ème Rendez-vous de l'histoire de Blois dont le thème 2023 est « Les vivants et les morts », peu d’interventions portent explicitement sur la guerre d’Algérie mais l'histoire coloniale est présente. Gageons que, parmi d'autres, une historienne comme Malika Rahal, spécialiste de cette guerre d'Algérie qui a tant marqué notre histoire récente, y fera référence. Où en est-on concernant l'accès aux archives de cette période ? En 2018, Emmanuel Macron avait annoncé leur ouverture, mais des entraves s'étaient aussitôt dressées entrainant une mobilisation d'archivistes, d'historiens et de juristes à laquelle le Conseil d'Etat a donné raison. Puis d'autres décisions, contradictoires, sont intervenues. Un arrêté de 2022 ouvrait des archives judiciaires tout en excluant certains dossiers. Cette exclusion a été levée par un nouveau texte publié le 27 août 2023 qui permettra de mieux connaître le terrorisme de l'OAS. Mais quel désordre !

Aux 26ème Rendez-vous de l’histoire de Blois
sur le thème : « Les vivants et les morts »


Aux Rendez-vous de l’histoire de Blois qui se tiennent du 5 au 8 octobre sur le thème « Les vivants et les morts », même si peu d’interventions portent explicitement sur la guerre d’Algérie, de nombreuses rencontres et tables rondes concernent l’histoire coloniale, et gageons qu’une historienne comme Malika Rahal, spécialiste de l’Algérie coloniale et de son accession à l’indépendance, très présente dans ces Rendez-vous de Blois, y fera référence comme d’autres intervenants. Par ailleurs, sur l’histoire coloniale dans son ensemble, maintes rencontres et tables rondes ont été prévues.

Signalons parmi elles :

Jeudi 5 octobre

• Table ronde : « Quand les morts nous racontent la vie d’esclave : les cimetières d’esclaves aux Antilles (XVIIe-XIXe siècle) », avec Dalila Chalabi, Jérôme Rouquet, Nadia Wainstain, INSPE – salle 23 – à 11h.

Vendredi 6 octobre

• Table ronde : « Mourir en situation coloniale », avec Aliénor Cadiot, Margot Garcin, Sara Legrandjacques, Aubin Peaudeau, Maëlle Pennègues, Site Chocolaterie de l’IUT, amphi 1, à 14h15.

• Table ronde : « Colonisation notre histoire », animée par Emmanuel Laurentin, avec Arthur Asseraf, Guillaume Blanc, Patrick Boucheron, Guillaume Calafat, Kristel Gualdé, Nadia Yala Kisukidi, Emmanuel Laurentin, Malika Rahal, Pierre Singaravélou, Sylvie Thénault, à la Halle aux grains – Hémicycle – à 16h15.

Samedi 7 octobre

• Film : « Fahavalo, Madagascar 1947 », avec Marie-Clémence Andriamonta-Paes, au cinéma Les Lobis – salle 3 – à 9h15.

• Table ronde : « Décommémoration, quand le monde déboulonne les statues et renomme les rues », avec Emmanuel Fureix, Sarah Gensburger, Jocelyn Martin, Olivier Pascal-Moussellard, Malika Rahal, au Conseil départemental – salle Kléber Loustau – à 9h30.

• Entretien : « Les représentations raciales dans l’histoire. Enquête sur les “races guerrières” », avec ­Stéphanie Soubrier, Sylvain ­Venayre et Etienne Augris, Hôtel de ville – à 9h30.

• Table ronde : « Une histoire globale de la France coloniale : enjeux historiographiques », avec Nicolas Bancel, Pascal Blanchard, Sandrine Lemaire, Felwine Sarr, Pierre Singaravélou, à l’Université – site Jaurès – à 9h30.

• Table ronde : « Violence létale, violence raciale en contexte esclavagiste XVIIème-XIXème siècle », avec Domitile De Gavriloff, Morgane Honoré, Miranda Spieler, Sonia Taleb, à la Chocolaterie de l’IUT – salle 214 –, à 12h15.

• Entretien : « Le dernier tabou de la guerre d’Algérie – histoire d’une enquête », avec Florence Beaugé, Charles-Henry Groult, Claire Mauss-Copeaux, à l’Université – site Jaurès – amphi 3 –, à 18h15.



Qu’en est-il de l’accès aux archives de la guerre d’Algérie ?



par Gilles Manceron, pour Histoire coloniale et postcoloniale.
Source

Les archives étant un outil majeur pour le travail de l’historien, il est légitime, après la publication le 27 août 2023 d’un nouvel arrêté au sujet de celles de la guerre d’Algérie, de s’interroger sur l’effectivité de l’accès à ces archives.

Emmanuel Macron, en septembre 2018, lors de sa visite à Josette Audin où il a reconnu l’assassinat de son mari, Maurice Audin, par les militaires français qui le détenaient, avait annoncé leur ouverture. Peu après, une procédure généralisée de fermeture appliquant une instruction interministérielle abusive avait provoqué une mobilisation et des recours au Conseil d’Etat auxquels ce dernier a donné satisfaction (1). Aussitôt, de nouvelles entraves à l’accès aux archives de cette période ont été introduites à la hâte dans un article de la loi du 30 juillet concernant le terrorisme et le renseignement. L’accès à certains documents restait « toujours aussi difficile », avait regretté en novembre 2022 l’historien Marc André dans une tribune publiée dans Le Monde. En décembre 2022, un arrêté ouvrant de manière anticipée l’accès aux archives judiciaires – donc positif bien que ne concernant qu’une catégorie d’archives – excluait la consultation des dossiers concernant les mineurs. On pouvait, dans ces conditions, s’interroger sur la réalité de la volonté gouvernementale d’ouvrir effectivement ces archives – d’autant que le Dépôt central des archives de la justice militaire situé sur la commune du Blanc, dans l’Indre, restait inaccessible.

Fait nouveau, au Journal officiel du 27 août 2023 est paru un nouvel arrêté qui lève cette impossibilité d’accès aux dossiers relatifs à des mineurs. Il abroge celui du 22 décembre 2021 qui empêchait de consulter des archives judiciaires concernant ceux dont la loi fixait alors la majorité à 21 ans. L’avancée est réelle : il sera possible de mieux connaître le terrorisme de l’OAS à la fin du conflit – la guerre que l’« Organisation Armée secrète », fondée au début de 1961 à partir de déserteurs de l’armée française et de civils européens d’Algérie a continué, après les Accords d’Evian, contre l’indépendance algérienne et contre les autorités françaises. En particulier celle des nombreux assassinats de civils algériens orchestrés par l’OAS et commis par de très jeunes gens. Grâce à l’accès, notamment, aux dossiers d’instructions et aux jugements du Tribunal de l’ordre public (TOP) installé à Tlemcen et à Tizi-Ouzou entre le 19 mars et le 29 juin 1962 pour juger ces crimes.

La connaissance des actes terroristes de l’OAS

Dans Nostalgérie. L’interminable histoire de l’OAS (2), Alain Ruscio écrit :


Outre le crime organisé, il y eut l’indicible : les ratonnades des dernières semaines. Encore le mot est-il faible : car ratonnades implique, au moins, mouvement de foule, fuites, poursuites, coups, acharnements… Dans les rues des grandes villes, ce furent la plupart du temps des assassinats froids, au hasard, sur des victimes qui n’avaient pas le temps de réagir. Parfois, il y eut des bavures, le faciès étant le seul critère : « Un corbillard arrive, ralentit pour tourner à droite. À ce moment, un tueur bondit sur le marchepied et, à bout portant, abat les deux employés, un Européen et un Musulman. Pourquoi ? On n’en sait rien. Il est vrai que certains d’entre nous ont des têtes d’Arabes » (Gabriel Conessa). Le 7 avril 1962, rue d’Alsace-Lorraine, à Oran, un Grec trop basané, pris pour un Algérien fut lynché. Il y eut sans doute d’autres cas. Le journaliste du Monde sur place témoignait : « Ce sont de très jeunes garçons presque partout qui conduisent les lynchages, mais on ne voit gère d’adultes s’interposer ni tenter de les calmer. Plus souvent, des badauds commentent ce qu’ils appellent le “courage“ et le “sang froid“ des jeunes assassins (…). Dans les rues, le bruit de fond est un brouhaha d’où sort par moments un cri de mort : “En voilà un, en avant !“. » Jean Maquet, de Paris Match avait vu les mêmes scènes : « C’est bien là le grand drame : ces civils armés. Ces civils, ils ont pour la plupart entre quatorze et dix-huit ans. Ailleurs, on les appelle des blousons noirs ; ici ils sont la preuve du dynamisme de la jeunesse. On les encourage. On les flatte. On les applaudit. Eux, ils tuent. Ils s’appellent eux-mêmes les “chasseurs de têtes“ comme des Peaux-Rouges de cinéma. Et c’est qu’ils jouent aux Peaux-Rouges, en effet, mais par malheur avec de vrais revolvers – qui donc les leur a donnés ? – ou à défaut avec des poignards, ou avec des tournevis transformés d’un coup de meule. Il leur faut maintenant leurs deux “melons“ par jour au moins. » Certains assassins étaient effectivement très jeunes. Lors de la vague d’arrestations, immédiatement après Évian, suite à la multiplication des barrages et des perquisitions, le Tribunal de l’ordre public (TOP), installé en deux chambres en Algérie, à Tlemcen et Tizi-Ouzou, eut à juger ces activistes : près de la moitié des inculpés avaient moins de 26 ans, le plus jeune ayant 16 ans. Pierre-Dominique Giacomoni avait 20 ans en 1962, lorsqu’il fut arrêté de la sorte. « Durant les trois jours qui ont précédé mon arrestation, il m’arrivait de tuer trois, quatre personnes au cours de la matinée ». Au juge qui s’apprêtait à l’inculper pour 37 meurtres, il répondit (par bravade ?) : « Non, monsieur le juge, 52. » […] Avant Évian, la plupart des cadavres qui jonchèrent les rues d’Alger ou d’Oran étaient ceux d’indigènes. « Dans Alger-la-Rouge, un homme est abattu toutes les huit minutes. Neuf fois sur dix, cet homme est un Musulman. C’est beau la statistique. On tire sur les passants comme sur des lapins. Au nom de l’Algérie française. C’est une solution : supprimer huit millions de Musulmans sur neuf, et c’est gagné. Ah ! les braves gens ! » écrivait Roland Treno, dans Le Canard enchaîné.


L’historienne Sylvie Thénault a pu consulter sur dérogation en 2008 les archives de ce tribunal avant que leur accès ne se referme et en avait rendu compte dans un article paru dans la revue Annales. Histoire, Sciences sociales (3). Sur un échantillon de 71 dossiers représentatifs qu’elle avait particulièrement étudiés, treize concernaient des hommes âgés de 18 ans, dix-huit avaient 19 ans et dix-sept avaient 20 ans, la majorité d’entre eux étaient donc mineurs. Leurs interrogatoires montraient que beaucoup avaient été abordés à une terrasse de café, dans un dancing ou un bowling et s’étaient vu confier une arme et une somme d’argent (25 000 anciens francs par quinzaine pour les célibataires), parfois par des patrons de bar, tel Athanase Georgeopoulos qui sera en 2005, au moment de la loi du 23 février sur les « aspects positifs de la colonisation », l’un des leaders les plus actifs de la campagne pour faire pensionner les condamnés de l’OAS pour les années qu’ils avaient passées en prison. La tâche des jeunes hommes recrutés était d’assassiner au hasard « les premiers Arabes qui se présentaient », certains ont témoigné qu’on leur avait précisé : « au moins deux par jour ». Dans une lettre que l’un d’eux avait conservée sur lui, il avait écrit à sa fiancée : « On se fait quelques cartons, un véritable régal. Tous les melons du coin commence (sic) à faire leurs valises ».

Cette question de la qualification du terrorisme de l’OAS est bien actuelle, elle a un rapport avec le racisme dans la société française et a resurgi notamment dans notre présent quand le maire de Perpignan, Rassemblement national, Louis Aliot, a fait attribuer à un parvis de la ville le nom de Pierre Sergent, le chef de l’OAS en métropole dont les attentats ont fait quelque 70 morts. C’est une question grave car, dans nombre de milieux influencés par l’extrême droite, règne l’idée que la lutte de l’OAS était un patriotisme légitime et que ses tueurs étaient l’équivalent des résistants français de 1940-1945.

Jean-Philippe Ould Aoudia, fils d’un enseignant assassiné par l’OAS, a cité récemment ce passage du livre de l’un d’eux, Pierre-Dominique Giacomoni, J’ai tué pour rien : « Comme chaque matin à neuf heures, nous allons nous livrer à notre ratonnade quotidienne. C’est le meilleur moment de la journée… Durant les derniers jours qui ont précédé mon arrestation, il m’arrivait de tuer trois, quatre personnes au cœur de la même matinée… ». Et ce président d’une association de victimes de l’OAS a fait le rapprochement entre l’usage des mots melon et raton à l’époque et celui du terme de racaille, employé aujourd’hui par certains pour désigner les habitants des quartiers défavorisés, ou celui de nuisibles, utilisé par les syndicats Alliance police et Unsa-police pour parler de la guerre que certains policiers déclarent mener contre eux. Il y a des mots qui peuvent conduire à la mort d’êtres humains.

Beaucoup reste à faire

Dans la politique historico-mémorielle d’Emmanuel Macron, on est loin des déclarations à l’emporte-pièce mais néanmoins prometteuses qu’il avait faites à la veille de sa première élection à la présidence de la République. En réalité, les archives de la guerre d’Algérie ne sont pas pleinement ouvertes aux citoyens. Certaines recherches, comme celles sur la question des armes chimiques fabriquées et utilisées à partir de 1957 par l’armée française pour mener une « guerre des grottes » meurtrière contre les maquisards et les civils qui s’y réfugiaient continuent à subir des entraves. Cette question de l’accès aux archives n’est pas une question intéressant seulement les historiens et les archivistes, elle concerne tous les citoyens.

Le dernier arrêté publié le 27 août 2023 représente une avancée, mais elle doit être relativisée (4). Ces ouvertures ne sont accordées qu’au compte gouttes, alors que le droit des citoyens à connaître leur histoire exigerait une ouverture franche et massive des archives de cette période qui constitue, à bien des égards, une matrice de certains problèmes de notre société d’aujourd’hui. Mais ça n’aurait pas l’heur de plaire aux nostalgiques de l’Algérie française et autres zélateurs des tueurs de l’OAS, dont la doxa nostalgérique imprègne une partie de notre société, dont la municipalité de Perpignan et la droite extrême de ce pays, que nos gouvernants hésitent à contrarier. Ils préfèrent recourir à un discours confus qui relativise la violence coloniale et préconise une large « réconciliation de toutes les mémoires ».

Dans ces conditions, la politique française quant à l’accès aux archives de la guerre d’Algérie avance par saccades, au gré des demandes et des pressions des uns ou des autres, sans véritable cohérence. Il subsiste de nombreux problèmes dans ce domaine, et, après la « bataille des archives » qui a été menée avec succès de 2018 à 2021, où l’historienne Raphaëlle Branche a joué un rôle important (5), des individus et des associations, au sein du collectif « Citoyenneté et Archives », sont décidés à poursuivre un combat qui remonte à la Révolution française en faveur du droit des citoyens à accéder aux archives. En préparant pour 2024 de prochains rendez-vous, faits de réflexion, de débats et de propositions.

(1) Catherine Teitgen-Colly, Gilles Manceron et Pierre Mansat, Les disparus de la guerre d’Algérie suivi de La bataille des archives (2018-2021), L’Harmattan, 2021.

(2) Alain Ruscio, Nostalgérie. L’interminable histoire de l’OAS, La Découverte, 2015.

(3) Sylvie Thénault, « L’OAS à Alger en 1962. Histoire d’une violence terroriste et de ses agents », Annales. Histoire, Sciences sociales, 2008/5, pages 977 à 1001.

(3) Gilles Manceron et Gilles Morin, « La France et les archives de la guerre d’Algérie », dans Jens Boel, Perrine Canavaggio et Antonio Gonzalez Quintana (dir.), Archives et droits humains, Institut Francophone pour la Justice et la Démocratie, 2023.

(4) C’est le sens de ce que j’ai pu en dire sur France info le 27 août et le 28 août dans la matinale de France culture.

(5) Catherine Teitgen-Colly, Gilles Manceron et Pierre Mansat, ouvrage cité.

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