lue par Bachir Ben Barka
au rassemblement du 29 octobre 2022 à Paris
Cher(ère)s ami(e)s,
Au nom du SNES-FSU et de l’Institut Mehdi Ben Barka – mémoire vivante, je suis très heureux de vous retrouver comme chaque année en ce lieu de mémoire et de ressourcement où nous nous donnons rendez-vous année après année pour poursuivre le combat pour la vérité et la justice, contre l’oubli et l’impunité.
Le 29 octobre a été décrété « journée du disparu » par toutes les associations de Droits Humains au Maroc et par l’ensemble des familles des victimes de la disparition forcée et leurs associations. A cette occasion se tiennent aujourd’hui au Maroc et aux Etats-Unis des rassemblements similaires au notre avec le mot d’ordre suivant : « Pour la vérité et contre l’impunité ». Le choix de cette date a été fait en hommage à Mehdi Ben Barka, le plus emblématique des disparus, pour commémorer son enlèvement et son assassinat à Paris en 1965 et pour y associer l’enlèvement à Tunis de Houcine El Manouzi en 1972. La semaine prochaine, sera commémoré à Casablanca le cinquantième anniversaire de l’enlèvement de ce dernier et sa livraison au régime marocain. Le slogan qui accompagnera cette manifestation sera « Tous pour la vérité et la justice. ».
Cette date du 29 octobre a été retenue pour que la symbolique de la disparition de Mehdi Ben Barka serve de point d’appui pour dénoncer le phénomène de la disparition forcée encore présent au Maroc, pour soutenir le combat des familles des victimes pour connaître la vérité sur le sort de leurs proches et exiger la fin de l’impunité des responsables des violations des droits humains. En effet, très souvent, ce sont les familles de victimes et leurs associations, avec le soutien du mouvement de défense des droits humains, qui sont en première ligne dans le combat contre l’oubli organisé par l’Etat marocain.
Plus de dix ans après la fin des travaux de l’Instance Equité et Réconciliation, ses recommandations en ce qui concerne la disparition forcée ne sont toujours pas mises en oeuvre. Bien au contraire, nous assistons, année après année à la volonté manifeste du Conseil National des Droits de l’Homme de tourner la page de la disparition forcée sans répondre aux revendications légitimes des familles concernant la vérité sur le sort de leurs proches. L’Institut Mehdi Ben Barka – Mémoire vivante se tient résolument à leurs côtés pour dénoncer ces manœuvres et pour que l’aboutissement de notre combat commun nous permettre enfin de faire notre deuil dans la dignité.
Cher(ère)s ami(e)s,
L’année écoulée a marqué la grave dégradation de l’état général des droits humains au Maroc. C’est ce qui caractérise les conditions dans lesquelles se déroulent les rassemblements du 29 octobre cette année. Les défenseurs des droits humains et leurs organisations, tant au Maroc qu’à l’international, s’inquiètent et s’indignent du tournant grave que prend l’État marocain et son système sécuritaire dans les violations de ses propres lois et des conventions internationales dans tout ce qui concerne les libertés publiques et individuelles, la liberté de la presse et d’opinion, le droit de manifester et de se réunir, et même dans toutes les étapes des processus judiciaires dans lesquels sont impliqués les défenseurs des droits humains, les journalistes, les blogueurs et tous les militants qui, d’une manière ou d’une autre, s’élèvent contre cet état des choses et portent leurs revendications pour plus de justice, plus de démocratie, plus de dignité ou, pour tout simplement l’établissement d’un état de droit.
L’Institut Mehdi Ben Barka – Mémoire vivante dénonce avec force les méthodes employées par le régime pour affaiblir les défenseurs des droits humains, pour essayer de faire taire les voix libres et critiques, pour les menacer et les intimider. La dernière condamnation des violations graves des droits humains de la part du pouvoir marocain a émané du groupe de travail sur la détention arbitraire de l’ONU qui a dénoncé les conditions de détention de Soulaimane Raissouni qu’il considère comme illégale. Déjà l’an dernier, j’avais dénoncé ici-même l’acharnement médiatique et la violation de la vie privée par des médias proches des services sécuritaires ; le harcèlement des militants et leurs familles ; le piratage des téléphones, le montage de procès d’opinion maquillés en procès de droit commun et où les conditions d’un procès équitable ne sont nullement garantis ; les détentions provisoires arbitraires ; le non-respect des droits de la défense et les lourdes condamnations à l’issue de procès non équitables ; les procès en appel reportés indéfiniment ou qui alourdissent systématiquement les peines prononcées en première instance, etc. Une année plus tard, rien n’a changé.
La situation n’a fait qu’empirer. Même après les jugements, les persécutions se poursuivent dans les prisons, ce qui s’apparente à une vengeance persistante de la part des systèmes sécuritaire et carcéral. En particulier, c’est ce que subissent les détenus du Hirak du Rif et des soulèvements sociaux. C’est ce que subissent les journalistes Omar Radi, Soulaimane Raissouni et Taoufiq Bouachrine à qui l’Institut exprime tout son soutien et toute sa solidarité avec leurs familles en exigeant leur libération immédiate.
Les persécutions des défenseurs des droits humains prennent aussi des formes punitives comme l’interdit professionnel arbitraire qui frappe Maâti Monjib, son impossibilité de subvenir à ses besoins et, contre toutes les législations, son interdiction de voyager pour se soigner ou participer à des activités universitaires. Je voudrais renouveler ici tout mon amitié à Maâti et ma solidarité avec lui.
Cher(ère)s ami(e)s,
Au mois de septembre dernier, dans le cadre d’un colloque organisé au Sénat par le Réseau national d’action des archivistes, le Collectif secret défense – un enjeu démocratique, le Comité de vigilance face aux usages publics de l’histoire et les Cahiers de l’histoire, sur le thème « archives et démocratie : au-delà du secret défense », j’ai rappelé le combat que nous menons depuis cinquante-sept ans contre la raison d’Etat, principal obstacle à l’avancement de l’action de la justice pour connaître la vérité sur le sort de Mehdi Ben Barka. J’ai rappelé comment la convergence d’intérêts et la complicité entre services secrets et forces de répression de plusieurs états pour éliminer un militant gênant continuent de se manifester aujourd’hui encore. La raison d’état, ou plutôt la raison des états concernés et leurs services sécuritaires – le Maroc (principal responsable de l’enlèvement et de la disparition), la France (où s’est déroulé le crime), Israël (complice actif), les USA – continue de couvrir le crime et les criminels et d’entraver l’action de la justice. En France, quatre ans après la visite du Président Macron à Josette Audin, qu’en est-il du dossier de Maurice Audin et de l’entière vérité sur l’assassinat du militant anticolonialiste ?
La justice burkinabé a-t-elle pu prendre connaissance de tous les documents promis par le président français concernant l’assassinat de Thomas Sankara ? Ce qui nous ramène aux questions soulevées par le « Collectif secret-défense : un enjeu démocratique » sur les implications des dysfonctionnements de l’usage du secret-défense sur le fonctionnement démocratique de notre société.
Pour nous, famille de victime, cette complicité du silence, surtout de la part d’Etats se disant de droit, est humainement insupportable et politiquement inacceptable. Pour notre part, nous estimons que contribuer à faire connaître la vérité dans l’enlèvement et la disparition de Mehdi Ben Barka sera un indicateur de la capacité de l’Etat à assumer les dérapages de ses services et cesser de masquer les dérives de ces derniers, voire parfois couvrir les crimes commis en France par les services d’autres d’Etats, et garantir l’impunité des criminels au mépris de la vérité et la justice. En France, dans un état qui se veut de droit, cela permet à la DGSE et son ministère de tutelle d’être juge et partie dans une affaire criminelle.
Aucun progrès dans l’enquête judiciaire
Depuis l’année dernière, aucun progrès n’est intervenu dans les requêtes du juge français en direction des autorités judiciaires marocaines qui n’ont plus répondu à ses demandes dans le cadre des Commissions Rogatoires Internationales depuis 2003. Une démarche directe auprès du ministère de la justice marocaine n’a pas abouti elle aussi. Nous constatons que les autorités judiciaires de la nouvelle équipe gouvernementale marocaine sont dans la continuité de leurs prédécesseurs avec le même manque de courage politique pour faire avancer la recherche de la vérité.
Même si la réalité du pouvoir est entre les mains du Makhzen et des services sécuritaires, on pouvait espérer un sursaut de respect des principes du droit et de la justice pour un déblocage de ce dossier, une avancée dans la résolution des dossiers de la disparition forcée toujours en suspens et un retour au respect des libertés publiques et individuelles, en particulier par la libération des prisonniers politiques et d’opinion.
Aussi, plus que jamais, malgré le temps qui passe, notre combat pour la vérité, la justice et la mémoire va se poursuivre avec votre soutien. Je reste convaincu qu’il aboutira, la résolution de ma famille et de son avocat, Maurice Buttin, ne fait que se renforcer année après année.
Cher(ère)s ami(e)s,
Malheureusement, beaucoup de proches, d’ami(e)s et de camarades nous ont quittés durant l’année écoulée, victimes du virus, de la maladie ou parce que leur temps était arrivé tout simplement. Parmi elles, parmi eux, je ne peux pas les citer toutes et tous, mais je souhaite faire une mention particulière à trois d’entre eux : Khalid Ben Barka, mon cousin, qui nous a quittés en février dernier. Depuis la mort accidentelle de sa mère, Khalid a fait partie intégrante de la fratrie des enfants de mes parents Mehdi Ben Barka et Rhita Bennani. Pendant plus de soixante ans, nous avons partagé les joies et les peines de la vie familiale tant au Maroc qu’au Caire ou en Europe. Nous garderons pour toujours intacts les souvenirs de sa joie de vivre et de sa grande humanité.
Mohamed Tanouti, disparu en janvier 2022. Il a été un résistant de la première heure dans le combat anticolonial aux côtés de Saïd Bounaïlat, Fqih Basri et Mehdi Ben Barka. Il a eu un rôle crucial dans l’acheminement de l’aide militaire aux combattants maghrébins aussi bien marocains qu’algériens. Après l’indépendance du Maroc, il a poursuivi son action militante pour la démocratie, la justice sociale et la dignité. Il en payé le prix fort dans le cadre du procès dit de Marrakech : enlevé, torturé et condamné. Toute sa vie, il est resté fidèle à ses convictions et aux principes qui ont guidé son action en permanence.
Abderrahim Berrada, avocat et militant des droits humains nous a quittés le 20 février 2022. Son décès a été ressenti comme une grande perte pour le mouvement progressiste au Maroc. Avec sa disparition, le Maroc a perdu l’une des rares voix véritablement indépendantes, celle d’un militant sincère qui ne s’est jamais résigné à accepter l’injustice et l’autocratie malgré les tentations ou les intimidations. Il avait consacré sa vie à la défense des droits humains et aux victimes des années de plomb, à la promotion des principes de la justice, du droit et de la laïcité.
Pour lui rendre un hommage à la mesure de ses engagements et de son apport intellectuel et humain, l’Institut Mehdi Ben Barka organise une rencontre le samedi 5 novembre à Paris. Cette journée sera transmise en live sur les réseaux sociaux pour permettre à toutes celles et à tous ceux qui ne seront pas à Paris ou qui ne pourront pas nous rejoindre de suivre l’intégralité des interventions. Les liens vous seront communiqués très rapidement.
Encore une fois merci pour votre présence.