« Fils de harki, je soutiens la panthéonisation de Gisèle Halimi »
par Amar Assas, publié par Le Monde, le 26 août 2022.
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Amar Assas, né en 1961 dans une famille originaire des Aurès, et, après être passé par divers camps (Saint-Laurent-des-arbres, Collobrières, La Landes des Maures) a grandi à Rosans, dans les Hautes Alpes, où des familles d’anciens supplétifs recrutés par l’armée française durant la guerre d’Algérie ont été implantés et ont dû affronter isolement et préjugés. En 1987, alors que le taux de chômage parmi les enfants de harkis du village était de 40 %, il a contribué à fonder à Rosans l’Association intermédiaire pour l’emploi dans les Pays du Buëch et les Baronnies, l’AIEBB, une association permettant leur insertion sociale et professionnelle, qui a été transformée plus tard en Hautes-Alpes emploi relais. Il s’est installé ensuite à Gap. Il travaille maintenant dans un service de Relations humaines dans le quartier de la Défense à Paris. Son premier roman, Le Trèfle à cinq feuilles, doit paraître aux éditions Baudelaire.
Même si Gisèle Halimi a refusé de prendre parti pour la reconnaissance des injustices commises contre les harkis, Amar Assas, descendant d’un soldat indigène ayant combattu pour la France, estime, dans une tribune au « Monde », que la militante féministe et anticolonialiste mérite l’hommage de la nation.
Je suis né quelques mois avant la signature des fameux accords d’Evian du 18 mars 1962 qui ont marqué l’histoire des deux pays et mis fin à la terrible guerre d’Algérie. Une guerre qui est la conséquence de décennies d’injustices, d’inégalités et d’absence de droits pour les « indigènes » relégués au statut de citoyens de seconde zone. Une guerre qui n’a pas été reconnue comme telle, mais présentée comme la répression de hors-la-loi. Une guerre qui a fait des centaines de milliers de victimes, d’abord parmi les indépendantistes et les civils algériens qui les soutenaient, mais aussi parmi les militaires français — dont beaucoup étaient des appelés — et parmi les Algériens enrôlés comme harkis par l’armée française, que leur histoire personnelle et familiale avait souvent mis dans une situation insoluble. Une guerre en partie fratricide, achevée notamment par des massacres de harkis qui ont souvent atteint le paroxysme de l’horreur et créé des plaies toujours ouvertes sur les deux rives de la Méditerranée.
Dans les deux pays, reconnaître la totalité du passé colonial implique de regarder ces réalités en face. Souhaitons que la visite officielle en Algérie du président de la République française, Emmanuel Macron, du 25 au 27 août 2022, soit l’occasion d’avancées à ce sujet en France comme en Algérie.
Quel lien avec mon soutien à la panthéonisation de Gisèle Halimi me direz vous ? Précisément, cette mesure serait pour la France une avancée. Ce serait un hommage officiel à une féministe également engagée dans le combat des peuples pour disposer d’eux-mêmes. A partir de 1956, elle a été l’avocate d’indépendantistes algériens et dénoncé ensuite les tortures pratiquées par l’armée. Elle a affiché clairement son anticolonialisme et mené en particulier un combat pour la défense de Djamila Boupacha, une militante indépendantiste accusée de tentative d’assassinat, torturée et violée pendant sa détention par des soldats de l’armée française.
Les stigmates de la colonisation
N’oublions pas que la conquête militaire engagée par le général Bugeaud a montré la permanence de la stratégie militaire de l’armée française consistant à enrôler des autochtones en qualité de supplétifs. La conquête de l’Algérie a causé la spoliation de plus de deux millions d’hectares aux « indigènes musulmans », provoquant famine, maladies et destruction de tout un système social et, au final, la disparition d’une partie importante de la population autochtone. C’est ce colonialisme — qui est bien à la base de toutes ces injustices dont furent victimes nos ancêtres — qu’a combattu Gisèle Halimi et ce serait important pour la France de lui rendre hommage.
En qualité de fils de harki, j’estime que les harkis sont une conséquence directe de la colonisation. Leur recrutement a divisé la société algérienne créant un drame humain dont je porte personnellement les stigmates. Cette guerre a fait exploser le socle fondamental qui porte toute société, qu’elle soit ancestrale ou contemporaine, à savoir la famille.
Aussi, je ne crois pas au choix idéologique de mon père qui plus est pour le maintien d’un système brutal et injuste créé par la colonisation, dont lui et plusieurs générations de sa famille avant lui ont souffert dans leur âme et dans leur chair (discrimination, racisme, spoliation, analphabétisme, ségrégation…). Je sais que son enrôlement et celui de la majorité des harkis s’est fait « sans consentement libre et éclairé ».
Regrets
Je sais aussi que Gisèle Halimi a refusé de s’engager pour la reconnaissance des injustices commises par la France à l’égard des harkis. Le fait d’avoir pris fait et cause pour des militantes de l’indépendance algérienne, d’avoir défendu de jeunes algériennes — dont certaines avaient été violentée lors de leur détention par l’armée —, l’a conduite à opérer une généralisation abusive quant à son regard sur l’ensemble des supplétifs et de leurs familles lorsque ceux-ci ont été victimes de violences inhumaines en Algérie, de discriminations et d’injustices en France.
Je regrette que cette militante anticolonialiste n’ait pas soutenu cette cause au nom des droits de l’Homme, qu’elle ne se soit pas jointe à des appels dans ce sens, signés par d’incontestables anticolonialistes comme l’historien Pierre Vidal-Naquet, le militant communiste et anticolonialiste Henri Alleg ou l’historien Mohammed Harbi, ou encore que son féminisme ne l’ait pas conduite à s’intéresser au sort, parfois tragique, des femmes de harkis, oubliées de toutes parts. Son statut d’anticolonialiste tout autant que celui de féministe auraient donné du poids à un tel engagement.
Mais, parce que je pense que la colonisation est la cause principale du drame des harkis et que l’anticolonialisme et le féminisme de Gisèle Halimi méritent l’hommage de la nation, je soutiens pleinement la demande de sa panthéonisation.
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par Amar Assas
[/Gap, le 6 mai 2012/]
Le 6 mai 2012 nous avons changé de président de la République mais au-delà du changement de personne c’est aussi le regard sur la société, et le peuple qui la compose, l’adhésion à des valeurs de solidarité et peut-être un peu plus de fraternité. C’est une vision nouvelle de l’avenir que doit incarner ce nouveau président qui affirme dans sa lettre du 5 avril destinée aux harkis «…La France se grandit en reconnaissant ses fautes. La France du XXIème siècle que je souhaite construire avec tous les Français a besoin d’une mémoire apaisée… ».
Monsieur Hollande représente la gauche, cette gauche qui j’ose l’espérer renouera des liens de paix avec les pays envahis au nom d’une prétendue promotion de la démocratie et qui ont semé la violence et la misère. Une gauche qui saura regarder dans le miroir de l’Histoire sa propre Histoire sans se détourner des périodes sombres tout en saluant les périodes fastes.
Parmi ces périodes sombres, je veux faire référence à notre histoire coloniale. Des associations, des militants, des politiques souhaiteront cette rencontre avec la Vérité, c’est ce qui confirmera la Grandeur de la France.
Avant de devenir harkis, nos parents, grands-parents et arrière-grands-parents, étaient des hommes dont la liberté et les biens ont été confisqués, malgré une identité berbéro-arabe, un culte et une culture. Ces hommes étaient des citoyens de seconde zone, des indigènes qui ne bénéficiait ni des mêmes droits ni des mêmes avantages que les Français installés dans un pays qui n’était pas le leur.
Les harkis sont les victimes collatérales de cette histoire coloniale. D’un coté, ils ont été poussés à combattre aux côtés d’un régime injuste et qui refusait l’application simple des valeurs inscrites sur les frontons de nos mairies, d’un autre côté, ils ont été abandonnés à la vindicte populaire avec l’issue tragique que nous connaissons tous. Issue qui a construit l’ensemble des revendications portées par des combats longs et parfois vains des enfants de la deuxième génération.
Qu’on le veuille ou non, la France et les Français auront rendez vous avec l’histoire passée pour reconnaitre, réparer, commémorer et se tourner une bonne fois pour toute vers l’avenir. Alors nous aurons le choix d’être partie prenante de ce rendez vous en tant qu’Algériens devenu Français par le seul fait de l’histoire, ou bien nous nous détournons, au pire nous nous opposons à cette inéluctable réalité et nous serons sacrifiés sur l’autel de la réconciliation entre deux nations qui regardent l’Histoire par la lunette de la même Vérité.
En 1982 déjà Ben Bella, ancien président algérien, souhaitait le retour des harkis en Algérie et que la page soit tournée car c’est un véritable drame pour la société algérienne.
Je suis fils de harki, et j’appelle toutes les filles et fils de harkis à se joindre à moi afin que nous lancions les bases d’un dialogue avec l’Algérie, pays de nos ancêtres millénaires, afin de recréer ou de retrouver les liens familiaux déchirés par 132 ans de colonisation et 50 ans d’exil.
[/26 août 2022/]Post-scriptum, dix ans plus tard. Sur les sujets abordés dans ce texte, le bilan de la présidence de François Hollande a été décevant. Son successeur actuel saura-t-il prendre des décisions courageuses ?
[/Amar Assas./]