Macron et Charonne : moins que le service minimum
par Cyprien Caddeo, publié dans l’Humanité le 9 février 2022.
On n’en attendait pas grand-chose, mais on est quand même déçus. Une gerbe déposée par le préfet Didier Lallement au Père-Lachaise sur les tombes des victimes, mardi matin. Puis trois phrases, dans un communiqué lapidaire de l’Élysée1 C’est là toute la considération à laquelle aura droit la commémoration des 60 ans de la tuerie de la station Charonne, le 8 février 1962. Le chef de l’État évoque une « manifestation pour la paix et l’indépendance de l’Algérie violemment réprimée par la police : 9 personnes ont perdu la vie, plusieurs centaines furent blessées ». « Soixante ans après cette tragédie, je rends hommage à la mémoire des victimes et de leurs familles », se contente-t-il ensuite de déclarer. Le rôle de l’anticommunisme d’Etat qui régnait à l’époque ? Celui du gouvernement ? Circuler, il n’y a rien à voir.
Certes, Emmanuel Macron est le premier président de la République à « faire l’effort » de rendre hommage aux victimes. On part de loin. Mais Henri Cukierman, du Comité vérité et justice pour Charonne, regrette « un premier pas insuffisant ». « C’est moins que le service minimum, soupire l’historien Gilles Manceron, membre de la Ligue des droits de l’homme. Il parle d’une répression d’une manifestation. Mais ce n’est pas de canons à eau dont on parle ici. Il y avait des ordres et une volonté de tuer, en attaquant une foule qui était en train de se disperser. Là, le rôle de Maurice Papon n’est même pas cité ». Emmanuel Macron avait pourtant brandi l’ex-préfet de police comme principal responsable lors de la commémoration des massacres du 17 octobre 1961.
Ici, pas un mot sur le collabo, pourtant coupable presque idéal. Encore moins sur sa hiérarchie, c’est-à-dire le ministe de l’intérieur Roger Frey ou le premier ministre Michel Debré, alors que les deux hommes étaient forcément au courant.
Sans doute n’y a-t-il rien, aux yeux du pouvoir macronien, à gagner électoralement à assumer un crime qui a surtout endeuillé le camp communiste et la CGT. Les familles des victimes attendaient pourtant, si ce n’est des excuses, au moins une reconnaissance de responsabilité de l’Etat. Elles n’auront pour accusé de réception qu’un communiqué gratté à la va-vite par le service com du palais. Le mépris, tout simplement.
Les mots de Delphine Renard
J’ai eu la chance de survivre à un attentat de l’OAS dirigé contre André Malraux. J’avais 4 ans. Le lendemain, neuf personnes ont été tuées par la police, ici-même, au métro Charonne, en répression d’une manifestation pour la paix.
Je suis ici aujourd’hui pour rendre hommage à tous ces manifestants qui ont eu le courage de se révolter pacifiquement et qui n’ont pu supporter que la violence aveugle de l’OAS défigure une enfant.
Je les considère comme des Justes.
Que leur mémoire soit bénie.
Un livre et un film en témoignage
Mourir à Charonne, pourquoi ?
Un film de Daniel Kupferstein
Ci-contre : trois victimes des tueurs du préfet de police
Maurice Papon : Daniel Fery, 15 ans, Jean-Pierre Bernard, 30 ans,
et Anne Godeau, 24 ans.
- Voir le texte du communiqué reproduit en « dernière minute » sur cette page de notre site : « Il y a soixante ans la répression meurtrière d’une manifestation pacifique au métro Charonne ».