A Biarritz, le quartier de « La Négresse » est à nouveau contesté
par Camille Polloni, publié dans Mediapart le 10 novembre 2020. Source
Le militant associatif Karfa Diallo envisage de saisir le tribunal administratif contre cette appellation à connotation raciste, qu’il juge « illégale ». Jusqu’ici, la municipalité a toujours opposé une fin de non-recevoir aux critiques.
Il ne s’agit pas de déboulonner une statue, mais c’est tout comme. À Biarritz (Pyrénées-Atlantiques), la zone qui englobe la gare SNCF, un quartier résidentiel et une zone artisanale s’appelle « La Négresse ». Depuis plusieurs années, un débat oppose ceux qui se sont attachés à ce toponyme, malgré sa connotation raciste, et ceux qui voudraient le voir disparaître.
Karfa Diallo, fondateur de l’association Mémoires et Partages, fait partie des détracteurs les plus actifs du nom « La Négresse ». Lors du sommet du G7 qui s’est tenu à Biarritz, en août 2019, il avait organisé une action de sensibilisation devant la gare de Biarritz pour réclamer que le quartier soit débaptisé. Il doit être jugé, le 3 décembre prochain, pour une « rébellion » qu’il conteste, lors de son interpellation ce jour-là.
Ce militant associatif franco-sénégalais de 49 ans installé à Bordeaux, qui travaille à faire connaître et reconnaître la mémoire de l’esclavage et de la colonisation dans différentes villes de France, n’a pas dit son dernier mot. Il continue, depuis, à interpeller la maire de Biarritz Maider Arosteguy (LR) sur la signalétique urbaine.
Dans un billet de blog publié le 5 octobre, Karfa Diallo appelle à ce que ce nom « colonialiste et raciste » soit « retiré ou explicité par un panneau explicatif ». « À l’instar des institutions qui partout dans le monde s’engagent à déconstruire les dominations héritées des crimes du passé, la ville de Biarritz s’honorerait à rentrer dans cette œuvre de mémoire et de justice. »
En parallèle, Karfa Diallo vient d’ouvrir un nouveau front. Par le biais de son avocat, William Bourdon, l’association Mémoires et Partages a adressé, fin octobre, une lettre formelle à la maire de Biarritz. Dans ce courrier, dont Mediapart a pris connaissance, il est demandé au conseil municipal d’abroger les délibérations « illégales » ayant octroyé le nom « la Négresse » à un quartier et une rue de la commune.
Ce courrier d’avocat est un préalable à une action en justice : à défaut de réponse de la mairie dans un délai de deux mois, l’association Mémoires et Partages entend saisir le tribunal administratif pour qu’il contraigne la municipalité à revenir sur ses délibérations passées.
Le nom du quartier date de 1861
Qui était « la Négresse » ? Au début du XIXe siècle, les soldats de Napoléon auraient pris l’habitude de surnommer ainsi la tenancière d’un cabaret du quartier d’Harausta. Le nom de cette femme reste inconnu à ce jour, mais son surnom a imprégné les lieux. Des commerçants l’ont rapidement repris sur leur enseigne. En 1861, le conseil municipal baptise officiellement le quartier. Et cent vingt-cinq ans plus tard, en 1986, une « rue de la Négresse » voit le jour dans la zone artisanale.
Dans le courrier adressé à la mairie, l’avocat William Bourdon estime que le nom « la Négresse » viole le principe de dignité humaine. « Le terme “nègre” a toujours eu une connotation extrêmement péjorative, véhiculant l’idée d’une infériorité de la “race noire” et participant de la justification de la traite négrière, puis de la colonisation », écrit-il.
À mesure que la France s’engageait dans la lutte contre le racisme, par ses lois et ses engagements internationaux, ce mot est devenu « tabou », jusqu’à être « banni du vocabulaire courant ». Pour l’avocat, il s’agit d’en tirer les conséquences en le faisant disparaître de la ville. « Cette demande s’inscrit dans un mouvement de prise de conscience – tant à l’échelle nationale qu’internationale – de la nécessité de s’interroger sur la subsistance dans nos sociétés de traces d’événements aujourd’hui justement qualifiés de crimes contre l’humanité », poursuit la lettre, citant des exemples étrangers.
En 2015, la commission de la toponymie du Québec a annoncé le changement de nom de onze lieux contenant le mot « nègre », en français ou en anglais, estimant qu’ils étaient susceptibles de « porter atteinte à la dignité des membres de la communauté noire ». Des musées, à Amsterdam et au Danemark, ont rebaptisé certaines œuvres. Tout comme les héritiers d’Agatha Christie, décidant de troquer « Dix petits nègres » contre « Ils étaient dix ». Cet été, un quartier de Berlin a débaptisé la « rue des Maures » au profit du nom du philosophe Anton Wilhelm Amo.
De nombreux soutiens
Karfa Diallo peut compter sur le soutien de l’écrivaine bayonnaise Marie Darrieussecq, pour qui « le mot négresse est une insulte atroce ». « Il faut absolument changer ce nom. Les gens d’ici ne se rendent pas compte que quand on amène quelqu’un de l’extérieur ici, ou de l’étranger, la personne est choquée. Nous sommes en 2020 et il faut en finir. »
Habituée à recevoir « des courriers de touristes », la municipalité de Biarritz, dirigée par Didier Borotra (de 1991 à 2014) puis Michel Veunac (de 2014 à 2020), a toujours tenu sa ligne : pas question de changer le nom de « la Négresse ».
Lors des mandatures précédentes, le conseiller municipal socialiste Galery Gourret demandait lui aussi le retrait de ce « nom péjoratif et insultant pour une grande part de l’humanité ». Suffisamment gênant, selon lui, pour que le maire Didier Borotra recouvre des panneaux, en 1994, lorsque Biarritz a accueilli un sommet des chefs d’État africains. Ledit maire a cependant démenti avoir pris une telle mesure, expliquant qu’Alain Juppé, le ministre des affaires étrangères de l’époque, avait été consulté mais ne l’avait pas jugée utile.
En 2015, le tweet d’une enseignante de Biarritz, indignée que la banderole annonçant la fête de quartier soit décorée d’une caricature de femme noire, a ravivé la polémique. Le président de la Licra, Alain Jakubowicz, a pris parti dans un tweet : « Ça se passe à Biarritz en 2015. Ça se passe de commentaire. Mais ça ne fait passer ni la nausée ni la honte #racisme. »
« Les propos de la Licra sont ridicules », répondait Michel Veunac, alors maire de Biarritz, pointant un « anachronisme ». « On juge une chose du passé avec les éléments de valeurs du présent. (…) Des tas d’endroits portent des noms comme celui-ci, qui sont le fruit de l’histoire. » Le journal Sud-Ouest saisissait l’occasion pour proposer un sondage aux internautes. Sur 4 800 répondants, 95 % estimaient qu’il ne fallait pas débaptiser le quartier.
Il y a quelques jours, la nouvelle maire (LR) de Biarritz, Maider Arosteguy, semblait fidèle à la position de ses prédécesseurs. « Ce sont des gens qui n’habitent pas ici, a-t-elle déclaré dans Sud-Ouest au sujet de Mémoires et Partages. Si le conseil consultatif de quartier le demandait, ce serait différent. (…) En 2013, une consultation des habitants avait tranché pour garder ce nom. » La maire ajoute que le nom du quartier rend hommage, en quelque sorte, à « une femme chef d’entreprise ».
Pourtant, la controverse finit toujours par ressurgir. Dans le même article, la conseillère municipale EELV Lysiann Brao confie qu’elle préfère utiliser l’ancien nom basque, « Harausta ». Et appelle à relancer les recherches historiques sur la tenancière de cabaret. « Si on veut vraiment lui rendre hommage, il faut que le quartier porte son nom, pas seulement son surnom. »
Dans une lettre datée du 12 octobre et adressée à l’association Mémoires et Partages, Maider Arosteguy semble étudier cette solution. « Revenir à l’ancien [nom] serait l’effacement d’une femme qui a marqué l’histoire de Biarritz, garder le nom tel quel, sans explication, pose bien évidemment problème », écrit la maire dans ce courrier. « C’est pour cela que je vais demander à ce que soient réunies les informations nécessaires afin d’établir des faits historiques sur ce chapitre », conclut la maire. Dont la position ne paraît pas encore tranchée.
SOUTENONS LE COMBAT CONTRE LES DÉNOMINATIONS RACISTES
Poursuivi par la police française pour « rébellion », le fondateur de Mémoires & Partages fait l’objet d’un acharnement policier et judiciaire consécutif à sa détermination à combattre le racisme et à lutter pour l’égalité et la fraternité.
Violemment interpellé et mis en garde à vue lors du Sommet du G7 en aout 2019, le directeur de Mémoires & Partages est défendu par Me Colette Capdevielle et Me William Bourdon au tribunal de Bayonne le 3 décembre 2020 à 13h45.
Les brutalités de cette interpellation, à savoir l’escorte musclée vers le hall de la gare, le coup sur la nuque, le plaquage ventral au sol, la clé de bras et enfin le balayement, ont fait l’objet d’une plainte auprès de l’IGPN pour le délit de « violences par une personne dépositaire de l’autorité publique. »
La dénonciation de la dénomination raciste et sexiste du plus grand quartier de Biarritz n’est que la continuité d’un combat contre la déshumanisation des Noirs et pour porter la lutte contre le racisme bien au-delà des frontières de Bordeaux.
Le nom de ce quartier fait effectivement polémique depuis plusieurs années. Il a été ainsi nommé en référence à une femme noire figure du quartier au 19ème siècle. Or l’évolution de la société et le développement des droits humains ont attribué à l’expression « nègre » un caractère raciste et xénophobe. Il était donc logique et légitime qu’un militant engagé dans la défense de la diversité mène une campagne de sensibilisation pour une situation qui avait auparavant déjà fait l’objet d’un signalement par des élus et associations diverses dont la Licra.
Membre de la Fondation pour la Mémoire de l’esclavage, Karfa Diallo, depuis plus de vingt ans et dans le respect de la loi, anime pour l’association Mémoires & Partages, des actions de sensibilisation pour exiger que vérité et justice soient faites à l’endroit des symboles du racisme, de la traite et de l’esclavage sur l’espace public à Bordeaux, Nantes, La Rochelle et Le Havre.
L’attaque policière et judiciaire contre Karfa Diallo est une tentative d’intimidation contre les militants antiracistes.
Nous sommes solidaires pour montrer aux sexistes, racistes et révisionnistes notre unité et notre détermination à exiger réparation des torts du passé et justice pour les torts d’aujourd’hui.
Nous, associations et personnalités, souhaitons faire de ce procès celui de la pensée raciste, colonialiste et sexiste qui prolifère dans l’impunité à ciel ouvert. Nous voulons en finir avec les violences policières et leur impunité. Nous voulons en finir avec la répression judiciaire de toutes les contestations. Nous voulons en finir avec le racisme.
Nous exigeons :
• L’abandon des poursuites contre Karfa Diallo,
• La fin de l’impunité et des honneurs attribués aux personnalités qui ont participé à la pensée raciste, esclavagiste, sexiste et colonialiste,
Nous sollicitons le soutien du public pour faire face aux frais du procès avec une cagnotte Letchi.
Conseillé par Me William Bourdon, est envisagé un recours devant le tribunal administratif pour faire annuler les délibérations municipales qui ont attribué à ce quartier le nom raciste de « la négresse ».
LE COMITE DE SOUTIEN
Dans l’attente d’autres retours, avant la publication médiatique prévue le 23 novembre, ce texte a été notamment signé par :
Organisations : EELV Aquitaine, La France Insoumise, Bordeaux en Luttes, Solidaires étudiant-e-s Bordeaux, CODDSE Bordeaux, Darwin Climax Coalitions, Mémoires & Partages, La Clé des Ondes (radio bordelaise), collectif Contre Les Abus Policiers – C.L.A.P33, L’Orchestre Poétique d’Avant-guerre – O.P.A, Collectif Jaunes Etc 33, Association Bêafrika
Elus : Danièle Obono, députée de Paris, Kalvin Soiresse Njall, député Bruxellois, Achille Loïc Prudhomme, député de Gironde, Antoine Boudinet, conseiller municipal Bordeaux, Sam Boubou Ba, maire adjoint de Vendome, Philippe Poutou, conseiller municipal Bordeaux, Michel Larive, député de l’Ariège,
Personnalités :
Patrick Chamoiseau, écrivain, Jean Berthelot De La Glètais, journaliste, Galery Gourret Houssein (Biarritz), Mbembe, universitaire, Jean-Louis Sagot Duvauroux, écrivain, Cheikh Diaby, responsable associatif, Philippe Barre (Darwin), Greg Germain, acteur, réalisateur, producteur, Doudou Diène (UN), Firmine Richard (comédienne), Serge Romana (CM98), Dominique Sopo (SOS Racisme), Pap Ndiaye, historien, François Durpaire, universitaire, Cheikh Tijaan Sow, musicien, Benjamin Stora, historien, Emmanuel Gordien (CM98), Serge Bilé, écrivain, Raphael Adjobi, enseignant, Dieudonné Boutrin, responsable associatif, Odome Angone, enseignante, Catherine Coquery-Vidrovitch, historienne, Olympe Bhêly-Quenum, écrivain et chercheur, Coumba Touré, activiste, Françoise Vergès, autrice, Anne-Marie Garat, écrivaine, Marjolaine Unter Ecker, chercheuse, Patrick Girard-Haddad, écrivain et journaliste, ancien secrétaire général de l’Union des Etudiants juifs de France, Xavier Ricou, architecte, Jean-Baptiste Borthury, militant, Patrick Troudet (Utopia), Maha Abdelhamid, chercheuse, Wahid Hanaf, entrepreneur, Henri Plande, retraité, Anicet Djehoury, responsable politique, Marie Duret-Pujol, universitaire, Marc Cheb Sun, écrivain, Aya Cissoko, championne de boxe, Nicola Lo Calzo, artiste, Xavier Ridon, journaliste, Tabué Nguma (Unesco – coordonnateur du projet La Route de l’esclave ; Résistance, Liberté, Héritage), Bruno Bouyer, avocat bordelais, Jean-Michel Lucas, universitaire retraité chevalier dans l’ordre du mérite, officier dans l’ordre des palmes académiques, Anouk Bertaux, historienne de l’art, Flo Laval, cofondateur de Revue Far Ouest, Catherine Cortesi-Mazurie, enseignante, Maël Lucas, Journaliste culturel, Thierry Leclère, journaliste, Aissata Seck, conseillère municipale, Aminata Sonko, avocate Lyon, Marylin Videau, ancienne avocate et militante, William Adjété Wilson, artiste-auteur, Nicolas Burgho, animateur Bordeaux, Gabriel Okoundji, écrivain, Thianar Diouf, chef d’entreprise, Karima Kebe, animatrice, Philippe Couillaud, retraité, Amadou Tidiane Gueye, retraité, Charles Forsdick, universitaire, Xavier Didelon, salarié, Mireille Besnard, artiste, Bettina Samson, artiste, Nicole Delaveau, retraitée, Jacques Delaveau, retraité, Isabelle Bettinger, militante, Graziella Danguy, syndicaliste, Régis Saphore, syndicaliste, Aïta Thiaw, fonctionnaire, Marie Bonnaud, retraité, Sakina Arnaud, militante, Marie-Agnès Serres-Cany, retraitée, André Rousseau, MRAP, Daniel Salhorgne, militant, Soukeyna Mbaye, agent administratif, Philippe Arnaud, syndicaliste, Isabelle Garo, philosophe, Marie-Laure de Noray-Dardenne, sociologue et auteure, Marie-Rose Abomo Mvondo Maurin, retraitée, Mélaine Poda, chercheur en géographie humaine et urbaine.