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Édition du 15 septembre au 1er octobre 2024

En France, y a pas de contrôles d’identité abusifs !

En France, les personnes perçues comme «noires» ou «arabes» sont contrôlées respectivement six et huit fois plus que celles qui sont perçues comme «blanches», selon une étude menée en 2009 à Paris par l’ONG Open Society Justice Initiative (émanation de la Fondation George Soros) et le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) – voir cette page. « Il est choquant que des jeunes noirs et arabes puissent être, et soient, obligés de se mettre contre un mur et soient malmenés par la police en l’absence de réelles preuves d’infraction. Mais en France, si vous êtes jeune et que vous vivez dans certains quartiers, cela fait partie de la vie. » avait écrit Judith Sunderland dans le rapport intitulé La base de l’humiliation : Les contrôles d’identité abusifs en France, publié en janvier 2012 par l'organisation américaine Human Rights Watch – voir cette page. La lutte contre les contrôles au faciès était l’engagement numéro 30 de François Hollande lors de sa campagne présidentielle. Mais les 13 personnes, qui avaient récemment porté plainte pour contrôles abusifs – voir cette page –, ont toutes été déboutées : le tribunal a estimé que les contrôles n'étaient pas discriminatoires.

La justice nie le caractère abusif des contrôles d’identité en France

point de vue de Judith Sunderland, HRW, le 3 octobre 2013

Hier, un tribunal de Paris a porté un coup terrible à la lutte contre les contrôles d’identité abusifs et discriminatoires. Dans des décisions rendues dans le cadre de treize affaires différentes dans lesquelles des citoyens français noirs et d’origine arabe prétendaient que la police avait eu recours au profilage ethnique pour les contrôler et les fouiller, un panel de trois juges a déclaré que, « non », il n’y a là rien de répréhensible.

En fait, le tribunal a indiqué que les demandeurs avaient omis de prouver la « négligence grave » de la part de la police dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions, critère que les juges ont retenu suite aux arguments du Procureur. La négligence grave est assez difficile à prouver compte tenu des pouvoirs excessivement étendus de la police pour contrôler des personnes sans qu’aucune suspicion raisonnable ne justifie l’arrestation et compte tenu également de l’absence de toute sorte d’enregistrement de l’arrestation. Le gouvernement du Président François Hollande, qui a été élu sur un programme incluant une promesse de mettre fin au profilage ethnique et aux contrôles d’identité abusifs, a brièvement caressé l’idée de mettre en place des réformes, notamment en introduisant des récépissés de contrôle, avant de battre en retraite face à l’opposition des syndicats de police.

En suivant la ligne de conduite du gouvernement, le tribunal a de fait ignoré les règles européennes et internationales qui inversent la charge de la preuve dans les affaires de discrimination une fois qu’il a été montré qu’une personne a été traitée différemment du fait de ses origines. Il ne sert à rien que la loi française exclue les pratiques policières de ses lois anti-discrimination. Les juges ont indiqué que ce n’était pas au tribunal de commenter la responsabilité de l’Etat pour des lois qui font débat.

Pensez-y quelques instants…

La justice française a omis les innombrables personnes noires et arabes que la police contrôle de façon régulière et répétée sans motif valable. Les avocats vont faire appel mais le tribunal a eu raison sur un point : les législateurs français ont encore du pain sur la planche. Cette décision scandaleuse ne peut cacher des lois et des pratiques honteuses. Le parlement devrait limiter les pouvoirs de contrôle de la police en imposant qu’une suspicion raisonnable de délit existe dans tous les cas et devrait introduire des formulaires de contrôle visant à améliorer la responsabilisation et l’efficacité de la police. Il est aussi essentiel de garantir la formation adéquate de la police et d’instaurer un véritable dialogue entre la police et la population pour passer de la culture de la suspicion à la culture de la confiance.

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Quelques témoignages extraient du rapport de HRW

  • Farid A., un jeune de 16 ans habitant Sainte-Geneviève-des-Bois, en région parisienne, a expliqué que lui et cinq amis avaient été contrôlés à trois reprises près de la Tour Eiffel :

«On sort du métro, contrôle. On marche 200 mètres, autre contrôle. On marche 200 mètres, et autre contrôle. Il y avait tout le monde, mais ils ont contrôlé que nous.»

  • Ismaël Y., un jeune de 17 ans habitant en banlieue sud de Paris, a été contrôlé par la police en compagnie d’un groupe d’amis devant la gare de banlieue de Sainte-Geneviève-des-Bois début 2011 :

«Lorsqu’on était avec les mains contre le mur, je me suis tourné vers lui [le policier qui le fouillait] et il m’a frappé la tête. J’ai dit quelque chose comme ‘pourquoi vous me frappez’, et il m’a dit ‘ferme ta gueule, tu veux un coup de gazeuse [lacrymogène] ou quoi?’»

  • Ouamar C., 13 ans, Paris :

« J’étais avec mes amis assis dans un coin… et ils sont venus nous contrôler. Je n’ai pas parlé car si tu parles, tu es embarqué. Ils ont ouvert ma sacoche. Ils ont aussi cherché sur mon corps. Ça se passe comme ça chaque fois. Ils n’ont rien trouvé sur moi. C’est la première fois que ça se passe devant l’école. Ils disent «Mettez-vous contre le mur», ils fouillent, à la fin ils disent merci et ils s’en vont… Ça fait peur au début quand on me contrôle. Maintenant je commence à m’habituer. »

  • Haroun A., 14 ans, Bobigny :

« J’étais dans le centre commercial avec des copains en train de s’amuser. Ils [les policiers] viennent avec leurs armes et ils nous braquent. Il y avait trois policiers. Ils nous ont dit ‘contrôle d’identité’. Deux avaient dans les mains les flash-balls [armes qui utilisent des balles de caoutchouc]. J’étais avec cinq ou six amis. On ne faisait rien. Tout le temps ils nous contrôlent comme ça. Quand on est en groupe tout de suite ils nous contrôlent. Ils ont demandé si on avait des trucs. Ils nous mettent contre un mur, ils nous fouillent même dans les chaussettes et les chaussures. Ils n’ont rien trouvé. Les papiers ils demandent, mais pas tout le temps. »

  • Halim B., 17 ans, Lille :

« Le bus s’arrête et la police monte. J’étais assis au fond. C’était à 7h20 du matin. Le bus était rempli… Ils ont désigné un mec et lui ont dit, «tu te lèves et tu descends avec nous». Je regardais, je croyais que c’était un criminel, et ils m’ont désigné aussi pour descendre. Trois personnes sont descendues, et il y avait deux Arabes sur trois. Le bus était rempli, il y avait plein de monde debout. Il y avait plus de Français [Blancs] dans le bus (…) Les contrôles, ils [les policiers] ont le droit de les faire autant de fois qu’ils veulent mais franchement, j’étais gêné. Je me suis senti comme si j’étais un cambrioleur, un délinquant poursuivi. J’avais peur quand ils m’ont désigné pour descendre. Je me demandais ce que j’avais fait. Quand je suis descendu [du bus], ils ont dit ‘contrôle, est-ce que vous avez rien d’illicite sur vous, videz vos poches’. Ils ont fouillé mon sac, puis je suis parti. Je suis arrivé un peu en retard à l’école. Franchement, j’étais pas mal habillé ou quoi, j’allais à l’école. »

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