Les Nostalgérianistes ne désarment pas
Du 1er novembre 1954 au 18 octobre 1999, la nature du conflit qui opposa la France coloniale et l’Algérie luttant pour son indépendance empêchait même de le qualifier de guerre. Les « évènements » du 1er novembre 1954 au 19 mars 1962 ne deviendront … Histoire que le 18 octobre 1999.
Aujourd’hui, encore, les tenants de l’Algérie française et les anciens hommes de main de l’OAS nient cette réalité : la guerre. Ils agissent pour glorifier l’Algérie de la colonisation, tentent de réécrire l’Histoire, d’ouvrir des musées à leurs idées, de lever des stèles à leurs héros, de se retrouver et de nourrir les milieux de l’extrême droite.
Un de leur dernier fait d’armes : une proposition de loi visant à reconnaître « le massacre de la population française à Oran le 5 juillet 1962 ». Ce sont 14 députés, 13 hommes et une femme, tous élus et membres de l’UMP.
L’exposé des motifs rend un compte précis de leurs idées, et de leur partialité dans la guerre d’Algérie.
Pour eux, la reconnaissance par François Hollande, en octobre 2012, de la responsabilité de la France dans la tuerie d’Algériens à Paris en octobre 1961, traduirait une « volonté d’ignorer celles et ceux qui ont payé de leur vie le fait d’être français durant cette période.»
Leur texte décrit le cessez-le-feu du 19 mars 1962 entre le FLN et la France, et le principe de l’indépendance de l’Algérie, comme responsables de massacres de Harkis, et d’enlèvements d’Européens ; «la population civile française terrorisée» n’ayant plus comme seule option que l’exode. C’est déjà là orienter les faits, nous y reviendrons.
Le 3 juillet 1962, après référendum, le Général de Gaulle reconnaît l’indépendance de l’Algérie ; elle sera proclamée le 5 juillet 1962, dans la liesse générale partout en Algérie.
Mais à Oran, le 5 juillet est aussi une journée sombre ; une fusillade éclate rue d’Arzew au sein du défilé. Et c’est le début d’une chasse aux Européens.
Personne ne nie le fait ; et dans l’exposé des motifs, une phrase à reprendre : «ce massacre collectif rendu possible par une passivité coupable au plus haut niveau de l’État, a été volontairement occulté par les protagonistes qui n’avaient aucun intérêt à la vérité.»
Dans L’Écharde1, j’avais écrit :
« Le 5 juillet à Oran, dans la matinée, vers onze heures, boulevard Joffre, quelques coups de feu isolés éclatent. La rumeur s’amplifie “c’est l’OAS, c’est l’OAS”. La foule massée place d’Armes s’éparpille, affolée “c’est l’OAS, c’est l’OAS”. Des hommes en armes, sortis de la foule, tirent un peu sur tout, sur des sentinelles françaises qui s’enferment bien vite dans leurs casernes, des Européens qui se réfugient où ils peuvent comme dans les locaux de L’Echo d’Oran, des Algériens au hasard. Un peu partout des morts sur les trottoirs, et la chasse à l’Européen commence. L’armée se barricade, le général Katz applique les ordres reçus qui lui interdisent de faire sortir des ses cantonnements les troupes […] Ce n’est qu’à 17 h, à la demande du FLN, que les gendarmes mobiles et l’armée aident au rétablissement de l’ordre dans toute la ville. Les premiers chiffres donnent 110 Algériens et 25 Européens tués, mais des centaines d’Européens ont disparu […] La ville vit à nouveau un cauchemar, elle s’affole, s’angoisse, les faubourgs se vident, deviennent silencieux. La vague de départs s’amplifie, la foule se tasse sur les quais, devant les compagnies de navigation, à la Sénia.»
«Qui a voulu ce 5 juillet, et pourquoi ? Simple écho sanglant de ce que fut la terreur imposée par l’OAS ? Vengeance sauvage ? Éléments de la lutte qui s’affirme au sein des combattants algériens ? Justification à rebours de la tiédeur d’hier ? Désir ou nécessité de chasser les Européens ? de manière à faciliter les échanges économiques entre la France et l’Algérie en simplifiant les contentieux ? Pari de l’OAS, attendant du retour des pieds-noirs en France le renforcement de l’extrême droite ? Ces raisons s’entremêlent sans doute. Je craignais une réaction de violence à Oran, non liée à l’indépendance, mais plutôt au contrecoup des mois terribles que la population algérienne venait de vivre.»
Aujourd’hui, les faits du 5 juillet sont connus, décrits. Il y en a des récits, et même des témoignages de proches filmés et vus à la télévision.
Personne ne nie la gravité des faits, la douleur ressentie, le cauchemar de l’incertitude, le silence subi et incompris, les responsabilités niées. Mais le 5 juillet participe de la guerre d’Algérie ; Il en est un des éléments. Les historien[ne]s l’étudient. Et c’est des deux côtés de la Méditerranée qu’il faut, sans doute, chercher encore qui, comment, où, pourquoi.
Dans toute guerre, tout conflit, qu’il s’agisse des causes, du déroulement, des conséquences, continuité et rupture parlent à l’intelligence. Lire l’Histoire ne suffit pas, il nous faut la comprendre.
Mais souvent, et encore plus en ce qui concerne la guerre d’Algérie, le refus de percevoir l’Histoire se perpétue. Des femmes et des hommes se replient sur leur passé, leur vécu au sein de cette société coloniale qui constituait leur univers. Même s’ils ont été des jouets de l’Histoire, s’ils ont subi des politiques imposées qui les dépassaient, le déni se poursuit au sein des familles. Mais dès l’origine du conflit, d’autres, femmes et hommes, ont choisi de comprendre ce qui se passait dans leur pays, de saisir la volonté d’un peuple se battant pour défaire les liens de la colonisation, et de gagner enfin l’indépendance de l’Algérie.
Oui, toute guerre a ses drames, ses désastres, ses morts ; elle a duré du 1er novembre 1954 au 5 juillet 1962. Le bilan est très lourd : de l’ordre de 23 000 pour les combattants français et les Harkis, de 3 500 pour les Européens, morts ou disparus, et de 500 000 pour les Algériens, combattants et civils.
Alors comment ne pas dire que faire une loi pour tel ou tel événement de la guerre serait une absurdité ?
Ils proposent une loi avec un article unique : «La République française reconnaît le massacre de la population française du 5 juillet 1962 à Oran.»
Et que dire du bilan très lourd d’assassinats d’Algériens et de Français par l’OAS durant les années 1961 et 1962, sans parler de la destruction d’une partie de la ville et de son port ?
L’Histoire est là pour aider à comprendre le passé, et mieux affronter les défis du présent. S’en servir pour entretenir une nostalgie revancharde est une imposture.
Proposition de loi visant à reconnaître le massacre de la population française à Oran le 5 juillet 19622
présentée par les députés
Lionnel Luca (06), Élie Aboud (34), Thierry Mariani (Fr de l’étranger), Philippe Meunier (69), Philippe Vitel (83), Alain Chrétien (70), Bernard Brochand (06), Laurent Furst (67), Jean-Claude Guibal (06), Jean-Frédéric Poisson (78), Patrice Verchère (69), Jean-Jacques Guillet (92), Guy Teissier (13) et Valérie Boyer (13)
enregistrée à la Présidence de l’Assemblée nationale le 16 juillet 2013.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Le 5 juillet 1962 restera la date d’une tragédie pour les Européens installés en Algérie lorsqu’elle était française.
Le journaliste Georges-Marc Benamou a écrit à juste titre, « le massacre du 5 juillet d’Oran semble être un évènement clandestin, discutable, fantasmé, et dont les seuls survivants se repassent le souvenir. Aucune étude historique définitive. Pas de véritable investigation. Peu de livres. Pas une plaque, nul hommage officiel de la République ».
La reconnaissance, en octobre dernier par François Hollande, de la responsabilité de la France dans la tuerie d’Algériens à Paris en octobre 1961, semble être une pierre de plus dans cette volonté d’ignorer celles et ceux qui ont payé de leur vie le fait d’être français durant cette période.
Le 5 juillet 1962 il reste à Oran, environ 100 000 Européens.
Les accords d’Évian du 18 mars 1962 ont fixé la date du cessez-le-feu au 19 mars entre le FLN et la France et le principe d’indépendance de l’Algérie.
À compter de cette date, massacres de harkis, enlèvements d’Européens contraints de traverser des quartiers musulmans pour se rendre à leur travail, se multiplient faute de patrouilles militaires.
Dès lors, la population civile française terrorisée comprend la fragilité de son statut défini par les accords d’Évian, son manque de protection, dont la seule issue est l’exode massif en métropole.
Si l’exode s’organise, celui-ci est très vite ralenti, faute de moyens suffisants, terrestres et aériens, pour assurer le retour sur le continent de toutes les familles, qui, effrayées par les exactions, tentent de fuir un territoire qu’elles ont aimé.
Le 3 juillet 1962, après le référendum organisé en Algérie, le Général de Gaulle reconnait officiellement l’indépendance de l’Algérie et le transfert de la souveraineté à l’exécutif provisoire algérien.
La proclamation de cette indépendance est prévue pour le 5 juillet, date du 132ème anniversaire de la prise d’Alger par les Français en 1830.
Cette journée sera une journée dont l’histoire restera à jamais écrite avec le sang d’innocents, lynchés sur la place d’armes d’Oran, tués à coup de fusils ou de couteaux.
Les témoignages recueillis sont accablants ; les chiffres varient de quelques centaines à quelques milliers de victimes.
À la douleur des souffrances vécues, s’est ajoutée au fils des ans, la douleur de l’inacceptable oubli de ce massacre.
Certains, pourtant, se sont élevés pour que les Français d’Algérie, sacrifiés à des dessins politiques, ne le soient pas par l’indifférence qui confine à la négation des faits.
Le Révérend Père Michel de Laparre, présent lors des massacres, fut l’un des premiers à publier en 1964 « Le journal d’un prêtre en Algérie », relatant les heures durant lesquelles les Français furent massacrés dans les rues du centre-ville, sans qu’intervienne ni l’armée, ni les gardes mobiles, pourtant encasernés en grand nombre dans les différents bâtiments militaires, lycées ou collèges, et qualifiant cette journée de « journée de honte ».
Jean-Jacques Jordi, dans son livre « Un silence d’État : Disparus civils et européens de la guerre d’Algérie » retrace les évènements de ce 5 juillet 1962, où hommes, femmes, enfants furent lapidés, égorgés, torturés, sur la place publique, sans que l’armée française n’intervienne pour les sauver.
Plus récemment, Guillaume Zeller, dans son livre publié en 2012 « Oran, 5 juillet 1962, un massacre oublié » pointe du doigt cette ignorance voulue jusqu’au plus haut sommet de l’État.
Qualifié par l’auteur de « nouvelle Saint Barthélémy », le massacre d’Oran, grâce à sa position de journaliste, sort peu à peu de l’ombre, touche le grand public, et fait reculer le déni historique.
Reste l’État français, qui a fait sienne une théorie fort connue en psychanalyse : « ce qui n’est pas dit, n’existe pas ».
Ce massacre collectif, rendu possible par une passivité coupable au plus haut niveau de l’État, a volontairement été occulté par les protagonistes qui n’avaient aucun intérêt à la vérité.
Mais, comme le souligne Jean-Pierre Pister, Agrégé d’Université, professeur de chaire honoraire à l’université de Nancy, « l’Histoire, la vraie, celle qui n’est pas falsifiée, ni par les idéologies, ni par les raisons d’État, finit toujours par s’imposer ».
Ce massacre qui a blessé dans leur chair les Français d’Algérie, mais qui blesse aussi aujourd’hui les Français qui n’ont pas vécu ces événements, doit être enfin reconnu par l’État français qui ne peut plus s’extraire d’une mémoire collective, dont il doit être le gardien, et qui est aujourd’hui partagée par des historiens, des journalistes, des écrivains…
Il n’est que temps que la République française honore les victimes innocentes dont le seul tort fut d’être françaises, ou d’avoir servi la France le 5 juillet 1962 à Oran.
Il vous est ainsi soumis la proposition de loi suivante.
PROPOSITION DE LOI
Article unique
La République française reconnaît le massacre de la population française du 5 juillet 1962 à Oran.
- L’Écharde, pages 274-276.
- Référence : http://www.assemblee-nationale.fr/14/propositions/pion1258.asp.