Des préjugés toujours vivaces sur la période coloniale1
Ce documentaire est essentiellement illustré d’archives et de témoignages de pieds-noirs, communauté dont est issu le réalisateur M. Cassan, S’y ajoutent d’autres témoins, anciens militaires, fils de harkis ainsi qu’un jeune Algérien.
Ce film-documentaire nous brosse donc un tableau du territoire algérien et de son histoire allant du 16ème siècle à nos jours. Le parti pris de l’auteur réside dans une volonté de rétablir sa vérité historique, estimant que la France de de Gaulle a menti non seulement aux pieds-noirs, mais aussi aux Français de métropole.
C’est ainsi qu’il présente une Algérie pré-coloniale soumise à l’empire ottoman, ces « musulmans essentiellement pirates s’adonnant, par des razzias, à l’esclavage des chrétiens blancs ». Cela constitue la principale justification
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du débarquement français et de l’immigration européenne et cosmopolite qui s’ensuit, fondant ainsi la future communauté pied-noire !
Cette dernière est dépeinte comme très pauvre, travailleuse, humanitaire … et civilisatrice, rien de moins. Une généralisation abusive, des justifications a posteriori. La misère des autochtones et leurs conditions de vie ne sont qu’à peine évoquées lors des premiers troubles de la guerre d’Algérie, car l’auteur préfère plutôt mettre l’accent surs les velléités d’indépendance d’une infime partie de musulmans « intégristes » incarnée par le FLN.
Les massacres de Sétif et les exactions de l’OAS sont minimisés et toujours imputés à la seule politique gouvernementale de l’époque.
Quelques anciens officiers déplorent le désarmement et l’abandon des harkis. Le rapatriement massif de pieds-noirs est vécu comme « une chasse à l’Européen », et la violence de la guerre crée une grande émotion à l’évocation des victimes civiles tuées ou mutilées … du côté européen. Notons le silence sur ces mêmes violences illégitimes commises sur le peuple algérien – du fait de la police, des militaires, des milices auto-déclarées ou de l’OAS – sauf …lorsqu’elles sont imputables au FLN comme dans l’exemple de Mélouza.
Les accords d’Evian, puis l’indépendance, mettront un point final à la guerre par l’exode massif des pieds-noirs durant l’été 1962.
Le film se termine par un retour au pays des décennies plus tard où chaque témoignage déplore un paradis perdu, jusque dans les allées de cimetières abandonnés. Le témoignage anonyme d’un jeune Algérien va même évoquer le regret « des Algériens » pour ces temps anciens.
M. Cassan veut réduire la guerre d’Algérie à un conflit entre deux religions (musulmane et chrétienne), ignorant par là les graves séquelles produites par le code de l’indigénat séparant deux populations jusqu’en 1945, avec des répercussions bien après cette date et pendant la guerre. Certes, des occasions de réformes ont été manquées, M. Cassan y fait allusion au détour de cette phrase prémonitoire du général Duval quand il mata la rébellion de Sétif en 1945 ; ce dernier disait alors : « je vous ai donné la paix pour dix ans ».
Ce film, avec ses anachronismes, est une tentative un peu maladroite de redorer à tout prix le blason de la communauté pied-noire dans son ensemble, communauté dont la souffrance réelle et le traumatisme méritent un meilleur traitement de son histoire afin de dépasser certains clichés encore vivaces datant de la période coloniale.
responsable pour la région Languedoc Roussillon
de l’association Harkis et droits de l’Homme
Laissons le dernier mot à l’historien Marc Ferro, qui, à la question qui lui était posée de savoir si les pieds-noirs «ne sont pas aussi un peu des victimes du colonialisme», répondait en juin 20052 :
«Les pieds-noirs sont devenus des victimes du colonialisme pour autant qu’ils ont dû quitter de façon tragique le pays où ils sont nés en 1961-1962. Mais ces pieds-noirs n’avaient pas pris conscience auparavant qu’ils constituaient une population dominatrice et qui refusaient toute concession politique aux musulmans. C’est leur intransigeance, tout comme celle ensuite des nationalistes algériens, qui a abouti au drame dont ils ont aussi été des victimes.»
Marc Ferro
- Le texte d’Aïcha Kerfah est repris du site Harkis et droits de l’Homme, avec l’autorisation de l’auteure.
Le titre est de LDH-Toulon. - Référence : http://www.lemonde.fr/societe/chat/2005/06/03/quelle-memoire-du-colonialisme-francais_658187_3224.html