
Photo tirée du site de l’ANPNPA : https://anpnpa.fr/ag-2025-de-lanpnpa-quelques-images/
L’assemblée générale de l’Association nationale des Pieds-noirs progressistes et leurs ami.e.s (ANPNPA) s’est tenue les 10 et 11 octobre 2025 à La Garde près de Toulon. Cette association est proche de l’Association des Anciens Appelés en Algérie et leurs Ami.e.s Contre la Guerre (4ACG). Un hommage a été rendu à François Nadiras, le créateur du site ldh-toulon.net, devenu à son décès en 2017 histoirecoloniale.net, en commun avec l’Association Histoire coloniale et postcoloniale, la section de la Ligue des droits de l’Homme de Toulon et le journal La Marseillaise.
Y sont intervenus : Jacques Pradel et Pierre Manaranche, de l’ANPNPA, Roland Biache, président de la section LDH de Toulon, Elisabeth Nadiras, ancienne présidente de la section LDH de Toulon, Thierry Turpin, journaliste à La Marseillaise, et Gilles Manceron, co-délégué du groupe de travail « Mémoires, histoire, archives » de la LDH et co-responsable du site histoirecoloniale.net. Ont également pris la parole à distance : Françoise Dumont, présidente d’honneur de la LDH, Alain Ruscio, historien, et Fabrice Riceputi, historien et co-responsable de la rédaction du site histoirecoloniale.net.


La Marseillaise du 9 octobre 2025
Le samedi 11 octobre, des rencontres-débats ouvertes au public ont discuté sur la base des interventions de :
– Nedjib Sidi Moussa, politologue : « Comment la décolonisation de l’Algérie façonne les passions françaises ».
– Isabelle Merle, historienne de la colonisation, directrice de recherche au CNRS : « De l’Algérie à la Kanaky ».
– Mehdi Lallaoui, réalisateur et écrivain, après la projection de son film documentaire « Kanaky-Nouvelle-Calédonie, la trajectoire interrompue du Caillou ».

À cette occasion, histoirecoloniale.net a interrogé plusieurs participants membres de l’ANPNPA et des 4ACG qui ont été proches des engagements de François Nadiras.
Entretiens avec des militants de l’ANPNPA et des 4ACG
• Comment est née l’ANPNPA ? N’est-ce pas un oxymore que de parler de pieds-noirs progressistes ?
• Jacques Pradel, co-président, et Catherine Sicard, membre de l’ANPNPA : L’association est née en 2008. Tout d’abord, on en avait assez d’entendre les pieds-noirs nostalgiques du système colonial de l’Algérie française parler en notre nom. On a une vision de l’histoire, une analyse de l’histoire qui est totalement différente de la leur. En un mot, nous estimons que la lutte du peuple algérien pour se libérer du colonialisme était une lutte juste et légitime. La deuxième raison c’était de dire, nous sommes des enfants d’Algérie et on veut dire notre fraternité avec les autres enfants d’Algérie. Lors de la création en 2008, nous étions un groupe d’amis dans la région avec des origines politiques ou des sensibilités différentes, il y avait des communistes, ceux de la mouvance libérale des Européens d’Algérie, des Chrétiens de gauche… et la question de l’appellation de l’association posait naturellement problème. Nous avons donc retenu ces deux termes qui sont très connotés politiquement mais qui s’équilibrent d’une certaine manière.
L’élément déclencheur a été ce qui se passait à Perpignan, où à l’instigation du Cercle algérianiste de Perpignan, une organisation nostalgérique, avait été érigé un Mur des disparus pour l’Algérie française et il se trouve que sur ce mur étaient gravés les noms de membres de la famille d’un des fondateurs de l’association qui vivait à La Ciotat, Yvan Donnat. C’était une famille de communistes et militants anticolonialistes algérois qui avaient lutté et s’étaient engagés dans le FLN. Le nom de son père, Gaston Donnat, figurait sur ce mur alors même qu’il avait été victime d’un attentat perpétré par l’OAS.
Yvan Donnat était en relation avec François Nadiras qui avait monté le site ldh-toulon.net, ce site formidable dans lequel il avait compilé une masse de renseignements et de documents historiques sur la colonisation. Donc, l’association est née de cette imposture des mouvements nostalgériques à Perpignan.
• Est-ce que votre association s’ouvre aux jeunes ?
• Jacques Pradel : C’est une question compliquée à laquelle je répondrai par une anecdote. Il y a plus de dix ans maintenant, les jeunes de ma famille (une cinquantaine) , avaient décidé de faire une cousinade entre jeunes qui excluait les parents. Et je leur avais envoyé un mot pour présenter l’association et leur dire : « voilà, c’est ça aussi vos racines ». Ils avaient tous, sauf un, adhéré à l’Association, par sympathie parce qu’ils se reconnaissaient dans notre démarche et étaient absolument d’accord pour dénoncer et lutter contre le racisme. Mais toute la question de se battre contre les nostalgiques de l’Algérie française, quelque part, les intéressait beaucoup moins. Ils étaient en prise avec la réalité de ce qu’ils vivaient et la référence au passé était moins importante pour eux. Néanmoins, cette question de la transmission à la génération vient s’appuyer sur la réalité que l’on vit aujourd’hui avec la montée des idées d’extrême-droite, la montée du racisme ambiant, du racisme anti algérien, qu’il ne faut pas déguiser sous le terme d’islamophobie. Et là, ils se reconnaissent dans ce combat.
• Pouvez-vous nous parler de François Nadiras, des réseaux et des liens qu’il a tissés avec les associations comme la vôtre ?
• Nils Balanche, co-président de l’Association des Anciens Appelés en Algérie et leurs Ami.e.s Contre la Guerre (4ACG) : Je l’ai connu quand j’avais 20 ans, dans les années 1967-1968, j’étais en classe de mathématiques, préparation aux concours au Lycée Dumont d’Urville à Toulon. Est arrivé ce jeune professeur de 27 ans, François Nadiras. Il était très compétent et très pédagogue. On allait dans ces cours avec beaucoup de bonheur et il m’a beaucoup guidé dans mon orientation et mes études. Bien plus tard, à la retraite, j’ai pu retrouver François à la Ligue des droits de l’homme et suivre le site ldh-toulon.net où s’exprimaient ses combats et ses valeurs que je partageais entièrement. C’est le sens de l’hommage que j’ai voulu lui rendre lors de l’Assemblée générale de l’ANPNPA car cette assemblée des pieds-noirs progressistes était vraiment le moment le plus approprié pour cet hommage.
• Philippe Czapla, de l’Association des Anciens Appelés en Algérie et leurs Ami.e.s Contre la Guerre (4ACG) : L’association a été fondée en 2004, au moment où plusieurs anciens appelés en Algérie ont commencé à avoir le statut d’ancien combattant et de recevoir une pension d’ancien combattant. La plupart d’entre eux sont revenus d’Algérie très traumatisés. Ils ont compris sur le terrain qu’on leur faisait faire une guerre coloniale. Mais beaucoup d’entre eux sont tombés amoureux du pays et ensuite amoureux des gens, du peuple algérien et ils n’ont pas compris qu’on leur fasse faire quelque chose qui était contre leurs valeurs. Donc, ils sont revenus complètement démolis, et pendant une vingtaine d’années au moins, ils n’ont rien pu dire pendant vingt, quarante ans pour certains. Ils n’ont rien pu lire parce que c’était une période dont les Français ne voulaient pas parler à l’époque et ensuite ce n’était pas partageable avec des enfants. Pas possible d’en parler ! On peut citer le cas de Rémi Serres en particulier, le fondateur de l’association, qui a été amené à témoigner parce que son fils était objecteur de conscience et qu’il a été poursuivi par la justice. C’est à ce moment-là qu’il a commencé à parler de la guerre d’Algérie, même si c’était c’est très difficile pour lui car cela faisait remonter des choses très compliquées.
Dans les années 2000, c’est avec des amis agriculteurs dans le Tarn qu’est née l’idée d’une association pour réfléchir à ce qu’ils feraient de leur pension d’ancien combattant, cela donnera l’Association des Anciens Appelés en Algérie et leurs Ami.e.s Contre la Guerre, 4ACG. En travaillant avec un groupe albigeois, le Collectif des Objecteurs du Tarn, ils décident de ne pas refuser cet « argent taché par tout le sang versé en Algérie » mais de le reverser à des causes utiles en Algérie et de soutenir des actions positives pour le rapprochement des peuples français et algérien. À la suite d’une émission de Daniel Mermet, sur France Inter Là-bas si j’y suis, l’association voit le nombre de ses adhérents exploser à la hausse. Lors d’une de la première Assemblée générale, était invitée Simone de la Bollardière, la veuve du général Pâris de Bollardière qui a été dégradé pour s’être opposé à la torture en Algérie. Son message aux anciens appelés en Algérie était : « Prenez la parole. Vous êtes aussi victimes de ce passé, ce que vous avez vécu n’est pas normal ». Cela n’a pas manqué de susciter des prises de parole des plus émouvantes.
• Comment réussissez-vous à toucher les jeunes générations ?
• Philippe Czapla : Par les interventions dans les collèges et lycées, par un site internet qui s’appelle 4ACG.org, nous sommes en train de développer Facebook et Instagram. Ensuite, il y a des publications comme ce livre qui s’appelle Guerre d’Algérie, Guerre d’indépendance, Paroles d’humanité (1), un des rares livres qui regroupent tous les témoignages des anciens appelés, des harkis, des pieds-noirs, quasiment toutes les personnes concernées de près ou de loin par la guerre d’Algérie. Et ça montre bien tout le travail de d’humanité, de fraternité qui a été construit autour de l’association.
(1) Collectif, Guerre d’Algérie, Guerre d’indépendance, Paroles d’humanité, l’Harmattan, 2012, 480 pages.
(propos recueillis par Cheikh Sakho)
« France-Algérie : ils chantent l’amitié entre nos peuples », un article de La Marseillaise
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