Daniel Timsit l’Algérien à l’écran :
« Comme notre Révolution était grande ! »
C’est un homme impressionnant de dignité et de lucidité, qui nous offre, post mortem et grâce à Nasredine Guenifi un témoignage édifiant doublé d‘une analyse d‘une rare finesse sur son passé militant : Daniel Timsit, l’Algérien, ou Les confidences d’un ancien fidaï. Le film, qui rassemble quatre séries d‘enregistrements, s’articule autour de quelques questions vives : l’identité, la nation algérienne, l’Algérie avant la Révolution, le combat pour la liberté, l’Algérie après l’indépendance.
Programmé dans quelques salles en France, ce documentaire apporte un éclairage précieux sur la participation des « non-musulmans » à la guerre de libération, une page de l’histoire algérienne peu connue, parfois tombée dans l’oubli. Il résonne étrangement dans une actualité tourmentée et pleine de rebondissements, de part et d’autre de la méditerranée, entre débat identitaire, exhumation des secrets de famille historiques, et ébauche de projet de loi sur la criminalisation de la colonisation.
Daniel Timsit est né à Alger en 1928 dans une famille modeste de commerçants juifs. Descendant d’une longue lignée judéo-berbère, il a grandi tout naturellement dans ce pays où cohabitent Juifs, Arabes et Pieds-noirs, que le système colonial s’efforce de dresser les uns contre les autres. Il raconte avec une émotion qu’il contient à grand-peine, les raisons qui ont forgé sa détermination à se ranger du côté du peuple algérien dans son combat pour la dignité. L’évocation du spectacle quotidien des enfants jetés à la rue « comme des ordures » et livrés à une misère noire le bouleverse encore. Quarante ans après, il n’a pas oublié leurs visages. En 1955, il entame des études de médecine et devient un des responsables des étudiants communistes d’Alger. Il s’occupera plus particulièrement du laboratoire de fabrication d’explosifs, puis entrera dans la clandestinité en mai 1956. Arrêté en octobre de la même année, il sera détenu à El Harrach, puis à Lambèse et enfin transféré en France jusqu’à sa libération en 1962, date à laquelle il rentre à Alger.
Son engagement pour l’indépendance, c’est à travers l’adhésion au PCA qu’il le concrétise, ce parti qui dit-il « m’a permis de rejoindre mon peuple ». Il s’explique longuement sur son identité algérienne, lui qu’on continue en France, à présenter comme un Européen. « Je n’ai jamais été un Européen » se défend-il. Il s’est toujours considéré comme Algérien, lui, dont la langue maternelle est l’arabe « derdja ». La langue et la culture françaises, qu’il ne renie pas, viennent au second plan. Il s’étonne devant le niveau d’incompréhension qu’il rencontre en France à l’endroit de l’Algérie. L’algérianité ne se définit pas en fonction d’une appartenance ethnique ou religieuse, mais par ce qu’il appelle « une communauté d’aspirations et de destin ». Yveton n’était-il pas aussi algérien qu’un autre quand il mourait sous la guillotine en criant « vive l’Algérie libre » en français ? Daniel Timsit, s’exprimant sur les pages douloureuses de l’histoire algérienne, a une façon toute particulière de parler de ses frères de combat, du plus obscur au plus prestigieux, avec une attention pour chacun, dans leur simple évocation. Le récit des années de prison fait partie de cette expérience unique où il découvre la nation algérienne dans sa diversité et sa profonde solidarité. Là, se côtoient ceux qui ne parlent que l’arabe ou le berbère ou le français, frères pourtant, dans une même Algérie qui saigne. Les années de guerre, la prison, l’indépendance, les luttes fratricides qui l’ont suivie: il a vu l’Algérie évoluer et tourner le dos aux valeurs que proclamait le congrès de la Soummam. Il a vu une idéologie exclusive et obscurantiste prendre forme, là où pourtant, tous les ingrédients d’une Algérie plurielle, fraternelle, riche de ses enfants étaient réunis.
Dans la dernière partie du film, il exprime ses préoccupations à propos de la jeunesse algérienne, coupée de son histoire et privée d’une partie de son identité. Celle qui n’a pas connu la colonisation, ce « système qui a fait le malheur des peuples colonisés », dans lequel les « musulmans n’étaient que des ombres transparentes ». Il souhaite que l’on rétablisse la vérité historique, qu’on la rétablisse y compris dans ses aspects les moins glorieux, évoquant notamment la question des harkis. En ces temps troublés de crispations identitaires, et de repli sur soi qu’on observe à travers le monde, son discours universaliste et profondément généreux, nous réconcilie avec ce que l’homme peut avoir d’admirable parfois, quand il n’a pas peur de croire en une fraternité possible. En Algérie, des femmes et des hommes se sont un jour battus pour cette idée-là.
L’enfant de Birkhadem
Portrait d’un personnage exceptionnel réalisé par Nasredine Guenifi et projeté à Paris.
Le Magic Cinéma, de Bobigny, en banlieue parisienne, vient de projeter en avant-première, le documentaire du réalisateur Guenifi, intitulé Daniel Timsit l’Algérien, relatif au communiste et résistant anticolonialiste, d’origine judéo-berbère, né en 1928 à Alger et décédé en 2002 à Paris où il exerçait comme médecin. Ce documentaire se veut un hommage aux combattants algériens non musulmans qui ont participé activement à la guerre pour l’indépendance de leur pays et qui sont aujourd’hui injustement oubliés ou méconnus.
Daniel Timsit, de mère constantinoise, de père algérois et d’un grand-père, rabbin de Constantine, n’aime pas, de par ses « valeurs internationalistes et universalistes », se définir sur une base ethnique. Sans renier ses origines, il se considère citoyen d’une nation formée de divers apports. Il évoque dans le film ce qui a déterminé son engagement militant. C’est d’abord la misère insoutenable dans laquelle le colonialisme avait jeté les « indigènes », comme les colons aimaient à désigner les Algériens de souche. Puis, le « combat contre le nazisme et le fascisme », quand les dirigeants nationalistes et les communistes avaient été jetés en prison par les autorités coloniales vichystes, parce qu’ils avaient refusé de jouer le jeu des nazis. Et enfin, son adhésion « naturelle » au Parti communiste algérien, qui était la seule formation politique qui accueillait les militants de toute origine. Ce parti a forgé sa conscience politique, ainsi que ses idéaux humanistes et de justice, mais l’avait « obscurci », selon lui, pour ce qui est de la question de l’indépendance de l’Algérie, une dimension qu’il trouvait bien claire chez les jeunes militants nationalistes, de sa génération, du Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques, de Messali Hadj, des militants auxquels l’unissait le fraternel combat anticolonial.
Il raconte son engagement dans la lutte indépendantiste, dès les jours suivant l’appel émancipateur du FLN de novembre 1954. Il faisait alors partie de l’Union des étudiants communistes à l’université d’Alger. Sa principale activité, à ce moment-là, avait été la mise sur pied, avec ses camarades de section, à Birkhadem, à la périphérie d’Alger, d’un laboratoire de fabrication de bombes destinées au FLN et aux combattants de la libération (branche armée du PCA). Arrêté en octobre 1956, torturé et emprisonné, il sera libéré à la veille de l’indépendance de son pays1. Les gens, en particulier les jeunes Algériens, ont tendance, selon lui, à oublier les horreurs du colonialisme qui a « bloqué le développement historique normal des sociétés » soumises à sa domination.
Pour autant, il ne dédouane pas les dirigeants du mal qu’ils ont fait à l’Algérie indépendante, à commencer par la guerre fratricide de l’été 1962. Il regrette aussi le départ massif des Algériens d’origine européenne et juive, qu’il considère comme un drame. « Ils n’ont cependant pas été chassés » a-t-il tenu à préciser. Il fait part de son espoir de voir s’établir entre la France et l’Algérie des relations sur une base d’égalité et de respect mutuel. Mais pour lui, celles-ci ne doivent pas occulter la « vérité historique » des méfaits du colonialisme qui doivent être reconnus par la France. « On a traduit en justice les criminels de guerre serbes, a-t-on jamais traduit en justice, s’interroge-t-il dans le documentaire, des militaires français de haut rang, qui ont pratiqué officiellement la torture sur des milliers d’Algériens ? »