par Germaine Lemétayer
Dans le foyer des abolitionnistes de l’esclavage issus des familles iréniques de Paray-le-Monial — un courant idéologique et religieux à l’écart des sectarismes issus des « guerres de religion » — Charles-Guillaume Vial d’Alais est le sixième qui s’engage en faveur de cette cause avant la Révolution, à la suite de Pierre Moreau (1621-1661), Louis de Jaucourt, Pierre-Samuel Dupont de Nemours, Charles Gravier de Vergennes et Jean-Claude Delaméthérie.
C’est en 1788, alors qu’en qualité de gouverneur intérimaire de la Guyane, il annote le mémoire annuel rédigé par l’ordonnateur Daniel Lescallier, que, dans la huitième observation concernant les mulâtres, Vial d’Alais met en cause à la fois la traite et l’esclavage:
« Je crois que si un jour la traite des nègres était défendue, et qu’ils [les colons) ne puissent plus compter sur des remplacements étrangers, ils porteraient plus d’attention sur ces objets, que l’état des nègres en deviendrait meilleur et que les maîtres ne feraient plus cet affreux calcul qu’un nègre qui a travaillé quatre à cinq ans est racheté et qu’il peut mourir quand il voudra… ». « Quel est l’homme d’honneur qui ne se soulèvera pas à l’idée révoltante que son enfant va être taché de l’ignominie de l’esclavage ? quel est l’homme honnête qui pourra penser que son propre sang coule dans les veines d’un enfant qui appartient à un maître qui peut le traiter avec la dernière barbarie, qu’il le verra fouetter tous les jours sous ses yeux, employer aux travaux les plus vils, et vendre enfin à qui bon lui semblera, peut-être même au domestique de son père ? » . Et il conclut : « le législateur ayant été forcé de tolérer l’esclavage n’a pu trouver de meilleur moyen de remédier aux abus les plus urgents qui en résultent […] Il n’y a que la sagesse du gouvernement qui pourra trouver les moyens de rendre un jour la liberté, ce bien précieux et si inaliénable à cette nation malheureuse que nous nous sommes asservie d’une manière si honteuse à l’humanité »[1].

Ainsi constatons-nous que, comme Pierre Moreau, Vial d’Alais définit l’esclavage comme une « barbarie » à laquelle il ajoute « l’ignominie » caractérisant trois de ses marqueurs : le fouet, le travail forcé le plus éprouvant et le commerce des êtres humains. Par contre, il se fonde sur le cas des mulâtres issus d’un blanc et d’une esclave noire que leur condition juridique d’esclave place dans la possibilité de devenir les esclaves d’un domestique de leur père pour dénoncer l’absurdité, au regard des liens du sang, d’une telle situation. Le troisième registre abolitionniste utilisé est celui des Lumières, la liberté présentée à la fois comme un droit naturel fondamental, « bien précieux et inaliénable », que la loi devra substituer au Code Noir. Notons que ce souhait, comme celui de Pierre Moreau, de Jaucourt, de Dupont de Nemours et de Delaméthérie, n’est assorti d’aucune condition.
Dans une lettre adressée au ministre le 27 janvier 1789, Vial d’Alais ajoute enfin un autre argument, d’ordre économique : confirmant par calcul que le travail servile est moins productif que le travail libre, à cause de la résistance opposée à l’esclavage sous forme de grève du zèle, il exprime la conviction que la liberté libérera les forces productives pour la mise en valeur du pays. Ajoutons qu’anticipant une telle situation et pour les protéger de la surexploitation par les blancs, il établit de fait un contrat de travail entre les indiens et les colons, garanti dans son exécution par deux témoins, le curé et un officier de milice par exemple[2].
La protection des nègres fugitifs réfugiés au Surinam
Dans le même rapport, concernant les 366 nègres « réfugiés » du Surinam, il propose d’établir un poste et une mission au bas du Maroni, afin de répondre à leurs besoins de protection et d’échanges commerciaux, l’objectif étant de les intégrer progressivement à la population; dans le même sens, il propose que la compagnie de chasseurs formée de soldats de couleur libres soit « payée et traitée sur le pied des troupes réglées ».
Enfin, en février 1793, en qualité de gouverneur, Vial témoigne de son attachement à la cause de l’abolition en répondant avec empressement la demande du maire de Cayenne, pour faire exécuter l’affranchissement de la mulâtresse Jeanne au regard d’un testament daté de 1776. Alors en prise à de très nombreuses difficultés, il prend néanmoins le temps d’écrire au maire :
« Je m’empresse de faire passer à la municipalité toutes les pièces nécessaires à ce que l’acte d’affranchissement de la mulâtresse Jeanne soit passé sans délai. Ce n’est pas vous, citoyens, qu’il fut presser de hâter une justice si fort en retard pour cette intéressante personne. C’est à vous qu’elle devra son bonheur. Vous avez été ses protecteurs. Heureux si j’ai quelque part à une si bonne œuvre, j’aurai au moins celle de n’avoir pas perdu une minute à la faire jouir d’un droit sacré qui lui est si bien acquis. Elle aura encore besoin de votre soutien et j’espère que vous ne l’abandonnerez pas »[3]
Issu d’une famille protestante et irénique
Qui était Charles-Guillaume Vial d’Alais ? Né en 1749 à Paray-le-Monial, il compte parmi les descendants de la famille Gravier, à la fois fondatrice du protestantisme et de l’irénisme dans la ville aux XVIe et XVIIe siècles. Commençant sa carrière militaire chez les mousquetaires, il s’engage en 1780 dans le bataillon des fusiliers volontaires de Lauzun pour participer à la guerre d’Amérique. Orienté vers la reconquête de la Guyane hollandaise occupée par les Anglais, il est affecté en juin 1785 en Guyane française comme commandant-major du bataillon de Guyane et commandant en second de la colonie ; mais à la mort du gouverneur en octobre 1788, il est désigné gouverneur intérimaire jusqu’en juin 1789. En 1792, la Législative insiste pour qu’il reprenne du service, eu égard à ses qualités de conciliateur, pour réaliser la réforme administrative de la colonie et les élections de décembre où pour la première fois, voteront les noirs libres, première étape vers l’abolition de l’esclavage.
Engloutie depuis plus de deux siècles par la censure radicale opérée par le révisionnisme historique des jésuites, la mémoire de Charles-Guillaume Vial d’Alais a été mise à l’honneur par la section de la Ligue des droits de l’Homme de Paray-le-Monial : une première fois, par une exposition, en mai 2023, en présence de Gilles Manceron, co-animateur du Groupe de travail Mémoire-Histoire-Archives de la LDH et enfin, le 30 mai 2025, avec l’apposition d’une plaque commémorative en présence de Monsieur Franck Charlier, conseiller régional. Un ouvrage sera publié en fin d’année.

Inauguration de la plaque commémorative, 28, rue de la Paix, à Paray-le-Monial (30.5.2025). Au centre, Monsieur Franck Charlier, à droite, Madame Raymonde Tagand, secrétaire de la section LDH Paray.
[1] ANOM, C14, 63, F262-289
[2] ANOM C14 63, F 3-6
[3] AT Guyane, L69, Lettre de Vial d’Alais, février 1793.