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Édition du 1er au 15 octobre 2024
Abdelkader Rahmani, école des officiers de Bou Saada, 1944.

Abdelkader Rahmani, officier FSNA – Français de souche nord-africaine – de l’armée française

Après avoir participé à la libération de la France, Abdelkader Rahmani s'engage dans l'armée française. Au printemps 1957, il est embastillé pour avoir officiellement demandé à ne pas avoir à se battre contre ses frères qui luttaient pour l'indépendance de leur pays.Il occupe une cellule dans laquelle le général de Bollardière, seul officier supérieur à avoir condamné ouvertement la torture, lui succédera. Après différentes péripéties, l'armée le place, le 2 février 1959, dans la position de non-activité par retrait d’emploi. Il y sera maintenu plus de quinze ans. Sa carrière brisée ne sera jamais reconstituée, contrairement à celles des putschistes qui avaient tourné leurs armes contre la République, et qui ont pu bénéficier de la loi d'amnistie du 3 décembre 1982.
Aucune indemnité ne lui sera versée, contrairement aux activistes de l'OAS qui ont bénéficié de l'article 13 de la loi du 23 février 2005. Ci-dessous, la reprise d'un article d'Hélène Bracco publié dans le n°159, juillet-septembre 2009, de la revue Gavroche1.

« Depuis 1848, les musulmans d’Algérie étaient français – formellement. Pratiquement, ils étaient soumis au code de l’Indigénat et avaient une nationalité dégradée, dénaturée. Pour devenir pleinement français, ils devaient d’ailleurs en passer par une naturalisation : entre 1865 et 1962, seuls 7 000 d’entre eux sont devenus ainsi français ! Et pourtant on leur tenait le discours sur la République, l’égalité et la fraternité.

Patrick Weil1

Abdelkader Rahmani, école des officiers de Bou Saada, 1944.
Abdelkader Rahmani, école des officiers de Bou Saada, 1944.


La sanction pour refus de servir est différente selon qu’il s’agit d’un soldat du contingent ou d’un militaire de carrière. Le soldat du contingent fournit pendant un certain temps une prestation de service exigée par la loi. Il est un agent mobilisé par la nation pour accomplir une certaine action dont l’État est juge. Son refus de servir est un acte plus grave parce qu’il est un manquement à un principe fondamental, celui de l’obéissance due à la loi.

L’officier de carrière est lié à l’État par un engagement libre et révocable et peut rompre son contrat s’il estime que ce qui lui est commandé répugne à sa conscience civique ou morale.

CONTEXTE

Le 1er mars 1957, un officier de l’armée française sort de forteresse, en transit pour la prison de Fresnes. Il vient d’être inculpé d’entreprise de démoralisation de l’armée. Il s’est rendu coupable d’avoir écrit au président de la République, René Coty, pour lui offrir ses services de médiation entre l’armée française et le peuple algérien, en vue de faire cesser la guerre. À sa boutonnière, la Légion d’honneur, acquise sur les champs de bataille. Aux poignets, les menottes. « J’échouai au fort Saint-Denis, écrira-t-il, dans la cellule où le général de Bollardière m’a succédé. Une bonne poignée de mains entre huit gendarmes, dont quatre pour moi qui m’emmenaient à Fresnes enchaîné, et quatre pour lui… Or, la mise des menottes est formellement interdite en cas d’arrêts de forteresse. »

Mais cet officier est soumis à un traitement de faveur… Car lui, il est algérien ! L’histoire de ce refus, il l’écrira dans un livre paru au Seuil en 1959, saisi dès sa sortie : L’affaire des officiers algériens2. Le 25 janvier 1959, L’Express commente : « Ce petit livre a fait dans les états-majors parisiens l’effet d’une bombe…»

Il avait pourtant choisi l’armée par idéal, dans l’espoir de démontrer la valeur des Algériens, et d’amener à briser l’exclusion qui les frappait au sein de cette même armée. De la montagne kabyle « Tidelsine » du cap Aokas, il est issu d’une grande famille maraboutique. Son père est docteur ès lettres, professeur de français. Quand il pose son acte de refus, en 1956, il a derrière lui une longue carrière militaire jalonnée de discriminations qui frappent les officiers « indigènes »: « En 1939-45, mes frères et moi-même étions sous l’uniforme français contre Hitler. Mes frères ont été démobilisés, moi j’ai, fait carrière… »

« Au lendemain du débarquement allié en Afrique du Nord, j’ai été versé dans l’armée corps franc au grade de brigadier, et nommé instructeur au cours des élèves aspirants à Saint-Cyr de Cherchell. J’ai été cassé parce que j’étais algérien : il était interdit à un Algérien d’instruire ou de commander un Européen. »

« Du fait de mon origine algérienne, un cycle d’études initialement de deux ans en temps de guerre fut prolongé, sans autre motif de deux ans, soit : quatre ans d’école, donc deux ans de grade soustraits. À la sortie, je fus promu, par décret du 20 octobre 1948, sous-lieutenant nord-africain de réserve. À cet effet, j’ai été contraint de renoncer à ma nationalité française, accordée en 1944 par le général de Gaulle, pour ne pas perdre mon grade, qui fut alors octroyé au titre de « Nord-africain »… »

En 1948, il intègre, avec trois autres Nord-africains, l’école des officiers de l’arme blindée et de cavalerie de Saumur, interdite alors aux indigènes. Une note de service du 19 octobre 1948 les informe de l’autorisation «enfin arrivée » de porter le képi, interdit aux officiers d’origine nord-africaine.

« Ma promotion légale et automatique au grade de lieutenant aurait dû se faire le 20 octobre 1950. Elle n’eut lieu que le 1″ janvier 1952, par une discrimination notoire qui me fut imposée, sans aucune autre issue.

Je suis le seul et le premier officier à avoir fait la Corée en tant qu’officier de l’ONU. La France refusait l’accès des Nations Unies aux officiers indigènes de ses colonies. Je me suis battu, j’ai réussi.

La Légion d’honneur me fut octroyée en 1956, sous la rubrique « Militaire servant sous statut spécial », alors que le décret du 13 décembre 1950 du JO n° 296, p 12785 est formel :
“Admis dans les cadres français avec son grade et son ancienneté de grade à compter du 1″ janvier 1950.” Il est d’autant plus inconcevable que six ans plus tard je fusse classé « sous statut spécial indigène ». »

En 1954, c’est le déclenchement de la révolution algérienne. « J’ai proposé au haut commandement de donner aux soldats et aux cadres des cours d’initiation aux moeurs, coutumes et religions nord-africaines. Je voulais éviter une guerre d’ignorants. Ce fut en vain. »

LE TEMPS DE LA RÉVOLTE

En 1956, il est au Liban au moment ou le cours de l’Histoire se précise : « Guy Mollet conspué en Algérie, l’arraisonnement de l’avion de Ben Bella, Suez, la « pacification » en Algérie… Dès lors, je refusai de prêter mon concours à un système voué à l’échec, et qui, en outre, portait atteinte à ma dignité et à celle de mes compatriotes… C’est là que j’ai basculé. »

« Rappelé en France lors des événements de Suez, mon devoir m’appelait à Paris. J’ai été contraint de me séparer pour un temps de ma femme française, avec son accord, car elle a aussi souffert de l’injustice et du racisme, et de mes quatre enfants. Une courte halte à Istanbul pour méditer, réfléchir, mettre sur pied mon plan d’action. Plutôt que de déserter, si facile et à ma portée au Liban, j’ai décidé d’entrer en désobéissance avec mon grade et l’uniforme français. »

La guerre d’Algérie est à son paroxysme. « Notre pays mis à feu et à sang, est-ce servir que de se taire ? Dès l’instant que nos chefs apparaissaient impuissants ou complices de cette déshonorante déchéance, n’avions-nous pas le droit d’en référer au premier magistrat de la République, chef suprême des forces armées? »

Il entraîne dans son action cinquante-deux officiers algériens.

En janvier 1957, ils décident d’écrire au président de la République :

«Monsieur le Président de la République,

À l’issue de différentes rencontres, l’ensemble des officiers algériens en activité au sein de l’Armée française ont convenu de porter à la connaissance de M. le Président de la République le cas de conscience dans lequel les place la politique actuelle menée en Algérie… Nous avons rempli notre devoir de soldats sur tous les fronts où la France nous envoyait la défendre… Des officiers algériens continuent à servir la cause française face à leurs compatriotes, peut-être même à leurs parents, et tombent au service de la France en Algérie…

En notre âme et conscience, la seule solution est une orientation vers un règlement politique, dénué de toute violence. ce qui permettrait d’engager une conversation immédiate et loyale entre les représentants des deux communautés…

Nous demandons en outre au chef suprême de l’Armée de trouver une issue honorable au cas de conscience posé à la corporation des officiers algériens, tant que les événements présents séviront.
»

« Pour la première fois, par le contenu de cette lettre, nous revendiquions, de facto, notre titre d’officiers algériens. » « Nous ne pouvons plus supporter que nos parents soient massacrés par des hommes portant un uniforme qui est aussi le nôtre. Nous représentons les officiers algériens et nous savons qu’ils vont, contre leur gré, combattre leurs frères. Nous avons le courage et l’honnêteté d’en informer la France avant qu’il ne soit trop tard. »

Une fois la lettre remise au président de la République, il porte la copie aux divers sommets de l’État.

En prison

Début mars, il est sous les verrous, inculpé d’une « entreprise de démoralisation de l’armée ». Cette inculpation tombe sous le coup de l’article 76 du code militaire qui prévoit une peine de réclusion, régime pénitentiaire extrêmement pénible. Le 28 mars 1957, il est incarcéré à Fresnes, après vingt-huit jours d’arrêts de forteresse.

En liberté provisoire, et assigné à résidence

En mai, au terme de sa punition, le service psychologique de M. Bourgès-Maunoury l’affecte, pour l’éloigner de Paris et de ses amis, au centre d’instruction des parachutistes de Castres comme instructeur de recrues qui, trois mois plus tard, rejoindront le 13e dragon, unité implantée en Kabylie, sa province natale… « J’instruis des hommes qui vont tuer mes frères de sang, saccager ma province… Peut-on refuser à un Algérien d’avoir un drame de conscience ? »

Sans nouvelles des autres officiers algériens, seul face à ce drame de conscience, il trouve quelque réconfort : « Je devais passer à la fameuse « corvée de bois ». J’ai été sauvé par le curé de Castres, le journaliste du journal Le Monde, Claude Julien, qui était en vacances, et le directeur fondateur de ce même journal, Hubert Beuve-Méry. » Le soir même, sa présence fut révélée dans le journal. Il est ensuite envoyé en résidence surveillée en Aveyron, au lieu-dit La Cavalerie.

Grâce à une permission de cinq jours à Paris, il reprend contact avec les autorités politiques et renouvelle ses propositions de médiation. M. Guy Mollet lui fait savoir qu’il accepte de détacher quelques-uns des officiers algériens dans les ambassades françaises de Tunisie et du Maroc, pour leur permettre de contacter le FLN. Ce qu’il appelle « la mission des officiers algériens ». Mais le gouvernement Mollet tombe, remplacé par celui de M. BourgèsMaunoury.
Le 18 juin 1957, au nom de ses camarades, le lieutenant Rahmani lance, par une très longue lettre, un appel au général de Gaulle. Début août, sans nouvelles, ils se considèrent déliés de leur engagement.

LE TEMPS DU REFUS

En septembre 1957, ils annoncent leur démission au président de la République

« Monsieur le Président de la République,

Officiers démissionnaires de l’Armée française, nous désirons porter à votre connaissance les motifs qui nous ont poussés à cet acte.

[…] En huit mois, aucune solution n’a été apportée au cas de conscience que pose notre situation dramatique d’Algériens et de soldats. Bien au contraire, des arrestations, des arrêts de forteresse, des emprisonnements ont été les seules réponses que nous a values notre attitude […] Pour nous empêcher de nous regrouper, nous avons été dispersés dans les garnisons les plus lointaines et régulièrement les bataillons nord-africains et leurs cadres sont envoyés en Afrique du Nord pour combattre leurs frères de sang, au risque de détruire leur village natal, et peut-être même de mitrailler leurs femmes et leurs enfants.

[…] Puisqu’aucune suite n’a été donnée à notre démarche de janvier 1957, qu’aucune réponse n’a été apportée au problème pour lequel nous vous demandions une solution, nous avons tenu à vous exposer respectueusement les raisons qui nous rendent aujourd’hui démissionnaires de l’Armée française.

Jusqu’au dernier jour de notre appartenance à cette armée, nous resterons dans le cadre de la discipline militaire. Respectueux des formes et des modalités de notre règlement, chacun des signataires de cette lettre présente sa démission individuelle par la voie hiérarchique.

Veuillez agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de nos déférentes salutations.

Les officiers algériens signataires de la lettre de janvier 1957. »

Ils espèrent ainsi, déliés de leur engagement militaire, pouvoir mener à bien leur mission : renouveler leurs offres de médiation entre le gouvernement français et le FLN, et, en cas d’échec, alerter l’opinion sur le tragique de la situation et sur l’échec de leur tentative. L’un d’eux, « par crainte ou loyauté, ou par réflexe militaire », s’était confié à son colonel avant l’envoi de la lettre, entraînant le processus hiérarchique, policier et militaire. Cinq des cinquante-deux officiers désertent et rejoignent le FLN à Tunis.

De nouveau en prison

Le lieutenant Rahmani est de nouveau aux arrêts de forteresse au fort d’Albi, du 9 au 18 septembre 1957, « enfermé dans un grenier d’une repoussante saleté ». Le 19 septembre 1957, il est écroué à Fresnes, au régime de droit commun, avec quelques-uns de ses camarades, dont on l’isole. Bourgès-Maunoury a succédé à Guy Mollet. Il présente une fois encore ses offres de mission. Ses camarades libérés, non sans essai de compromission, il est jeté dans une oubliette. Seul face à lui-même, il choisit la forme d’action la plus solitaire : celle d’écrire. L’hebdomadaire Témoignage Chrétien commence alors à publier son journal de prison. D’autres suivent : La Croix, France-Observateur, L’Express, Le Monde…, alertent l’opinion. Des lettres arrivent à la prison.

« Le 3 juin 1958 de Gaulle est élu : Michel Debré, André Malraux, la presse, les télévisions annonçaient ma libération. L’ordre ne fut pas exécuté. Je suis resté dans ma cellule jusqu’au 27 novembre 1958. » Après maintes tractations entre la justice, l’armée, le ministre de l’Intérieur et celui des Forces Armées, grâce à une formidable mobilisation médiatique et à l’intervention des plus hautes personnalités, il est conduit à nouveau en résidence surveillée au couvent des jésuites de Clamart.

LE TEMPS DE LA LIBÉRATION

La répression continue, et le combat aussi

En date du 2 février 1959, le ministère des Armées le place, par mesure disciplinaire, dans la position de non-activité par retrait d’emploi.
Entre 1959 et 1962, il est délégué général de la librairie Hachette – Nouvelles Messageries de la Presse Parisienne, dont il sera en Algérie le directeur général.

L’indépendance de l’Algérie le trouve au maquis kabyle. Il lutte contre l’arabisation et pour la défense de la langue française, ce qui lui vaut la prison et la résidence surveillée. En 1966, il est de retour en France. La création de l’Académie berbère lui attire en 1967 la condamnation à mort par contumace. Il obtient de nouveau la nationalité française que le gouvernement lui avait fait rejeter en 1948 au moment de sa promotion au grade de sous-lieutenant.

CONSÉQUENCES DU REFUS

Répression dans son emploi et sa carrière

« Je dois dire tout d’abord que j’ai été maintenu en prison illégalement, sans aucun jugement ni condamnation juridique. Mes avocats et moi-même avons écrit à Guy Mollet que nous réclamions à être traduits devant les tribunaux. « Si on fait passer Rahmani devant le tribunal, a- t-il répondu, ce n’est pas lui qui sera condamné, mais la France ! » »

Le 2 février 1959, après sa sortie de prison, il est placé dans la position de non-activité par retrait d’emploi. Il tombe sous le coup de la réglementation de la loi du 19 mai 1834, selon laquelle « les officiers pouvaient être maintenus en non-activité aussi longtemps que le ministre le jugeait utile dans l’intérêt de la discipline et de l’armée. » « J’ai été maintenu dans cette position pendant quinze ans, huit mois et cinq jours sans aucun motif », écrit-il en janvier 1975 lors d’une requête pour reconstitution de carrière au ministre de la Défense.

Le 13 juillet 1972, le décret n° 72-662 limite à trois ans la durée maximale de cette position (article 49). Il devient applicable en 1974, et le choix est alors proposé au lieutenant Rahmani de réintégrer l’armée ou de la quitter. Il choisit la réintégration. Il pense alors pouvoir légitimement bénéficier d’une reconstitution de carrière. Or, la note confidentielle du ministère de la Défense n° 16374 du 11 octobre 1974 décide d’une modification de prise de rang du lieutenant Rahmani: « Compte tenu du temps passé par cet officier dans la position de non-activité par retrait d’emploi, soit quinze ans, huit mois et cinq jours, sa prise de rang dans le grade de Lieutenant est fixée au 5 septembre 1967, et il sera classé sur la liste générale d’ancienneté des Lieutenants de l’arme Blindée et Cavalerie à cette même date… » (archives privées de Monsieur Rahmani).

« Ce qui était illégal, souligne aujourd’hui Monsieur Rahmani. Un grade est acquis définitivement et ne peut être ni manipulé, ni reporté à une date ultérieure. Seule la Haute Cour ou une autre grande instance de Justice peut prononcer sa destitution. » Rappelons qu’il avait été promu lieutenant en janvier 1952.

Le 1er janvier 1975 il est promu capitaine, ce qui aurait dû se faire en 1955 par promotion automatique. Il va avoir cinquante-deux ans, et c’est la date limite pour la retraite, ce qui le prive de la possibilité d’accomplir les six mois d’ancienneté effective pour bénéficier d’une retraite de capitaine. « Le préjudice que je subis est énorme, écrit-il à son avocat, car mon grade, dans les circonstances actuelles, aurait été celui de général de brigade, ou tout au moins, de colonel au dernier échelon. C’est-à-dire en passe de promotion automatique au grade de général. » « Ainsi, après trente-trois années de présence dans l’armée, je me retire avec ma seule et maigre retraite de lieutenant, sans aucune réparation de tous les préjudices qui m’ont été causés, matériellement et moralement, et ce, sans avoir été traduit devant un tribunal », s’insurge encore le capitaine Rahmani.

Dans sa requête au Conseil d’État datée du 27 janvier 1975, il ajoute à la liste des préjudices subis la suppression de ses émoluments et de ses allocations durant son internement, alors qu’il n’y eut jamais de condamnation, ni même de procès, ainsi que la déchéance de sa pension d’invalidité et de sa solde de non-activité pendant plusieurs années. Or, le Journal Officiel du 14 juillet 1972 précise que pendant le temps passé en non-activité par retrait d’emploi, le militaire « a droit aux deux cinquièmes de la solde. Il continue de percevoir la totalité des suppléments pour charge de famille. » De plus, lorsque aucune décision n’est intervenue à expiration d’un délai de quatre mois, « l’intéressé reçoit à nouveau l’intégralité de sa rémunération, sauf s’il est l’objet de poursuites pénales… En outre, il a droit au remboursement des retenues opérées sur sa rémunération. »

Le Conseil d’État objecte que la solde de non-activité lui aurait été suspendue du fait qu’il se serait établi au Maroc au début de l’année 1960 « sans avoir demandé l’autorisation de changer de résidence ». Maître Bouloche, avocat d’Abdelkader Rahmani, verse au dossier les preuves que « le séjour de l’exposant en un lieu autre que celui fixé pour sa résidence a été motivé par la mission qui lui a été régulièrement donnée par le gouvernement français en vue d’établir des contacts avec les rebelles algériens… Les mesures prises à son endroit ne tiennent aucun compte qu’il s’est trouvé placé pendant de nombreuses années, apparemment en rupture avec son administration, mais effectivement en mission confiée aux plus hauts niveaux de l’État. » (document 99.941, archives privées de Monsieur Rahmani).
Le 30 décembre 1975, le Conseil d’État statue que « les griefs formulés par le Sieur Rahmani ne sont nullement justifiés. L’intéressé n’est dès lors fondé à prétendre ni à la reconstitution de sa carrière ni au versement d’une indemnité » (archives privées de Monsieur Rahmani).
Le 27 janvier 1977, le Conseil d’État confirme le rejet de la requête du capitaine Rahmani.
« Je n’ai eu à ce jour aucune compensation, aucune réparation salariale, aucune restitution de mes grades, ni indemnités, et encore moins de promotion, à l’inverse des officiers de la torture amnistiés, promus, généreusement gratifiés, pensionnés, blanchis. » écrit-il en 2003. […]

Hélène Bracco

  1. Voir 148, extrait de Patrick Weil, Qu’est-ce qu’un Français ?, Ed. Grasset 2002.
  2. L’affaire des officiers algériens, publié en 1959 aux éditions du Seuil, a été réédité en 2004 par les éditions Trois Mondes.
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