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Édition du 15 mai au 1er juin 2025

La prise de conscience lors des massacres du 8 mai 45 en Algérie, par Nils Andersson

Le 7 mai 2025, le Centre culturel algérien de Paris a commémoré les massacres du 8 mai 1945 dans le Nord-Constantinois, avec la participation de Mohammed El Korso, professeur des universités et historien, Nils Andersson, éditeur, écrivain et militant anticolonialiste, Alain Ruscio et Gilles Manceron, historiens, membres d’histoirecoloniale.net. Nous publions le texte de l’intervention de Nils Andersson, dont on peut lire le portrait ici.

Nils Andersson, Alain Ruscio, Gilles Manceron, Mohammed El Korso au CCA le 7 mai 2025

Chers amies et amis,

Sétif, Guelma et Kherrata, il y a une certitude, l’ampleur de la répression, son caractère génocidaire, mais il y a beaucoup à connaître et à apprendre des évènements de 1945 qui furent l’aube tragique de 1954.

Des Algériens, des Algériennes ont, depuis 1830, lutté et sont morts pour l’indépendance de l’Algérie, dans le cours long de ces luttes, les années 1940 revêtent une signification particulière, elles sont les années où la lutte de libération devient une question posée et à résoudre. Ce sont ces engagements militants que je voudrais évoquer.

La défaite française de 1940

En 1940, la défaite de la France a en Algérie une forte résonance, notamment dans les jeunes générations, c’est la prise de conscience que la puissance coloniale est vulnérable. Cette prise de conscience se constate concrètement, dans les faits. Quelques semaines après que la France a signé l’armistice avec l’Allemagne, un groupe d’étudiants, dont Mostefai Chawki, en contact avec Lamine Debaghine, envisagent de déclencher le 1er Octobre 1940 la lutte insurrectionnelle. Les conditions ne sont évidemment pas remplies.

Dans ce moment, Mouloud Mammeri, lui aussi étudiant à Alger, aurait projeté des attentats.

En 1941, les mouvements de révolte se multiplient en Kabylie, parmi les initiateurs, Ahmed Zerouali et Omar Boudaoud, qui dirigea plus tard la Fédération de France, ils sont arrêtés.

Le débarquement des alliés en 1942 active plus encore les volontés d’agir. A Blida, le groupe qui comprend Abane Ramdane, Benyoucef Ben Khedda, Saad Dahlab et M’Hamed Yazid, a projeté un soulèvement armé. Lamine Debaghine les en dissuade car les conditions ne sont toujours pas remplies. Pour ces militants et militantes, la question de la lutte de libération est un objectif concret, ces années sont leur école organisationnelle et politique, lors desquelles ils trempent leur convictions et l’esprit de sacrifice dont ils feront preuve.

Le 8 mai 1945, révélateur de la violence coloniale

Si 1940 fut la prise de conscience qu’il pouvait être mis fin à l’ordre colonial, le 8 mai 1945 va être le révélateur que, face à la violence coloniale, il n’y avait d’autres voies pour le peuple algérien que celle de la lutte armée. La sauvagerie de la répression, le traumatisme qui en est résulté dans la population, sont le fil conducteur qui conduit au 1er novembre 1954.

On cite souvent la lettre du général Duval, celui qui a dirigé la répression. Le 16 mai 1945, alors que les massacres se poursuivent, il écrit au gouvernement français : « Je vous ai donné dix ans de paix mais tout doit changer en Algérie… le calme n’est revenu qu’en surface. Depuis le 8 mai, un fossé s’est creusé entre les deux communautés. » Lettre lucide, prémonitoire, mais la suite mérite attention : le général Duval poursuit : « L’épreuve de force des agitateurs s’est terminée par un échec complet dû essentiellement au fait que le mouvement n’a pas été simultané… » Il ne fut pas entendu par les gouvernements français ni par le lobby colonial se refusant à toute évolution, mais le mouvement de libération a tiré les leçons de 1945 et le 1er novembre 1954, des opérations furent menées simultanément, dans une trentaine de lieux, sur tout le territoire algérien.

C’est le peuple algérien qui a libéré l’Algérie du colonialisme, la génération de militants et militantes des années 1940 en a été le fer de lance. Les 22, réunis au Clos Salembier le 24 juin 1954 qui décidèrent du déclenchement de la lutte de libération, en témoignent. Ils sont nés entre 1917 et 1927. Ils avaient en moyenne 17 ans en 1940, l’âge d’une prise de conscience politique : la puissance coloniale n’est pas invincible. Ils ont 22 ans en 1945, confrontés à l’abomination, ils apprennent que le colonialisme ne change pas de nature, la lutte armée est un objectif politique, ils ont 31 ans en 1954, ils sont la génération qui décide de la révolution.

D’où l’importance de connaître les problèmes posés et les réponses apportées par les militants et militantes qui ont alors écrit l’histoire dans le cours des événements. Qu’il s’agisse des manifestations du 1er mai 1945, où en tant que peuple, en tant que nation opprimée, les manifestants ont sorti et brandi le drapeau national. Qu’il s’agisse des manifestations du 8 Mai, portant la revendication de l’indépendance, de la libération de Messali Hadj et celles des prisonniers politiques. Qu’il s’agisse de l’ordre d’action de diversion dite « d’insurrection générale » pour la nuit du 23-24 mai 1945, afin de déconcentrer la répression sur les Aurès. Qu’il s’agisse du contre-ordre du 18 mai. [1]

Je voudrais citer à ce propos, un des acteurs, Chawki Mostefai : « Malgré la qualité des auteurs, leur professionnalisme ou leur expérience du mouvement national, les tenants et aboutissants des manifestations du 1er Mai 45, du 8 Mai, de ce qu’on a appelé l’ordre d’insurrection et du contre-ordre, n’ont pu être cernés avec toute la rigueur nécessaire. » Mohamed el Korso, ancien président de la Fondation du 8 mai 1945 y fait écho quand il écrit : « Toutes les révolutions du monde ont eu des points faibles et des moments forts. La nôtre n´a pas et ne pouvait échapper à cette règle… il ne faut pas avoir peur de les approcher, de les analyser, et au besoin, expliquer les différents facteurs ayant conduit à cela. » Ce « à cela », dont parle Mohamed el Korso, c’est le 5 juillet 1962, l’Algérie est indépendante.

Nils Andersson

[1] Note d’histoirecoloniale.net : Selon Charles-Robert Ageron, surprise par le tour pris par les manifestations du 8 mai à Sétif et Guelma, la direction du PPA décréta peu après une insurrection générale armée dans toute l’Algérie pour la nuit du 23 au 24 mai, puis, au vu de la gravité de la répression en cours, l’annula le 18 mai. Voir toute l’étude très riche de Charles-Robert Ageron : « Les troubles du Nord-Constantinois en mai 1945 : une tentative insurrectionnelle ? », in Vingtième siècle. Revue d’histoire, année 1984, 4, p. 23-28.


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