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Édition du 15 novembre au 1er décembre 2024

Premier novembre : l’Algérie libère un journaliste emprisonné, la France reconnait l’assassinat de Ben M’hidi (communiqué de l’AJMA)

Un communiqué de l’Association Josette et Maurice Audin (AJMA)

Paris, le 9 novembre 2024


Enfin !


Le 1er novembre a été marqué par deux annonces importantes, en France et en Algérie, à l’initiative des présidents algérien et français. La date est symbolique : le jour anniversaire du soulèvement algérien pour l’indépendance, le 1er novembre 1954. Ces événements étaient espérés depuis longtemps par toutes celles et tous ceux qui, à l’AJMA et ailleurs, luttent pour les droits humains et les libertés, contre la répression et pour la reconnaissance des crimes commis au nom de l’État pendant la période coloniale.

À Alger, le président Tebboune a gracié et fait libérer plusieurs opposants et journalistes qui avaient été emprisonnés en raison de leur combat pour la liberté d’expression et leur soutien au mouvement du Hirak. Parmi eux figurait le journaliste Ihsane El Kadi, directeur de Radio M et de Maghreb émergent, incarcéré depuis presque deux ans. Celui-ci avait rencontré la délégation de l’Association Josette et Maurice Audin, conduite par Pierre Audin et Pierre Mansat, qui s’était rendue en Algérie en mai-juin 2022, à l’occasion du soixantième anniversaire de l’indépendance. Son arrestation avait provoqué une vague de protestations à laquelle l’AJMA s’était associée.

Nous nous réjouissons évidemment de cette décision et nous souhaitons qu’elle soit suivie d’autres actes en faveur de la liberté d’opinion et d’expression : par exemple il faut qu’Ihsane El Kadi et ses confrères puissent exercer librement leur travail de journalistes indépendants.

En France, dans un communiqué publié par l’Élysée, Emmanuel Macron a reconnu que Larbi Ben M’hidi, combattant pour l’indépendance algérienne, avait bien été assassiné par l’armée française en février 1957. Cette reconnaissance intervient enfin, après 67 ans de déni, au cours desquels l’armée et l’État ont soutenu, contre toute évidence, la thèse du suicide. Le général Aussaresses, tristement connu pour son rôle dans les tortures et assassinats commis par l’armée française pendant la guerre d’Algérie, avait lui-même revendiqué il y a plus de 20 ans l’exécution de Ben M’hidi. Le communiqué de l’Élysée est certes une bonne chose, mais il est bien tardif et bien timoré, n’assumant pas la responsabilité de l’État dans ce crime, attribué au seul Aussaresses. Il est donc très loin d’atteindre l’ambition affichée : « aboutir à la constitution d’une mémoire apaisée et partagée ». Quel contraste avec le geste d’une tout autre ampleur accompli le 13 septembre 2018 ! Le Président de la République s’était rendu en personne au domicile de Josette Audin et y avait reconnu non seulement la responsabilité de l’État dans l’enlèvement, la torture et l’exécution de Maurice Audin, mais aussi l’existence d’un « système appelé « arrestation-détention » » qui « a été le terreau malheureux d’actes parfois terribles, dont la torture ». Il répondait à la demande de vérité de Josette Audin, non seulement pour son mari mais aussi pour les innombrables disparus, victimes de la collusion politique, judiciaire et militaire qui avait été permise en Algérie par le vote des Pouvoirs Spéciaux (Cf. site 1000autres.org).

Cet acte solennel de 2018 pouvait laisser espérer un mouvement résolu de condamnation du système colonial et de ses crimes. Le « rapport Stora », remis le 20 janvier 2021 par l’historien à Emmanuel Macron, allait dans ce sens, en préconisant la création d’une commission mixte d’historiens et de personnalités françaises et algériennes, ainsi qu’une série de gestes mémoriels.


Larbi Ben M’hidi lors de son arrestation en 1957
Photo Marc Flament
Ihsane El Kadi et Pierre Audin sur Radio M le 24 janvier 2021

Il y eut en effet des signes positifs : reconnaissance en mars 2021 de l’exécution de l’avocat Ali Boumendjel par l’armée française (encore l’équipe d’Aussaresses) pendant la Bataille d’Alger ; condamnation du massacre perpétré le 17 octobre 1961 par la police française lors d’une manifestation pacifique d’algériens à Paris. Sur ce dernier point, le communiqué de l’Élysée réussissait l’exploit de ne pas utiliser une fois les mots « police » et « policier » et, comme dans le cas de Larbi Ben M’hidi, rejetait la responsabilité sur un seul homme (le préfet Maurice Papon). Ainsi, de 2018 à 2024, de Maurice Audin à Larbi Ben M’hidi, le moins que l’on puisse dire est que la reconnaissance est bien lente et bien partielle.

L’AJMA rappelle qu’elle fait partie des 24 associations qui, à l’initiative de Nils Andersson, plaident pour « la reconnaissance que la torture a été théorisée, enseignée, pratiquée, couverte et exportée par les gouvernements d’un État signataire des conventions de Genève ». Une tribune est parue dans Le Monde le 1er novembre et a été également signée par de nombreuses personnalités (Cf. http://appel4mars.fr/).

Les gestes positifs et simultanés des deux présidents répondent à des situations indépendantes l’une de l’autre. L’assassinat de Larbi Ben M’hidi, comme ceux de Maurice Audin et de Ali Boumendjel, regarde d’abord les Français, leur histoire coloniale et celle de leurs institutions politiques, judiciaires et militaires. La libération d’Ihsane El Kadi, elle, regarde d’abord les Algériens. Dans les deux cas, nous espérons d’autres signes allant dans le même sens.

La déclaration du Président de la République française, comme les gestes qui l’avaient précédée, n’a suscité en Algérie qu’indifférence ou réprobation. Des historiens estiment qu’il ne s’agit que d’un saupoudrage de gestes mémoriels visant à ménager à ménager l’électorat français de droite ou d’extrême droite, ainsi que les harkis et « rapatriés » d’Algérie après l’indépendance et leurs descendants, et dénoncent l’absence d’une critique globale du système colonial et raciste subi par la population algérienne pendant 132 ans. Beaucoup pensent aussi que la reconnaissance de l’assassinat de Ben M’hidi serait un gage donné par le président français à l’Algérie pour « compenser » ses déclarations favorables au Maroc sur le Sahara occidental.

Quand elle est entre les mains des politiques, l’histoire risque d’échapper aux citoyens. D’un côté comme de l’autre de la Méditerranée, l’expression de la vérité et de la justice ne peut être subordonnée à des considérations politiciennes. Le récit de l’histoire est du ressort des historiens, des journalistes et des témoins.


AJMA, c/o Ligue des Droits de L’Homme, 138 rue Marcadet, 75018 Paris


https://www.association-audin.fr

@Asso_Audin


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