Surnommé « Carburateur » en raison de son dynamisme et de son enthousiasme, « Hakim » (le sage) dans la clandestinité, Larbi ben M’hidi est l’un des héros tragiques de l’histoire du FLN. Sa mémoire est largement vénérée en Algérie, où toutes les villes ont une rue à son nom et où il est inhumé au Cimetière des Martyrs à Alger. Durant le Hirak algérien, on a vu son portrait brandi par les manifestants. Avec Abbane Ramdane, il incarne une orientation politique, celle du Congrès de la Soummam de 1956 qui préconisait « la primauté du politique sur le militaire et de l’intérieur sur l’extérieur ». Une orientation à laquelle des dirigeants du FLN/ALN étaient opposés et mirent fin, après la disparition de Ben M’hidi en mars 1957 et celle d’Abbane Ramdane, sur leur instigation, en décembre suivant.
Né en 1923 près d’Aïn M’Lila dans le Constantinois, Larbi Ben M’hidi est issu d’une famille de notables ruraux déclassés. Son parcours jusqu’à ce qu’il devienne en 1956 l’un des cinq dirigeants du FLN est typique de la génération de jeunes militants à l’origine de l’insurrection du 1er novembre 1954. Il adhère très jeune au nationalisme, d’abord au sein du mouvement des Scouts Musulmans et du Parti du Peuple Algérien (PPA, parti dirigé par Messali Hadj), puis après l’interdiction du PPA en 1946, au Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD). Il s’engage ensuite dans l’Organisation Spéciale (OS, bras armé clandestin du MTLD), ce qui lui vaut en 1950 une condamnation par défaut à 10 ans de prison. Désormais clandestin, il est envoyé en Oranie par le MTLD. Il participe à la fondation du Comité révolutionnaire d’unité et d’action (CRUA) et du « comité des 6 » qui lance l’insurrection du FLN le 1er novembre 1954.
Il commande d’abord la zone d’Oranie , future Wilaya 5. En août 1956, le Congrès de la Soummam le nomme au Comité de Coordination et d’Exécution (CCE), organe exécutif central du FLN. Il quitte alors l’Oranie pour Alger, où il est en charge de la Zone Autonome d’Alger (ZAA). A ce titre, il commande l’activité politique et militaire. Il supervise notamment Yacef Saadi, qui s’occupe de la branche armée, et assume la responsabilité d’attentats visant à plusieurs reprises à l’automne 1956 des civils réalisés par ce dernier et son « réseau bombes », en riposte aux exécutions de condamnés à mort et aux attentats des Européens ultras contre des civils algériens. On lui prête cette réponse au reproche d’avoir commis des attentats « terroristes » : « Donnez-nous vos avions et vos tanks, nous vous donnerons nos couffins » (où étaient cachées les bombes).
Avec les autres membres du CCE, Abbane Ramdane, Krim Belkacem, Saad Dahlab et Benyoucef Benkhedda, il met en œuvre les orientations décidées au Congrès de la Soummam, qui a opté pour une entrée en scène dans la lutte des masses algériennes urbaines jusqu’ici beaucoup moins mobilisées que le paysannat. En novembre 1956, sous l’impulsion toute particulière de Ben M’hidi, le CCE décide d’appeler toutes les villes d’Algérie et l’émigration en France à une grève générale anticoloniale d’une durée exceptionnellement longue de 8 jours, dans laquelle les syndicats nationalistes comme l’UGTA (Union Générale des Travailleurs Algériens) joueront un rôle déterminant. Selon certains témoins des débats qui eurent lieu au CCE, Ben M’hidi, témoignant ainsi d’une certaine euphorie à un moment où le FLN venait d’accumuler les succès politiques, aurait d’abord voulu une grève d’un mois entier.
L’annonce de cette grève, destinée à démontrer au monde le soutien dont dispose le FLN dans la population algérienne, décide le gouvernement de Guy Mollet, sur la base des « pouvoirs spéciaux » qu’il a obtenus en mars 1956 de l’ensemble des partis de la gauche, à militariser la répression pour éradiquer toute activité nationaliste dans la ville-vitrine de l’Algérie coloniale. La propagande française qualifie bientôt cette opération de « bataille d’Alger » contre « le terrorisme ». Début janvier 1957 commence dans l’Algérois une terreur militaro-policière de masse, visant des dizaines de milliers de « suspects » et incluant torture et exécutions sommaires.
Particulièrement traqué comme tous les membres du CCE qui se cachent à Alger, Larbi Ben Mhidi en est bientôt victime à son tour. Il est arrêté le 23 février 1957, longuement interrogé, en vain, et, sans doute le 3 mars, il est confié sur ordre de sa hiérarchie – soit les généraux Salan et Massu – par le colonel Marcel Bigeard au lieutenant Paul Aussaresses. Ce dernier dirige alors un véritable escadron de la mort en lien avec le général Massu et le ministre Robert Lacoste, qui contrôlent ses activités.
Comme il l’avoua dans un livre en 2001, Aussaresses et ses hommes exécutent Ben M’hidi, dans la nuit du 3 au 4 mars, semble-t-il par pendaison, dans l’une des maisons d’une ferme coloniale prêtée à l’armée par le colon ultra Robert Martel, à Djebli dans la Mitidja. Un faux procès-verbal de « suicide » est ensuite rédigé pour maquiller cette exécution extra-judiciaire, comme cela sera fait quelques jours plus tard pour l’avocat Ali Boumendjel et aussi pour bien d’autres. Dans ses Mémoires, Marcel Bigeard, qui commanda de nombreuses exécution sommaires identiques, affirmera pour soigner son image de « soldat d’honneur » avoir fait présenter les armes au « valeureux » Ben M’hidi, qu’il allait néanmoins livrer à Aussaresses en toute connaissance de cause.
L’arrestation et la mort de Ben M’hidi sont un coup très dur pour le FLN d’Alger. Elles ont aussi d’importantes conséquences sur le devenir du FLN tout entier. Dans les jours qui suivent, les quatre membres restant du CCE de 1956-1957 fuient Alger, puis s’exilent en Tunisie et au Maroc. La répression ultra-violente de la grève des 8 jours a défait politiquement la ligne défendue par Larbi Ben M’hidi et Abbane Ramdane au sein du FLN, ce qui n’est pas pour déplaire à certains de leurs rivaux dans le Front. Ce dernier, écrit Mohammed Harbi, se trouve désormais « prisonnier du paradigme de la lutte armée ». En décembre 1957, Abbane Ramdane est à son tour assassiné, par des membres du FLN, dans un coup monté part trois chefs de Willayas, Lakhdar Bentobbal, Abdelhafid Boussouf et Krim Belkacem, avec l’appui d’autres dirigeants installés au Caire et à Tunis. Sa mort sera présentée en 1958 par ces derniers et pendant près de vingt ans par le pouvoir dans l’Algérie indépendante comme due à l’armée française.
Dès lors, c’en est fini de la « primauté du politique sur le militaire et de l’intérieur sur l’extérieur », même si à certains moments, comme lors des manifestations urbaines massives du 9 au 11 décembre 1960 en Algérie et celle du 17 octobre 1961 en France, les mobilisations populaires ont joué un rôle important. Et si, jusqu’aux Accords d’Evian de mars 1962, le combat, notamment diplomatique, mené par certains éléments du GPRA a été un facteur important de la victoire finale.
Fabrice Riceputi