La statue du général Bigeard, en tenue de « para », érigée le 24 octobre 2024 à Toul
Notre site s’était élevé contre ce projet. A l’heure où en France et dans le monde on remet en cause la célébration de figures de l’esclavagisme et du colonialisme dans l’espace public, la ville de Toul, dont le maire est ancien membre du PS, projetait quant à elle d’ériger une statue géante, œuvre d’un sculpteur d’extrême droite, en l’honneur de Marcel Bigeard, natif de cette ville. En dépit de l’action d’un collectif local d’opposants à ce projet et de nombreuses protestations, cette statue a été érigée le 24 octobre 2024 dans un parc de la ville.
Rappelons à nouveau que Marcel Bigeard est, avec Jacques Massu et Paul Aussaresses, l’un des principaux symboles des exactions commises en Indochine et en Algérie par l’armée françaises, dont la torture et les exécutions sommaires. Bigeard a enseigné la torture par simulation de noyade et à l’électricité au Centre Jeanne d’Arc à Philippeville, l’a couverte, revendiquée et ne l’a jamais regrettée, contrairement à Massu. Le régiment commandé par Bigeard, le 3eme RPC, est, selon une archive de l’armée, celui des régiments parachutistes qui déclara le plus de morts de détenus par « suicide » ou « tentative d’évasion », mentions dont les historiens savent qu’elles cachent des morts sous la torture ou par exécutions sommaires. Enfin, il a donné son nom à une méthode d’exécution sommaire avec disparition du corps – qu’on appellera plus tard les « vols de la mort » en Argentine -: « les crevettes Bigeard », expression désignant les « suspects » jetés lestés d’un hélicoptère dans la mer, dont certains s’échouaient sur les plages d’Algérie.
Il faudrait élever une statue à Paul Teitgen, le haut-fonctionnaire qui osa s’opposer à la torture à Alger en 1957, écrivait Alexi Jenni dans L’art français de la guerre en 2011. En 2024, on en élève une au tortionnaire auxquels il s’opposait.
L’Association histoire coloniale et postcoloniale a publié le 24 octobre 2024 communiqué suivant, publié notamment par L’Humanité :
« Ainsi, ils ont osé. Malgré une mobilisation citoyenne – argumentée – d’une rare intensité, la municipalité de Toul, appuyée sur tout ce que la « nostalgérie » compte encore de défenseurs acharnés, est passée à l’acte. Ce matin 24 octobre, une statue de Marcel Bigeard en tenue de para, le regard fièrement fixé sur l’horizon, en mâle conquérant, vient d’être posée sur son socle, au cœur de la ville.
Le prétexte de cet hommage tardif ? Bigeard, natif de la ville, est présenté comme une « gloire » locale. Et alors, pourrait-on répliquer, « être né quelque part » ne donne strictement aucun droit à un quelconque hommage.
Le maire de Toul joue-t-il sur la capacité d’oubli des Français ? Ou bien est-il lui-même ignorant en Histoire ? Il faut lui rappeler alors qui fut cet officier français, engagé dans deux aventures coloniales, Indochine et Algérie, meurtrières pour les populations concernées, mais aussi traumatisantes pour ceux des Français qui y furent jetés, catastrophiques presque vingt ans durant pour la renommée de la France.
Donc, rappeler, rappeler encore ce que fut, ce que fit Bigeard : un tortionnaire, dénoncé comme tel durant ces deux guerres, preuves incontestables à l’appui, un homme qui organisa et couvrit de son autorité des tortures, des assassinats (le peuple algérien n’a pas oublié les « crevettes Bigeard », ces patriotes précipités du haut des hélicoptères dans la Méditerranée), plus tard un politicien qui usa et abusa de la notion de « race blanche ».
L’obstination de la municipalité de Toul rencontrera la nôtre. C’est désormais une protestation nationale qu’il faut mettre en place, assortie de nouvelles rencontres d’information. Tous les citoyens épris de justice – et de vérité historique – doivent élever le ton. Et, pourquoi pas, aller vers une manifestation d’ampleur nationale. »