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Édition du 15 octobre au 1er novembre 2024

Le Pen tortionnaire : Philippe Collin et France inter persistent dans la diffusion de contre-vérités historiques

L'affirmation selon laquelle "on ne peut pas prouver" que Le Pen a torturé à Alger, dans un podcast de France inter, nie le travail des journalistes et des historiens.

Dans un long portrait particulièrement élogieux publié en septembre 2024 et intitulé « Le journaliste Philippe Collin, le sens de l’histoire », le magazine « M Le Mag » du journal Le Monde évoque, sous le sous-titre « une prudence qui fait polémique », une série qui « a posé problème » : « celle intitulée “Jean-Marie Le Pen, l’obsession nationale”, livrée en février 2023 ». La journaliste Virginie Bloch-Lainé rappelle que « dans le deuxième épisode, reprenant les propos de l’historien Benjamin Stora, Philippe Collin dit que le soldat Le Pen n’a sans doute pas pratiqué la torture en Algérie” ». Elle ajoute : « Les preuves manquent pour affirmer le contraire et le producteur veut éviter la diffamation. Sur X, les historiens Fabrice Riceputi et André Loez reprochent avec virulence à Philippe Collin de “déformer l’histoire”. La polémique prend de l’ampleur. Ils l’accusent de tenir “une posture négationniste”, rien de moins. »

Précisons que l’affirmation de Collin selon laquelle « Le Pen n’a sans doute pas » torturé en Algérie faisait suite à celle de l’historien Benjamin Stora qu’on entend dire : « En fait, Jean-Marie Le Pen, à ma connaissance, quitte l’Algérie au moment où commence la bataille d’Alger. Et c’est surtout pendant la bataille d’Alger, sous la conduite de Robert Lacoste et du général Massu, bien sûr, que va s’organiser la plus terrible des batailles où sera pratiquée la torture en Algérie. Donc, à ce moment-là, à ma connaissance, Jean-Marie Le Pen n’est pas en Algérie. »

Il s’agissait-là d’une erreur factuelle évidente : Le Pen est à Alger durant les trois premiers mois de la « bataille d’Alger », toutes ses biographies l’indiquent et lui-même s’en vante abondamment dans ses mémoires. Une erreur que l’historien a depuis honnêtement reconnue, en janvier 2024, dans un entretien donné à la revue « France-Algérie actualité » sur les dates de sa présence à Alger au début de 1957 comme sur ses actes : « Sur cette cruelle question de la torture, l’historien a fait son mea-culpa concernant l’implication de Jean-Marie Le Pen. […] “C’est une erreur, Le Pen a bien pratiqué la torture en Algérie”, a-t-il simplement reconnu. »

En janvier 2024, l’historien Fabrice Riceputi a publié Le Pen et la torture, Alger 1957, l’histoire contre l’oubli, ouvrage dans lequel il montre que les activités tortionnaires de Le Pen sont surabondamment documentées par différentes sources. Notamment une quinzaines de témoignages de ses victimes directes, très circonstanciés et parfaitement crédibles, sans parler de l’aveu fait par l’intéressé lui-même en 1962 dans le journal Combat. Riceputi y souligne qu’affirmer qu’il n’y a « pas de preuves » des activités tortionnaires de Le Pen revient à s’asseoir avec une invraisemblable désinvolture sur un copieux et accablant dossier historique connu depuis longtemps. Le Monde a présenté ce livre comme une « implacable » démonstration.

On apprend dans le portrait de Philippe Collin dans le magazine « M Le Mag » du Monde que l’opinion du journaliste aurait depuis lors évolué sur cette question. Mais ses explications ainsi que celles de l’autrice de l’article laissent pantois : « si je devais refaire la série aujourd’hui, dit Philippe Collin, je dirais, pour éviter toute confusion [sic] : “Le Pen a sans doute torturé en Algérie, jusqu’à la preuve du contraire” ». Et la journaliste autrice du portrait, croyant sans doute prouver ainsi le « sens de l’histoire » qu’elle admire chez Collin, d’indiquer que « le podcast a été modifié pour remplacer la phrase qui faisait débat par celle-ci : “On ne peut pas prouver que Jean-Marie Le Pen a torturé en Algérie mais c’est une possibilité”. »

Tels sont en effet les mots de Philippe Collin que les centaines de milliers d’auditeurs de ce podcast entendent à présent. « On ne peut pas prouver » : une argutie typique du négationnisme historique jouant avec le sens du mot preuve en histoire et selon laquelle seul un film montrant Le Pen actionnant la gégène et authentifié par lui-même constituerait – peut-être – une « preuve » suffisante. Il s’agit là d’une « position de repli » qui est souvent adoptée, par exemple, par des négationnistes de l’extermination des Juifs par les nazis qui tentent de semer le doute en invoquant une prétendue absence de preuve et en niant notamment les traces architecturales actuelles de chambres à gaz ou de fours crématoires ou la crédibilité des témoignages de rescapés.

Est-ce là la conséquence d’une absurde crainte de Philippe Collin d’être attaqué en diffamation, alors même que Le Pen a perdu très sèchement les trois derniers procès en diffamation qu’il a intentés il y a plus de vingt ans, la justice ayant alors clairement reconnu la crédibilité des enquêtes qui l’accablent ? Car, contrairement à ce qu’affirme l’historien Benjamin Stora un peu plus loin dans la même émission, Jean-Marie Le Pen, après avoir obtenu quelques décisions judiciaires favorables, a été débouté lors des procès en diffamation qu’il a intenté à la fin des années 1990 et au début des années 2000 à Michel Rocard, à Pierre Vidal-Naquet ainsi qu’au Monde et à Florence Beaugé. L’affaire de ce podcast est-elle une forme de « dédiabolisation » du FN, devenu RN ?

En tout cas, il est difficile vis-à-vis d’une question historique documentée par des historiens et des confrères journalistes méticuleux comme Lionel Duroy dans Libération en 1984 et Florence Beaugé dans Le Monde en 2002 de se défausser en disant « p’t-être bien qu’oui, p’t-être bien qu’non », ce que fait à présent ce podcast. Des sources nombreuses, convergentes et crédibles existent. Philippe Collin peut tenter de les réfuter. Mais il ne peut pas faire comme si elles n’existaient pas.

De plus, les propos fautifs de Benjamin Stora, bien que corrigés par ce dernier, n’ont pas été modifiés dans le podcast. Et Philippe Collin ose faire suivre cette séquence lamentable par un enregistrement de Pierre Vidal-Naquet à propos de la torture, alors que ce dernier rappelait haut et fort, chaque fois qu’il le pouvait, sa certitude que Le Pen avait torturé à Alger en 1957.

Quels qu’en soient les motifs, est proprement inadmissible cette manière de Philippe Collin de détourner le regard des travaux historiques et journalistiques et de permettre ainsi à Jean-Marie Le Pen de se blanchir de ses crimes. De même que l’obstination d’une radio de service public à ne pas rectifier des contre-vérités historiques avérées et à semer la confusion, comme le fait aussi « M Le Mag » dans cet article.

Association Histoire coloniale et postcoloniale


Sur le dossier « Le Pen et la torture », on peut notamment voir cette émission « A l’air libre » de Mediapart


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