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Édition du 15 septembre au 1er octobre 2024

Euzhan Palcy, ou l’œuvre difficile d’une cinéaste noire en France

         

Euzhan Palcy lors de la cérémonie des Governors Awards, le 19 novembre 2022, à Los Angeles. 

© Photo LCY / Avalon / Abaca

Dans Médiapart, quatre articles de Christelle Murhula ont été consacrés en août 2024 à la cinéaste martiniquaise Euzhan Palcy, célébrée aux États-Unis où elle reçut en 2022 un Oscar d’honneur pour récompenser l’ensemble de son œuvre[1]. Mais, Euzhan Palcy malgré un hommage qui lui a été rendu au Festival de Cannes en 2011, n’a pas tourné depuis 2007 : « Des idées de projets français, j’en ai. Mais il faut les financer. Et ça, même avec l’Oscar c’est encore compliqué. Alors qu’aux États-Unis, ce ne sont pas les demandes qui manquent[2]. » Ci-dessous le dernier des articles de cette série.

« Être cinéaste noire en France, c’est difficile »

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A quatorze ans, Euzhan Palcy lit La Rue Cases-Nègres de Joseph Zobel paru aux éditions Présence Africaine. Ce roman largement autobiographique raconte l’enfance et l’adolescence de José pendant les années 1930 à la Martinique. Après avoir réalisé, à 17 ans, une fiction télévisée avec des acteurs martiniquais La Messagère, elle quitte son île pour continuer ses études à l’École Louis Lumière.

En 1981, elle écrit un scénario tiré du livre de Zobel et obtient du CNC l’avance sur recette. Mais, pendant plusieurs mois, les rendez-vous avec des producteurs sont des échecs :  « Certains producteurs se décomposaient en voyant mon visage de négresse arriver devant eux », se rappelle Euzhan Palcy. Avec l’aide de François Truffaut et d’Aimé Césaire, elle finit par réaliser son film à la Martinique avec quelques scènes en créole que l’équipe dut tourner en cachette après le veto d’un des producteurs. En septembre 83, Rue Cases Nègres sort en salle et bénéficie d’un immense succès. Le film ne fut pas retenu pour Cannes, mais reçut des prix prestigieux, notamment le Lion d’argent à Venise et un César.

Une image extraite d’une scène de Rue Cases-Nègres :  Médouze (Douta Seck)  transmet à José (Garry Cadenat) la mémoire de l’esclavage et des désillusions après l’abolition de 1848 : « (…) les békés gardaient la terre, toute la terre du pays, et nous continuions à travailler pour eux. La loi interdisait de nous fouetter, mais elle ne les obligeait pas à nous payer comme il faut[3](…) »

Après le succès international de Rue Cases-Nègres, Hollywood propose à la cinéaste plus de deux cents scénarios qu’elle refuse pour une raison bien précise : la représentation des personnages noirs. Elle adapte le roman d’André Brink, Une saison blanche et sèche après être allée clandestinement à Soweto pour s’imprégner des témoignages de ceux qui combattaient l’apartheid. Avec ce deuxième long métrage, doté d’un budget estimé à 20 millions de dollars, Euzhan Palcy devient en 1989 la première cinéaste noire dont le film est produit par un studio hollywoodien. Les acteurs blancs sont des stars : Donald Sutherland, Susan Sarandon, Marlon Brando. Les personnages noirs conformément à une condition imposée par la cinéaste sont des acteurs sud-africains. Après sa libération, Nelson Mandela invita Euzhan Palcy pour la remercier pour la « justesse » de son film.

Toutefois, Euzhan Palcy constate que dans la plupart des films et des séries télévisées, l’image des Noirs ne varie guère. Leur représentation reste dégradante ou secondaire dans la plupart des scénarios qu’on lui propose.  

Elle réalise plusieurs autres projets aux Etats-Unis et en France, dont un triptyque documentaire sur Aimé Césaire, une fiction sur la période coloniale à l’île de La Réunion (Les Mariées de l’Isle Bourbon), et le documentaire Parcours de dissidents, sur les résistants à Vichy qui ont fui les Antilles pour rejoindre les troupes alliées. Le film a aidé à les sortir de l’oubli, et a été projeté à l’Elysée en 2014 à l’occasion du 70ème anniversaire de la Libération[4].

Depuis des années, la cinéaste souhaite réaliser un film sur Toussaint Louverture et aide des jeunes à réaliser leurs projets :« Je ne crée pas forcément pour moi. Je veux avant tout apporter ma contribution à l’amélioration de cette société, à l’éducation de la nouvelle génération par le cinéma. Être cinéaste noire en France, c’est difficile. Si je peux apporter quelque chose aux jeunes, autant le faire … Je suis toujours là. Et je compte bien rester et continuer à faire des films. »


[1] Euzhan Palcy, cinéaste de combat | Mediapart

[2] Les citations d’E. Palcy sont extraites de l’article de Christelle Murhula.

[3] Extrait de Joseph Zobel, La Rue Cases-Nègres, Présence africaine, 1950.  

[4]Euzhan Palcy | Biographie | Fondation pour la memoire de l’esclavage (memoire-esclavage.org)

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