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Édition du 1er au 15 octobre 2024

Femmes et issues de l’immigration

Femmes et issues de l'immigration: à double titre, elles se heurtent au "plafond de verre", cette barrière invisible des discriminations qui les empêche de prendre toute leur place dans la société. Un rapport accablant sur les discriminations subies par les femmes issues de l'immigration. par Patrick Roger, Le Monde du 8 décembre 2005

Le rapport annuel de la délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale, présenté mercredi 7 décembre et intitulé « Agir pour les femmes de l’immigration », met en exergue « l’enjeu pour la République » que constitue l’amélioration de leur condition.

Comme le note cette étude, dont le thème avait été arrêté il y a un an, « l’intégration des femmes immigrées et issues de l’immigration est une des clés de la réussite de l’intégration de l’ensemble des populations immigrées ». Les récents événements dans les banlieues « viennent malheureusement, a posteriori, justifier la pertinence de ce choix », constate la présidente de la délégation, Marie-Jo Zimmermann, députée (UMP) de la Moselle.

Le document s’écarte résolument de la tendance à la stigmatisation des « fautes » de l’immigration qui a nourri le débat politique à la suite des violences urbaines de la première quinzaine de novembre. Il rappelle qu' »une des difficultés principales dans la lutte pour l’amélioration de la situation des femmes immigrées et issues de l’immigration réside dans leur invisibilité, celles-ci n’étant pas représentées dans les instances dirigeantes, les syndicats, les associations et les partis ».

Le rapport dresse un bilan accablant tant des discriminations sociales et professionnelles auxquelles elles sont soumises que des violences dont elles sont victimes. En rappelant, en premier lieu, qu' »aujourd’hui l’immigré est, de plus en plus, une immigrée »: au 1er janvier 2004, sur les 4,5 millions d’immigrés résidant en France métropolitaine, 50,3 % étaient des femmes.

La précarité qu’elles subissent sur le marché du travail n’en est que plus évidente, même si elles représentent à présent 41 % des actifs immigrés, contre 35 % en 1990. Leur insertion professionnelle, cependant, « s’apparente à une course d’obstacles », note la délégation : « La réussite scolaire n’est pas, pour les jeunes filles issues de l’immigration, synonyme d’une bonne insertion professionnelle. » Le taux d’emploi pour les jeunes filles originaires du Maghreb est ainsi de 65,8 %, contre 79,5 % pour celles d’origine française. Sur les huit principales professions exercées par les femmes immigrées, sept sont des professions non qualifiées, contre trois pour les Françaises.

L’accès au premier emploi se fait, dans la grande majorité des cas, sous un statut précaire (intérim, contrat à durée déterminée, vacations). Elles ne sont en revanche que 8,8 % à être cadres. Environ 40 % des femmes issues de l’immigration ayant une formation de l’enseignement supérieur accèdent à l’emploi en temps partiel, contre 22 % pour les Françaises d’origine.

« CHANTAGE AUX PAPIERS »

L’accumulation de ces difficultés se traduit par un découragement de fait. « Constatant les difficultés d’insertion sur le marché du travail de leurs aînées, qui, elles, avaient beaucoup investi dans leur éducation, ces jeunes filles semblent de moins en moins croire à une quelconque ascension sociale par l’école, et paraissent même capituler », s’inquiète le rapport.

L’insécurité sociale et professionnelle se double d' »une infériorité juridique aux conséquences parfois dramatiques ». Le rapport met en cause l’application du statut personnel établissant que toute personne étrangère est soumise, en matière d’état civil, de régime matrimonial, de filiation ou de succession, à la loi du pays dont elle possède la nationalité. « Les effets sont dramatiques en ce qui concerne la répudiation et la polygamie », constate la délégation, soulignant que « les femmes sont l’objet d’un véritable chantage aux papiers ». Le paradoxe réside dans ce que les phénomènes de « ghettoïsation » combinés à l’aggravation des difficultés économiques aboutissent à « réinventer » des traditions dites identitaires, parfois même au-delà de ce qui se pratique dans les pays d’origine.

Ainsi la précarité de la situation juridique des femmes issues de l’immigration les expose-t-elle aux violences tant physiques que psychologiques, dont elles ont d’autant plus de mal à s’affranchir qu’elles craignent souvent de s’adresser aux autorités policières ou judiciaires. Aussi la délégation juge-t-elle prioritaire de conforter leur autonomie juridique en limitant l’application du statut personnel.

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« La République ne remplit pas correctement ses devoirs »

Si la délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale juge « inacceptable qu’être une jeune fille issue de l’immigration soit peu ou prou un déterminisme » interdisant l’accès à certaines filières, elle se refuse pour autant à promouvoir « une discrimination positive fondée sur l’appartenance ethnique ».

Auditionnée le 25 octobre, Nacira Guénif-Souilamas, maître de conférences à l’université Paris-XIII, conteste même l’idée d’égalité des chances. Estimant qu' »il ne faut jamais compter sur la chance mais sur la claire réalisation des droits », la sociologue note qu' »il convient plutôt de s’attacher à garantir l’égalité » de ces derniers. « L’égalité des chances est une sorte de loto, ajoute-t-elle. Dans la société, tout le monde tente sa chance et il est anormal que beaucoup de joueurs ne gagnent jamais. »

« Bien sûr, les parcours de réussite existent. Bien sûr, nombreuses sont les femmes et les filles immigrées et issues de l’immigration qui tirent leur épingle du jeu, admet le rapport. Mais force est de constater que la société française, la République, même, ne remplissent pas correctement leurs devoirs à l’égard de la majorité de ces femmes. »

Au cours de ses auditions, la délégation a également pu mesurer les conséquences de certaines dispositions législatives récentes. Ainsi la loi de 2003 relative à la maîtrise de l’immigration a-t-elle porté à deux ans la durée de vie commune obligatoire avant l’obtention d’un titre de séjour. « Ce faisant, le législateur n’a pas réprimé les coupables, mais les victimes, ces jeunes femmes qui, n’en pouvant plus de se faire torturer, finissent par s’enfuir de chez elles. La rupture de la communauté de vie étant alors constatée, la préfecture prend un arrêté de reconduite à la frontière », explique Gaye Patek, directrice de l’association Elele-Migrations et culture en Turquie et membre du Haut Conseil à l’intégration.

La sociologue a décrit les problèmes auxquels sont confrontées les jeunes filles turques issues de l’immigration et mariées de force : « Ce sont elles qui subissent les plus grandes violences, parce qu’elles ne parlent pas français, parce qu’elles n’ont pas le droit de sortir, parce qu’elles n’ont aucune liberté, parce qu’elles n’ont pas de papiers ou seulement des papiers provisoires. Il peut même arriver qu’un mari, lassé de cette femme qui ne lui convient pas, écrive lui-même au préfet pour dire qu’il s’agissait en fait d’un mariage qui lui a été imposé. Le résultat ne se fait pas attendre : « ordre de quitter le territoire. »

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